mercredi 31 décembre 2008

Communication de crise

Vœux des Présidents français et australien :  la vie va être difficile mais on va se battre. 

Tentative de changement de ton : prenons notre sort en main ?

J’ai remarqué qu’une technique donnait de bons résultats dans les cas de changements inquiétants : expliquer semaine après semaine ce que chacun faisait. Non en mettant en avant les réussites. Mais, d’une certaine façon, les échecs. En fait, un échec dont on se relève est le meilleur des messages (au moins pour un Français) : il montre que l’on se bat, que l’échec n’a rien de honteux, mais, bien plus important, que l’on est optimiste, qu’on a de la ressource, qu’on n’est jamais défait. On montre ainsi le comportement que l’on attend des membres de l’entreprise.

Présenter les efforts, que je crois méritoires, de nos gouvernants serait certainement un moyen efficace pour nous sortir de la « learned helplessness » dans laquelle nous plonge le bombardement de mauvaises nouvelles auxquelles nous soumettent les médias. Je suis à peu près certain que leur exemple pourrait inspirer nos actions quotidiennes (par exemple éviter que quelques dirigeants ne licencient « à titre préventif », ainsi accélérant la crise).

Auparavant, il y a des obstacles à franchir :

  • Traditionnellement le gouvernant français doit faire des miracles. Le Français est passif.
  • Le rôle des médias (du moins ceux que je consulte) est de dénoncer, d’être un contrepouvoir. Par définition ils sont méfiants vis-à-vis des gouvernants, qui ne peuvent qu’être malhonnêtes.
  • L’opposition (de quelque bord que ce soit) ne sait que critiquer. Selon elle, le pouvoir en place est nécessairement le « plus bête du monde ». Les syndicats ont une attitude identique.

Effet de levier

Qu’est-ce que le fameux effet de levier dont parle ce blog ?

Il vient de théories scientifiques impressionnantes, anciennes et respectables. J’en donne des définitions simplifiées dans ce blog et dans mes livres. Mais, en fait, il y a un meilleur moyen d’expliquer ce qu’il signifie pour l’entreprise. D’ailleurs, c’est l’idée qui m’a amené à démarrer l’écriture de mon premier livre, fin 2001. D'une certaine façon qui a changé le cours de ma vie. 

Aujourd’hui, le modèle de gestion de l’entreprise part implicitement de l’idée d’un homme qu’il faut forcer à travailler, à qui il faut dire ce qu’il doit faire. Or, l’homme, ou plutôt l’organisation, sait et surtout veut bien faire.

L’effet de levier c’est passer d’une conception de l’entreprise, de la société, à l’autre. Le travail de celui qui veut « conduire le changement » se transforme alors du tout au tout : au lieu de porter une organisation à bout de bras – et de s’épuiser, il n’a plus qu’à trouver ce qui l’empêche de faire ce qu’elle a envie de faire, ce qui la « bloque ».

Complément :

  • Cette idée m’est revenue en tête en reprenant un article de Dominique Huez (voir Droit au travail) pour un cours.
  • Exemple d’effet de levier : Effet de levier du week end.
  • Ce que vous avez toujours voulu savoir sur le changement…
  • Attention. L'effet de levier n’a pas tout pour lui. Il a un défaut. Il bouscule le modèle tuteur / assisté qui est propre à la France. Il est agréable de penser que le monde est constitué d’imbéciles que l’on domine de son intellect supérieur. Et quand rien ne bouge, que c’est du fait de leur incompétence. Ainsi, on a justifié le statu quo. On peut dormir la conscience tranquille. Des origines du modèle tuteur / assisté, telles que vu par Tocqueville (L'Ancien régime et la Révolution) :

Le gouvernement central ne se bornait pas à venir au secours des paysans dans leurs misères ; il prétendait leur enseigner l’art de s’enrichir, les y aider et les y forcer au besoin (…) le gouvernement était déjà passé du rôle de souverain au rôle de tuteur.

Les découvertes de l’année

Cette année a été l’année Blog. Que m’a-t-il apporté ?

Ce blog m’a fait voir quelques choses que je n’aurais pas vues sans lui. C’est aussi une illustration de mon mode de pensée, qui avance par remise en cause permanente.

