samedi 30 août 2008

De l’égalité des revenus

L'avenir du monde est-il à l'égalité des revenus ?

Governing the commons me pose une question. Elinor Ostrom observe qu’une bonne gestion des biens publics tend à faire que ceux qui y participent retirent du bien en proportion de ce qu’ils apportent à son entretien. Si l’entreprise est administrée comme un bien commun, cela signifie-t-il que les écarts actuels entre salaires sont condamnés à se comprimer massivement ?

Chaque homme doit recevoir un prix juste pour ses efforts

Adam Smith semblait pencher pour quelque chose de ressemblant. Pour lui chaque ressource, et le travail de l’homme en premier lieu, avait un « prix naturel » (plus exactement, peut être, un prix juste). Pour l’homme il dépendait notamment de ses compétences. Le marché tendait à établir naturellement ce prix, puisque celui qui n’était pas content du traitement qu’on lui réservait pouvait aller chercher ailleurs.

C’était utopique : le samouraï au chômage n’a rien de mieux à faire que se suicider (Hara-kiri), l’artiste en surnombre devient un « intermittent du spectacle »… On a observé que les Européens de l’Est partis en Angleterre reviennent chez eux dès qu’ils peuvent y obtenir un salaire qu'ils jugent correct. Or il est largement inférieur à celui reçu en Angleterre. Par un facteur 4 ou 5 ! Notre formation (Thorstein Veblen parlait de « trained incapacity »), les structures de la société (la langue que l’on parle, etc.), nos préférences (qui résultent de notre culture)… font mentir Adam Smith. Au moins à court terme.

Les bas salaires de l'entreprise performante sont élevés, les écarts se compriment

Je passe beaucoup de temps avec des entreprises qui ont trop tardé à changer. Généralement elles doivent gagner de l’ordre de 20% en productivité (produire autant avec 20% d’effectifs en moins), parfois 50%. Et elles ont quelques semaines pour trouver une solution convaincante. Mes observations :
  • Une fois la phase de résistance passée (« c’est impossible »), chacun « dénonce » son collègue : c'est lui l'inefficace. La critique donne de sérieuses pistes.
  • Puis on découvre que, telle que, l’organisation ne peut pas faire ce qu’on lui demande. Il faut la transformer. On fusionne des services. On combine des fonctions. Par exemple, une entreprise donne à ses veilleurs de nuit la supervision de ses réseaux (jusque-là réalisée par des prestataires) ; une autre utilise pour certains achats ses commerciaux (plus besoin d’acheteurs). On élimine au maximum le haut de la hiérarchie, très coûteuse (en faisant diriger deux usines proches par un seul management...). On y parvient en donnant aux opérationnels des tâches fonctionnelles : management, contrôle de gestion, qualité… Ceci est facilité par ce que le nombre de niveaux hiérarchiques est énormément réduit : le management voit le détail de l’organisation.
On aboutit finalement à des organisations à faible nombre de niveaux hiérarchiques, ayant des personnels très qualifiés, et relativement bien payés. Par exemple, un groupe étranger qu’une concurrence féroce a amené à ce modèle, voulait recruter des Bac+4 pour ses usines. Ça n’a pas marché, non à cause du salaire, mais parce que cette population ne pouvait accepter un travail d’ouvrier. La société a embauché des personnels peu formés, qu’à l'époque où je l'ai rencontrée, elle avait du mal à faire progresser.

Dans l'entreprise performante la répartition de revenus paraît juste

Une mission : 
  • Une restructuration après l’euphorie de la bulle Internet. Elle semblait impossible. La transformation était tellement énorme (inconcevable avant que je la chiffre), que chacun a compris qu'il n'était plus question de défendre son intérêt personnel, qu'il n'y avait pas d'issue sans travail de groupe.
  • J’ai utilisé, pour guider le travail de la société, un business plan détaillé de l’organisation. Du coup chaque unité s'est trouvée sous le regard des autres.
  • À la fin de l’opération l’entreprise était méconnaissable. Surtout, ses « organes » paraissaient sous une pression uniforme. Il n’était pas possible de chiffrer les contributions individuelles pour connaître leur efficacité relative, mais il me semblait qu'il y avait quelque chose de « juste » ici. L’entreprise me faisait penser à une équipe de football. Mesurer quantitativement la contribution d’un joueur à son succès est illusoire, cependant l’équipe « sait » si un de ses joueurs est faible ou non, s'il donne tout ce qu'il a ou non. Je crois qu’il en est de même pour une entreprise efficace.

Quant aux revenus, je ne crois pas qu'il y ait de pression à la baisse, ou à l'égalisation : on s'assure simplement qu'il n'y a pas d'excès flagrant par rapport à ce qui se pratique ailleurs, ou, plus exactement, de déséquilibre entre les rémunérations des uns et des autres, par rapport aux prix du marché. Les revenus générés par l'entreprise sont répartis d'une manière qui paraît juste, eu égard à ce qui se pratique ailleurs.

Références :

  • GROSSACK, Irvin M., Adam Smith : His Times and Work, Business Horizons, Août 1976.
  • Les immigrés de l’est : A turning tide?, The Economist, 26 juin 2008.

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