  • Les élections américaines. C’est la première fois que je suis une élection. Cette expérience me fait croire qu’il est possible d’aller loin dans la compréhension des « logiques » des candidats (des règles qui expliquent leur comportement), et des stratégies qu’ils suivent (De la démocratie en Amérique (suite) Une pensée pour Barak ObamaNo drama Obama, etc.). Jusque là, j’avais tendance à croire que les processus de sélection ne révélaient que les capacités des candidats à triompher de la sélection (sans rien dire sur leur capacité à diriger). Peut-être ai-je fait ce qui doit être le travail de tout citoyen d’une démocratie ? Le processus démocratique est il le vote, ou le travail de réflexion, de transformation de l’électeur, qui doit amener au vote ?
  • J’ai aussi découvert l’Union Européenne (L’Europe est-elle une communauté ?). Contrairement à ce que je pensais ce n’est pas une sorte de Far West du marché libre, une noble utopie dynamitée par la perfide Albion, mais plutôt une formidable machine à uniformiser, qui porte un projet fort honorable. Il reste au peuple de l’Union à s’approprier ce projet, comme semblent l’avoir fait récemment ses gouvernants (L’Europe change). Le citoyen européen doit naître.
  • Les droits de l’homme. Si je ne m’étais pas intéressé aux démêlées de Rama Yade et Bernard Kouchner (Bernard Kouchner et les droits de l’homme), ce que je n’aurais pas fait sans blog, je ne me serais pas penché sur les droits de l’homme, sujet pour lequel je me sentais incompétent. Quelques intuitions : l’homme est essentiellement le produit de la société, détruire le lien social est attentatoire à ses droits ; l’homme se construit une « identité », elle peut évoluer, mais selon un chemin très particulier ; ne pas le respecter, imposer des changements qui demandent l’impossible à l’être humain est aussi attentatoire à ses droits (SDF et droits de l’homme, Droit au travail, Maslow et les droits de l’homme).
  • Suivi des étapes de la crise et essai de compréhension. Relecture de Galbraith (Crash de 29 : mécanisme), et confirmation de Foster (McKinsey explique la crise). Une catégorie d’Américains est en permanence sur le qui-vive. Elle cherche à tromper les règles du contrôle social. Quant elle y arrive, l’économie décolle du réel. Quelques années de fantastique prospérité artificielle, puis crash. Il me semble de plus en plus certain que l’on a vécu un grand moment d’idéologie galopante. J’avais analysé la Nouvelle économie dans mes livres, mais j’ai découvert que le phénomène avait été beaucoup plus puissant que ce que j’avais entraperçu. Que non seulement il avait couvert la Bulle Internet, mais qu’il s’était étendu au monde sous la forme du Consensus de Washington et des crises qu’il avait suscitées, mais aussi de la présidence Bush, qui est allée jusqu’à démanteler les contrôles existants au nom d’un marché supposé s’autoréguler (Dr Doom). Le Néoconservateur a été le grand prêtre de ce nouveau millénarisme (Neocon).
  • La Chine. J’avais une grande estime pour la Chine. Je pensais que sa sagesse était supérieure à la nôtre. Infiniment plus subtile que le subtil Japon (Voyage à Tokyo). La lecture du Discours de la Tortue (Le discours de la Tortue), et de quelques autres livres, me fait pencher plutôt pour une civilisation dont le cerveau n’aurait pas été alimenté pendant trop longtemps. Une « civilisation fossile », qui essaie de se réinventer en ne prenant au monde qui l’a dépassé que des idées superficielles et grossières ? Une société de rustres ?
  • Un des grands moments de l’année aura été Governing the commons, que je dois à The Economist. C’est une sorte de modèle économique de mes observations. Comment une société peut s’auto-administrer, et comment ce système est le plus efficace qui soit. Il y a autre chose que le laisser-faire anglo-saxon, ou le dirigisme français, soviétique ou prussien. The logic of collective action, autre tuyau de The Economist, complète le tableau en modélisant le fonctionnement de l’homme laissé à son intérêt égoïste. On y voit apparaître naturellement une société de classes (mais sans solidarité de classe), et l’organisation de l’entreprise occidentale. La minorité y exploite le grand nombre. Progressivement, les hypothèses qui sous-tendent la science économique, et l’organisation de la société moderne, apparaissent. Il s’agit, simplement, de la notion fondamentale de propriété, très bien expliquée par les Lumières anglaises (Droit naturel et histoire). L’actionnaire est propriétaire de l’entreprise, les hommes qui la constituent, à l’exception de son management supposé la diriger, n’ont aucun droit. Ce qui explique qu’on cherche à réduire au maximum leur salaire, par une « concurrence parfaite ». Et que les entreprises finissent par capoter : la compétence de l’entreprise (« capital social ») se stocke dans son tissu social. 
  • Découverte de John Stuart Mill (Utilitarisme, De la liberté). Lui, je le percevais comme un bonnet de nuit, à l’origine de l’idéologie biaisée, individualiste, cause de tous les maux de la société moderne. Faux. Discours robuste et énergique, qui avait perçu tout ce qui ne va pas dans ce que nous faisons. Il est fascinant de voir à quel point la pensée des plus grands hommes peut être écrabouillée, abaissée à la médiocrité, ramenée à la plus paresseuse idéologie, par nos mécanismes d’apprentissage. Norbert Elias et sa modélisation de l’individualisme a été une autre grande découverte. On a là probablement une des explications du changement que vit notre époque, meilleure que celle de Polanyi (The great transformation) : l’individualiste découvre qu’il n’est pas seul au monde, que ses actes comptent, il voit la dimension sociale de la vie. Ce n’est pas le blog qui m’a fait lire ces auteurs, mais il m’a amené à les résumer. Je les aurais moins bien compris (ce qui ne signifie pas que je les ai parfaitement compris !) si je ne m’étais pas livré à cet exercice.
  • La philosophie (Kant pour les nuls, Hegel pour les nuls, Heidegger pour les nuls). Le blog n’est pas une cause de cette découverte. J’y allais de moi-même : j’avais fini par comprendre que ce qui m’intéressait dans la pensée allemande, la prise en compte de la société par la science, avait sa première étape chez Kant et Hegel (À la découverte de la philosophie allemande). Là aussi ma vision a été transformée. Le philosophe est un scientifique, qui cherche à rationaliser son expérience, qui « met en équations » sa culture, ce que ses contemporains croient évident sans l’exprimer. Pas un discoureur de salon qui enchaîne les faits selon une pseudo-logique, qui s’émerveille des pensées qui lui passent par la tête, un sophiste, selon le modèle de l’intellectuel français (Portrait du philosophe français).
  • Je n’avais pas compris que le progrès, selon les Lumières, s’était la prise de pouvoir de la raison, sur le suivi moutonnier de règles que l’on ne comprend pas (Individualisme et rationalité). Problématique classique dans les sciences du management : celle du leader, qui pense, et du manager, qui exécute (Mesurer la capacité au changement d’une entreprise). Ce blog constate, non que nous sommes massivement des managers, mais que ceux qui se rapprochent le plus des « leaders » manipulent les règles que nous suivons, pour satisfaire leurs intérêts. C’est ce que Robert Cialdini étudie sous le nom de « science de l’influence ».
  • Enfin, la lecture d’un article de Dominique Huez (A lire absolument) m’a fait comprendre l’idée qui m’a poussé à passer plusieurs années de ma vie à écrire des livres, et à essayer de rendre les changements sociaux efficaces, et surtout moins douloureux qu’aujourd’hui. Cette idée est l’objet du prochain billet.

Bien sûr, j’ai approfondi les thèmes qui font l’essentiel de mes livres. Les techniques de changement, l’ordinateur social, l’effet de levier, l’animation du changement, les anxiétés, les travaux d’Edgar Schein, de Schumpeter, de Martin Seligman, de Robert Cialdini, de Tocqueville, de Crozier, la duplicité anglo-saxonne, l’innovation au sens de Merton, la société française et ses vices, la lamentable histoire de l’Éducation nationale… Mais, finalement, de manière assez molle. Sans grande conviction.

Ce blog est égoïste : il n’essaie pas tant de transmettre des techniques utiles que de me soumettre à un travail de décodage du monde qui m’enrichisse… C’est vrai, Nicolas Sarkozy et Barak Obama illustrent ce que disent mes livres (Les techniques de Barak Obama : Relance par l’investissementObama construit son équipeBarak Obama en role model ?, celles de Nicolas Sarkozy : Nicolas Sarkozy et la méthode navette, Sarkozy en leader du changement), ce qui facilite mes cours et mes démonstrations.

D’ailleurs, n’y a-t-il pas dans mon attitude, une autre évolution ? Je réponds à la description du « donneur d’aide » d’Edgar Schein, j’ai passé ma vie à vouloir aider les entreprises, et parfois les hommes (Tigre tamoul), que les hasards me faisaient rencontrer. Mais l’expérience (et ce blog) me montre que dans un monde d’individualistes, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Et puis le changement ne marche jamais aussi bien qu’en crise. Il n’est pas efficace de vouloir sauver des gens qui, au fond, ne le demandent pas !

mardi 30 décembre 2008

Crise: besoin de diversification émotionnelle

Un ami me dit qu’il n’y a pas de crise : impossible de trouver une chambre d’hôtel pour des vacances de neige.

Autre interprétation. En 95, il y a eu une très longue grève des services publics (raison ?). Embouteillages effroyables. Pendant plus d’un mois j’ai dû faire plus de deux heures de marche à pied pour aller travailler. La grève finie, tout le monde a sauté en voiture pour partir en vacances et oublier ce cauchemar.

Je soupçonne qu’il en est de même pour la crise. Les journalistes nous soumettent à un déluge de mauvaises nouvelles. Nous sommes désarmés. Nous ne pouvons qu’attendre passivement que le hasard décide de notre sort. Les vacances ? Une accalmie.

Les médias vecteurs de dépression : 406.

Vote et perception du monde

Scientific American de janvier (Politics of Blank Looks, de Charles Q. Choi) cite une étude qui montre qu’opinion politique et perception du monde semblent liées.

On présente à des étudiants des photos de visages dont les expressions sont brouillées. Les étudiants favorables au parti républicain interprètent ces expressions comme « plus menaçantes » et « moins soumises » que leurs camarades démocrates.

Les psychologues expliquent que nous décodons inconsciemment les situations auxquelles nous sommes confrontés, en leur donnant une interprétation qui est à la fois unique (pas de place au doute) et particulière à notre expérience. Notre interprétation est biaisée : celui qui a vécu plusieurs restructurations interprète toute déclaration de la direction de son entreprise comme une annonce de restructuration. De là nous déduisons nos actions.

Cette expérience semble dire que les partis politiques regrouperaient des personnes qui font une même lecture (inconsciente) des événements, et que les républicains tendent à être des inquiets.

Compléments : 

  • Sur la crainte inhérente à la nation américaine : J’irai dormir à Hollywood.
  • SELIGMAN, Martin, Learned Optimism: How to Change Your Mind and Your Life, Free Press, 1998.

Exit Viadeo

J’ai fermé mes comptes Viadeo, LinkedIn, Plaxo. Pourquoi. Et réflexion sur le parasitisme.

J'ai rejoint tardivement linkedIn. Parce qu’un client m’avait recommandé, et que j’ai pensé qu’une bonne éducation voulait que je m’inscrive. J’ai découvert que j’avais été déjà invité, et que les premières invitations remontaient à 2004. Joie de la nouveauté : utiliser linkedIn pour retrouver des gens perdus de vue. Puis le jeu du réseau amène à d’autres réseaux (Plaxo, Video).

Quelques mois plus tard : je n’utilise plus. Ils me font perdre du temps. Pire, des personnes inconnues me contactent, visiblement des professionnels du réseau (plus de 13.000 contacts dans un cas). Aucune justification de l’intérêt que je présente pour eux. Note comminatoire, lorsque je ne réponds pas à l’avance :

Lorsque 2 membres de Viadeo entrent en contact direct, ils s'ouvrent un accès réciproque à leurs propres réseaux et augmentent donc le nombre de personnes avec qui ils peuvent entrer en relation.
Cette perspective me semble justifier un clic sur le lien ci-dessous, ce qui nous permettra en effet de créer un lien direct entre nous !

Si la nature du lien est aussi ténue, nous sommes tous liés à tous : pas besoin de Viadeo !

Les liens sociaux sont importants, mais je n’ai pas compris ce que leur apportait Internet. Les miens se construisent patiemment, par l’expérience et les crises partagées. Au long cours. Pire, les réseaux sociaux électroniques me semblent victimes de parasites.

Qu’est-ce qu’un parasite ? Quelqu’un qui nuit à un système destiné au bien collectif, et ce pour son seul intérêt.

Pourquoi le parasite est-il le premier à exploiter une nouveauté ? Pourquoi les virus et les spam ont-ils attaqué Internet ? Pourquoi les premiers scientifiques ont-ils été, en majorité, des charlatans ? Pourquoi la religion est-elle la proie des Tartuffe ?... Probablement parce que ceux qui suivent les règles du système sont prévisibles. Si les voitures s’arrêtent aux feux rouges, il est facile d’agresser l’automobiliste. Le parasite est alors capable d’exploiter ces règles pour son propre intérêt.

Idée connexe. Le « théorème du tamis ». Une personne compétente dans un domaine est encouragée à se spécialiser, sa carrière stagne. Par contre, l’homme sans qualités n’aura pas ce handicap, ses chances d’ascension seront démultipliées.

Comment éviter le parasitisme ? Il n’y a probablement pas de panacée. Et puis un peu de parasitisme peut-être bon pour la santé (il rappelle que le phénomène peut exister, et qu’il faut s’en protéger). Cependant l’excès est certainement pathologique, selon l’expression de Durkheim. C’est un « mal » social. Le traitement me semble social, aussi.

  • Le parasitisme est un drame de la solitude. Le parasite veut quelque chose qu’il ne pense pas pouvoir obtenir, parce qu’il est incompétent. Un petit coup de pouce au bon moment peut l’aider à trouver ses talents, avant qu’il se soit engagé dans un cercle vicieux de malversations. Encore faut-il que la société ne l’isole pas.
  • De même, le meilleur contrôle de la déviance est social : le fait que lorsque l’on s’écarte du droit chemin on y soit remis par le mouvement naturel de la société. On peut rouler au milieu de la route dans une campagne déserte, pas dans une métropole : on risque l’accident, plus que le gendarme. La faiblesse du Web 2.0, et d’Internet, est peut-être là : les mécanismes de contrôle naturels à une société n’ont pas eu le temps de s’y établir.

Compléments :

  • Les tactiques du parasite, appliquées à d’autres exemples : Perfide Albion.
  • Le capitalisme comme triomphe du parasitisme : McKinsey explique la crise, Crash de 29 : mécanisme. L’Amérique aime l’innovation, parce que dans ses débuts, elle désorganise la société, ses contrôles sont inefficaces, c’est le Far West, et l’Américain y est sans égal. C’est aussi pour cela que ses innovations sont parfois de simples escroqueries (cf. les innovations financières qui viennent de déstabiliser la planète). Parasitisme et innovation : la théorie de Robert Merton : Braquage à l'anglaise.
  • La théorie de la complexité démontre que c’est la coopération, non le parasitisme, qui, sur le long terme, a le dernier mot : Théorie de la complexité.
  • Les sociétés ont des mécanismes naturels de défense contre le parasitisme : Governing the commons.
  • DURKHEIM Émile, Les Règles de la méthode sociologique, Flammarion, 1999.

lundi 29 décembre 2008

Disparition des poissons

Je ne sais pas si ce qui est dit dans l’article de Susannah F.Locke (Stock-Market Strategy Halts Fishing Collapse, www.sciam.com, 26 décembre) peut s’appliquer à la presse, mais on a peut-être trouvé un moyen de sauver les poissons…

Donner des permis annuels aux membres d’une pêcherie conduit à une disparition de ses poissons. Mieux : chaque pêcheur reçoit le droit de pêcher une proportion d’un quota général fixé chaque année par une organisation régulatrice, en fonction de la santé des espèces locales, et a le droit d'acheter et vendre ses parts comme bon lui semble.

On a transformé son intérêt du court au long terme. On a fait des bancs de poissons un bien commun (Governing the commons).

Disparition de la presse (2)

L’article précédent cite un fameux article de Theodore Levitt (Marketing Myopia, Harvard Business Review, 1960). Celui-ci dit que les entreprises défaillent parce qu’elles ne voient que le produit et oublient le marché.

Une autre manière de formuler la chose est peut-être la segmentation leader / manager de John Kotter : le manager applique, le leader conçoit. L’un est un homme de rites, l’autre de raison. 

Argument favori de ce blog : après la phase entrepreneuriale (leaders), l’entreprise a de fortes chances de tomber entre les mains de managers, qui vont sanctifier le moyen (la gestion financière, par exemple), et vont oublier l’essentiel : la raison d’être de l’entreprise. Au lieu d’exploiter les compétences uniques de leur entreprise, ils sont incapables de renouveler son avantage concurrentiel, ils gèrent la lancée que d’autres leur ont léguée. Et ça leur est fatal. Ils sont incapables de résister aux frottements, à la destruction créatrice. 

C’est peut-être bien ce qui est arrivé à la Presse.

Quelques réflexions sur le sujet : Avenir de la presse. Quant à John Kotter : Mesurer la capacité au changement d’une entreprise.

Disparition de la presse

Dans The New Yorker (News you can lose, 22 décembre), James Surowiecki se demande si ce qui menace la presse n’est pas simplement le libre accès à son contenu, via Internet.

Même aux USA, la presse semble très mal partie. Moins de souscriptions (divisées par 2 en 40 ans), moins de publicité, y compris sur Internet. Pourtant son contenu est plus largement diffusé que jamais. Gratuitement par Internet.

Intéressant. Phénomène de parasitisme ? Et le parasite peut tuer l’hôte. Si la Presse continue à réduire ses effectifs, au lieu de se battre et d’expliquer ce qu’elle nous apporte, elle finira par perdre l’essentiel : sa compétence en journalisme. Cette compétence renaîtra-t-elle ailleurs ? Danger pour la démocratie ? Les mécanismes du marché sont-ils toujours bons pour elle ?

Autres réflexions sur le sujet : Avenir de la presse.

dimanche 28 décembre 2008

Mort d’Huntington

L’avenir ? Affrontement entre « civilisations », dit Samuel P. Huntington. Et l’Ouest doit abandonner l’illusion que ses valeurs sont universelles.

Étrange argument. Qu’appelle-t-il civilisation ? La « civilisation islamique » par exemple paraît tout sauf homogène. Elle est bien plus caractérisée par ses guerres internes que par un quelconque projet commun. Même chose pour la Chine. Elle a besoin d’une énorme croissance pour satisfaire une population incontrôlable en cas de malheur. Difficile d’être belliqueux dans ces conditions.

Il n’y a qu’en Occident que le « nous » se situe au niveau de la nation. Ailleurs, il se trouve dans des petites communautés : le clan, la tribu, la caste, etc. Le monde est probablement plus remarquable par ce type de divisions que par ses grandes masses hostiles. Diviser pour régner serait sûrement dangereux, mais il demeure efficace.

Quant aux valeurs occidentales, elles semblent, pour les principales, avoir été adoptées universellement. Non seulement personne ne les refuse, mais encore s’il y a récrimination, c’est vis-à-vis de notre duplicité : on nous reproche deux poids deux mesures. Par exemple, il n’y a pas remise en cause des droits de l’homme, mais de la hiérarchie de ceux-ci (la liberté de la presse est moins importante que le droit à ne pas crever de faim).

Et elles ont eu des conséquences énormes : même si, pour nous, le Japon demeure très japonais, la cellule familiale traditionnelle y a disparu. La culture japonaise est méconnaissable. Et que dire de nos anciennes colonies ?

Les cultures sont comme les gens : elles copient ce qui réussit ailleurs. 

Mais, n’est-ce pas notre problème actuel ? Tout le monde a voulu adopter nos valeurs, mais elles n’ont pas donné ce qu’on attendait d’elles (ce qu’elles paraissaient nous avoir apporté) ? Ceux qui y ont cru se sont trouvés piégés ? En désespoir de cause, ils se sont tournés vers les solutions de secours qu’ils avaient sous la main : fondamentalisme de tout bord, organisation criminelle… ?

Compléments :

  • Mes renseignements sur Huntington viennent du Wikipedia anglais. Pas très bons articles. Une étude sérieuse serait de rigueur…
  • Sur le Japon : Voyage à Tokyo.
  • Sur le « nous » : Norbert Elias.
  • Sur le rôle des USA dans le Jihad : Jihad américain.
  • Sur la Camorra, comme valeur refuge : Gomorra.

Mensonges d'état

Film de Ridley Scott, 2008. L’attitude de l’Amérique au monde changerait-elle ?

Il me semblait que l’Amérique se voyait comme le pays de la lumière, du progrès, de la justice et de la droiture.

Les autres contrées, la France en premier, étaient perçues comme arriérées, fourbes, indignes de confiance, inquiétantes. Exemple : le film Casablanca.

Dans Mensonges d’état, histoire d'une lutte contre un réseau terroriste islamiste, l'Amérique s’est trompée de guerre : sa technologie ne peut rien contre un ennemi qui n’en utilise pas. Elle ne procède que par coups tordus. Mais ils ratent du fait du point précédent.

Pour gagner, elle doit utiliser les armes de l’ennemi, qui sont culturelles. Elle ne pourra réussir si elle ne respecte pas, n’aime pas, sa culture. Elle n’imposera pas son modèle par le mépris et la force.

samedi 27 décembre 2008

Sarkozy plus fort que de Gaulle ?

Un article du Monde (Le grand Meccano de Nicolas Sarkozy) explique que le Président de la République construit une organisation parallèle qui lui permet de contrôler gouvernement et opposition.

De Gaulle s’était donné un pouvoir qui n’était pas sans rappeler celui de Louis XIV, pourtant mai 68 l’a vaincu. Le Président Sarkozy peut-il mieux faire ?

Lui aussi semble s’inspirer de Louis XIV. Louis XIV constitue une garde rapprochée de roturiers fidèles (les intendants), qui lui permettent de contrôler de dangereux puissants (les nobles). Cette technique est reprise par la France révolutionnaire, et par l’Union soviétique : elles mettent à côté de chaque détenteur du pouvoir un représentant du peuple (c’est la mission de l’ex KGB). Nicolas Sarkozy posséderait un cabinet ministériel fantôme, à l’Élysée, qui contrôlerait le premier. L’UMP étant un autre système de contrôle.

Risque de dérive dictatoriale ? Des contre-pouvoirs se dessineraient (par exemple, le groupe UMP de l’assemblée). Mais surtout, le Président de la République veut réformer le monde. Or, c’est difficile de le faire quand on est un dictateur :

  • Toutes les entreprises semblent suivre la route suivante. Dans un premier temps, le dirigeant y contrôle tout. Plus l’entreprise grossit, plus sa tâche devient difficile. Il a alors le choix entre arrêter de croitre, ce qu’il fait souvent, ou abandonner le pouvoir, ce qu'a fait Bill Gates.
  • Le mode d’organisation qui vient alors : la bureaucratie. Mais, attention, dès que les membres de l’organisation ne voient plus le chemin suivi, ils s'inventent des objectifs qui leur sont propres, ils sanctifient le moyen, le rite, « le règlement, c’est le règlement » (« déplacement de but » du sociologue Merton). Le comble de l’inefficacité bureaucratique est le modèle totalitaire, qui exige régulièrement d’épurer les organes de contrôle (cf. modèle Hitlérien / Stalinien). Comme pour la PME, il conduit au repli peureux.

Il me semble donc que Nicolas Sarkozy va devoir inventer des techniques de conduite du changement qui sortent de ces modèles. Si on en juge par sa détermination, il devrait y réussir. Du moins si sa santé résiste au rythme qu’il s’est imposé.

Compléments :

  • LACOUTURE, Jean, De Gaulle, Seuil, 1985.
  • MERTON, Robert K., Social Theory and Social Structure, Free Press, 1968. Chapitre : Bureaucratic structure and personality.
  • WALLACE, James, ERICKSON, James, Hard Drive: Bill Gates and the Making of the Microsoft Empire, Collins, 2005.
  • TOCQUEVILLE (de), Alexis, L'Ancien régime et la Révolution, Flammarion, 1985.
  • ARENDT, Hannah, Le système totalitaire : Les origines du totalitarisme, Seuil, 2005.
  • Le principe du KGB et À la poursuite d’Octobre rouge : Sean Connery est un capitaine de sous-marin russe qui veut passer à l’ennemi ; un membre du KGB, caché dans l’équipage, cherche à l’en empêcher.

Aznavour l’Arménien

Charles Aznavour vient de recevoir la nationalité arménienne.

En 68, il lui était inconcevable de devenir arménien, dit-il. Il était français.

La France ne change pas ? 

Depuis la Révolution de 89, jusqu’à la fin des années 60, ça a été une formidable machine d’intégration. Émile Durkheim, par exemple, a jeté aux orties son destin de rabbin, pour devenir le grand prêtre du positivisme scientifique. Le fondateur de la science de la société. Et un nationaliste forcené. Non seulement les communautés disparates qui constituaient le pays ont vendu leur âme contre celle de citoyen français, mais on venait de partout dans le monde pour faire de même (cf. Le Romain Gary de La promesse de l'aube). Une énorme partie de ce que nous considérons comme notre élite a été remontée des profondeurs de la nation, de son immigration, par notre « ascenseur social ».

Que nous est-il arrivé ces quatre dernières décennies ? Avons-nous soudainement douté des valeurs qui nous avaient fait mettre notre intérêt individuel au second plan ? L’égoïsme a frappé et a déglingué l’ascenseur social ? Nous avons compris qu’il ne fallait plus attendre d’aide de la solidarité nationale, mais reconstituer des réseaux d’entraide à partir, notamment, des débris de nos identités anciennes ?

Sur les malheurs de l’ascenseur social : La France de Dickens? et sur Durkheim : PRADÈS Jose-A., Durkheim, Que sais-je?, 1997.

Gomorra

Gomorra film sur la Camorra.

Je m’attendais au pire. En fait, ce film m’a rappelé l’Amérique : on y voit des gangs s’affronter, les entreprises y trafiquent avec la nature et avec la loi comme dans Erin Brockovich, ou, plus exactement, comme en Chine.

Quand même tout y est plus petit qu’aux USA. J’ai été surpris du peu de morts : un tous les trois jours dit-on. Sur combien de millions de personnes ? Est-ce beaucoup par rapport aux 5.000 personnes qui meurent sur les routes en France chaque année (16.000 il y a une vingtaine d’années), ou aux 12.000 victimes annuelles des armes à feu aux USA ? Le film parle d’une augmentation de 20% du taux de cancer, du fait de politiques d’enfouissement peu catholiques, mais que faut-il mettre en regard ? La Camorra apparaît dans le film comme un service public : elle paie une sorte de RMI à une très vaste population.

Si j’étais à l’intérieur du système aurais-je envie de changer ? Quelle alternative ? Saurais-je trouver un emploi ? Monde dangereux ou société qui a des règles claires ; où ceux qui meurent sont les membres de gangs pour qui le risque est le piment de la vie ? Pas d’anxiété de survie, grosse anxiété d’apprentissage ?

Anxiétés et changement : Serge Delwasse et résistance au changement.

vendredi 26 décembre 2008

Rendons efficace l’intellectuel engagé

L’intellectuel engagé du billet précédent a sûrement une utilité. Depuis Montesquieu et Adam Smith on soupçonne que du mal peut naître le bien. Il en est de même de l’hypocrisie.

L’hypocrite fait la promotion de valeurs sociales importantes. Son tort est de ne pas savoir les appliquer lui-même, ou de s’en servir pour sa plus grande gloire. Les médecins de Molière ont fait une grande publicité à la science. Et, probablement, les économistes et les professeurs de management modernes pavent la voie à une honnête science de la société et des organisations.

Des techniques conseillées à l’artiste engagé :
  • Le feedback négatif est la technique qu’il emploie. Il nous dit que nous faisons le mal. Il veut faire croitre notre « anxiété de survie ». Les psychologues désapprouvent la méthode, parce qu’elle nous met échec et mat : si nous faisons le mal, c’est parce que nous ne savons pas faire autrement (anxiété d’apprentissage). Ce que les Chinois font au Tibet est mal, mais probablement ils ne voient pas d’autre solution pour éviter la dislocation de leur pays. Pour l’homme isolé, le feedback négatif a un rôle dévastateur. Généralement, il essaie d’y échapper en le niant (si je suis nul en maths, c’est parce que l’école ne sert à rien). Le feedback négatif est alors dangereusement contreproductif.
  • Exception : la « tête de lard ». Dans ce cas, le changement ne démarre pas faute d’anxiété de survie, de remise en cause. L’individu croit être dans le bien.
  • Donc, avant d’utiliser le feedback négatif, il faut se demander si celui à qui on veut l’appliquer est victime d’une trop faible anxiété de survie (et le traitement est approprié), ou d’une trop forte anxiété d’apprentissage (et il est contreproductif).
  • Dans ce dernier cas, le feedback positif est de rigueur. Il attire l’attention de la personne qui a besoin de se réformer sur ce qu’elle a fait de bien récemment, et qui, si elle l’appliquait ici résoudrait élégamment la question. L’homme a beaucoup de mal à évoluer, par contre il sait généraliser un comportement qu’il emploie déjà avec succès dans un cas particulier.

Compléments :

  • Le rôle bénéfique de l’hypocrisie a fait l’objet de nombreuses recherches modernes. Exemple : étude sur les sciences du management : MARCH, James G., SUTTON, Robert I., Organizational Performance as a Dependent Variable, Organization Science, Novembre-Décembre 1997. Voir aussi les travaux de Nils Brunsson.
  • Une application possible pour les techniques de feedback : Bernard Kouchner et les droits de l’homme.
  • Les techniques de feedback se trouvent dans : SCHEIN, Edgar, Process Consultation Revisited: Building the Helping Relationship, Prentice Hall, 1999. (Et dans mon livre Transformer les organisations.)
  • Anxiétés et changement : Serge Delwasse et résistance au changement.

Anatomie de l’intellectuel engagé

J’entends un commentaire sur la vie d’Harold Pinter, décédé le 24 décembre.

Je n’ai pas d’opinion sur Pinter, que je ne connais que par le biais des adaptations qu’il a faites pour Losey. Mais le commentaire m’étonne. Pinter a dénoncé l’abomination du monde, dit, en substance, et avec contentement, l’interviewé. Comment peut-on parler d’abomination sans en être bouleversé, sans vouloir la réparer ?
J’ai du mal à concevoir un intellectuel engagé, autrement qu’écorché vif, une sorte de Molière ou de Jules Vallès, qui joue sa peau pour ses idées.

Ce qui m’ennuie dans l’intellectuel et l’artiste engagés modernes, c’est qu’ils ont le monopole de la bonne conscience. Et qu’ils ne prennent aucun risque. Et qu’ils sont extrêmement riches.
Je les soupçonne, pour une grande part d’entre eux, de défendre des idées qu’ils ne comprennent pas, simplement parce qu’il est « bien » de les défendre. Une façon d’excuser une réussite indécente ?

J’y vois surtout une des tactiques individualistes aussi vieilles que le monde : utiliser des valeurs respectées pour imposer, sans discussion, ses idées du moment. Vous devez suivre ce que je dis parce que je sais que j’ai raison. C’est comme cela qu’ont procédé l’inquisition, et tous les totalitarismes.

Compléments :
  • Sur le même sujet : Ronsard, l’hérétique.
  • J’ai jeté un coup d’œil sur la vie de Pinter dans Wikipedia anglais. Elle semble quelque peu paradoxale : lui qui a dénoncé la société anglaise était un fan de cricket, l’époux d’une comtesse de vieille noblesse, et a mené une vie familiale particulièrement heureuse et paisible.

Heidegger pour les nuls


Je rencontre Heidegger, par hasard, au cours de mon exploration de la pensée d’Europe centrale.
J'ai trouvé un livre remarquable sur lui (Martin Heidegger, par George Steiner, The University of Chicago Press, 1987). Ce qui ne corrige pas mon inculture philosophique. Elle s’exprime dans la suite. Qu’ai-je retenu ?

Qu’Heidegger semble avoir eu une énorme influence sur ses contemporains. Les œuvres de Sartre et Camus sont-elles autre chose qu’illustration ? (infidèle, selon Heidegger.) Ensuite qu’il s’en est pris à la pensée occidentale, celle de Socrate et de ses successeurs. Effectivement, nos idées paraissent avoir étonnamment peu évolué. Nous sommes sur des rails.

Question : qu’est-ce qu’être ? Pourquoi pas le néant ? Notre pensée a fait fausse route depuis deux millénaires et demi. Nous avons cherché la réponse (ou avons-nous évité une confrontation inquiétante ?) dans la raison, dans l’abstraction. Ce qui nous a amené à la science, à la technologie, à un monde artificiel, qui détruit le monde réel, et nous avec. Au contraire, la réponse, ou ses éléments, est en nous. En fait, vivre c’est chercher cette réponse, la construire. Réponse que l’on n’obtiendra jamais. La recherche est la réponse. De ce fait philosopher équivaut à vivre. On procède en spirale, en partant d’une première approximation, scientifique (probablement parce qu’on n’a pas mieux, initialement), puis en progressant par étapes : les aléas de la vie, si l’on sait leur être attentif, et exploiter les interrogations auxquelles ils nous soumettent, permettent de se rapprocher de plus en plus de l’essentiel. Moment important : la confrontation avec le néant, qui montre la vacuité de l’existence artificielle, et, du coup, laisse entrapercevoir la réelle nature de l’être.

Heidegger pensait que les Grecs présocratiques avaient été au plus proche de cette vérité. Que leur langue était le langage de l’être. Il a essayé de recréer un Allemand qui reproduirait cette langue originelle (d’où une œuvre difficile). Il croyait aussi que le seul langage capable d’exprimer l’être était la poésie.

Peut-être parce que le nazisme était une tentative de revenir aux origines du monde, une confrontation avec le néant, Heidegger y aurait cru, au moins un moment. Il n’a jamais renié cet engagement.

Pourtant, il ne me semble pas évident que la pensée nazie, pour le peu que j’en sais, soit en accord avec la pensée d’Heidegger, pour le peu que j’en ai compris. Le nazisme n’est-il pas une négation de l’individu ? La philosophie d’Heidegger n’est-elle pas le paroxysme de l’individualisme ? Ne parle-t-il pas, d’ailleurs, de l’aliénation de l’homme dans le groupe ? À moins qu’il y ait un point de rencontre ? La recherche d’un « être » universel, commun à tous. Peut-être voyait-il dans le nazisme une sorte d’opportunité scientifique qui pouvait amener le monde là où il devait aller ? (De même que, pour Adam Smith, la recherche de l’intérêt individuel conduit au bien universel.)
Tout cela me semble compliqué. Mais aussi à George Steiner, qui note qu’il n’est pas certain qu’Heidegger se soit réellement évadé de la pensée dominante. Que ses idées ont une traduction immédiate à la fois en termes de philosophie socratique et de pensée chrétienne. Heidegger disait être trahi par un langage qu’il n’avait pas pu épurer suffisamment des connotations de la pensée traditionnelle. Je me demande aussi s’il est bien raisonnable de démontrer par la raison que la raison est inefficace, qu’il faut la dépasser…

Finalement, que cherchais-je dans ce livre ? La description d’une culture d’un groupe d’hommes qui aurait eu des descendants modernes. Des idées qui expliqueraient des comportements actuels.
Beaucoup d’intellectuels se sont reconnus dans cette pensée. L’absurde a eu un gros succès dans la littérature d’après guerre. Mais n’était-ce pas parce que la guerre avait été le comble de l’absurdité ? La mise en cause dévastatrice de notre vision idyllique du progrès, fruit de la raison ? Une sorte de gigantesque gueule de bois ?

Quant aux Allemands, confrontés quelques années au néant, y ont-ils vu grand-chose d’intéressant ? Ou le néant ? La guerre n’a-t-elle pas démontré que si le chemin que nous suivions était dangereux, ou contre nature, nous étions incapables d’en trouver un autre ? Les idées d’Heidegger ne conduisent-elles pas, comme le Bouddhisme, à un rôle effacé de leurs disciples dans l’histoire ? Les gens qui agissent pensent peut-être mal, mais ce sont les seuls qui m’intéressent.

Compléments :

jeudi 25 décembre 2008

N’oublions pas les responsables de la crise

Il semblerait que l’Eglise ait demandé de prier pour les victimes de la crise. Ce qui m’étonne est que l’on ait aussi peu parlé de ses responsables.

Ennuyeux, si nous ne comprenons pas ce qui s’est passé, nous recommencerons. Or, dit Jeffrey Sachs (Blackout and Cascading Failures of the Global markets, http://www.sciam.com/, 22 décembre), tout étant lié 1) il en faut bien peu pour faire s’effondrer notre château de carte 2) et ce château n’est pas seulement l’économie humaine, mais l’équilibre de la planète
les paris téméraires que le monde a pris durant la récente bulle financière ne sont rien par rapport aux paris à long terme que nous avons pris du fait de notre incapacité à attaquer les crises interdépendantes de l’eau, de l’énergie, de la pauvreté, de l’alimentation, du changement climatique.
Peut-être que si l’on en a peu parlé c’est parce que responsabilité est synonyme de punition. Or, punir les coupables les plus évidents, les financiers pour l’Occident, l’Occident pour le reste du monde, serait suicidaire. D’ailleurs, le premier réflexe qu’a eu l’Occident a été un plan sans précédent d’aide à ces coupables. Les opinions publiques ont bien peu résisté. Quant à l’Orient, il a peut-être cru un instant qu’il pourrait dénoncer nos vices, il se rend compte maintenant qu’il va en être la première victime. Même le très exemplaire Toyota découvre les dangers de sa conquête commerciale du monde. En fait, les coupables les plus évidents ne sont pas humains, mais sociaux.
  1. Amnésie. Comme le dit Jeffrey Sachs et comme il est déjà apparu dans ce blog, il semble bien que non seulement notre crise ressemble à celle de 29, mais que les mesures qui en avaient découlé étaient fort intelligentes. Elles ont été en partie démantelées.
  2. Irresponsabilité. L’irresponsabilité a été élevée au rang de vertu par le monde anglo-saxon. Détourner la loi de son esprit y est appelé « innovation ». Mal profond : la culture américaine veut que l’homme fasse ce qu’il veut à l’intérieur d’un cadre qui lui est fixé par la loi. Tout ce qui n’est pas interdit est permis. D’ailleurs, l'irresponsabilité n’est pas qu’anglo-saxonne. Si la nôtre a moins de conséquences, c’est plus faute de talent que de bonne volonté. Et l’irresponsabilité gagne le monde avec le modèle anglo-saxon.
Sumantra Ghoshal, qui faisait déjà ce dernier constat lors de l’éclatement de la Bulle Internet, montre que les réglementations encouragent l’irresponsabilité. J’irai plus loin, tout ce qui semble être une solution à nos vices ne fait que les empirer (un coupable de plus : ce blog).

Seule solution efficace : augmentation massive de « l’anxiété de survie » de la planète. Tant que nous n’aurons pas vu que nos actes ont des conséquences, tant que les financiers n’auront pas acquis une conscience, tant que les américains n’auront pas saisi que l’essence de la démocratie est la « vertu » (i.e. chercher ce que veulent vraiment dire les lois et non les détourner de leur signification), tant que le « service public » français ne saura pas qu’il est au service du public, tant que nous passerons au feu rouge… nous n'aurons pas d'avenir.

Cette prise de conscience est la condition nécessaire pour la gestion durable de tout « bien commun ».

Compléments
  • Les premières mesures de sauvetages de nos apprentis-sorciers furent le plan Paulson. Elles ont soulevé finalement peu d’objections : Pourquoi le plan Paulson a-t-il été voté ?
  • Sur le modèle des anxiétés, comme outil de conduite du changement : Serge Delwasse et résistance au changement.
  • De l’irresponsabilité comme vertu : McKinsey explique la crise.
  • GHOSHAL, Sumantra, Bad Management Theories Are Destroying Good Management Practices, Academy of Management Learning and Education, 2005, Volume 4, n°1.
  • Sur le démantèlement des mesures prises suite au crash de 29, voir la référence de : Crise : les économistes en accusation.
  • Ma remarque sur la culture américaine vient de : CROZIER, Michel, Le mal américain, Fayard, 1981. Et celles sur la « vertu » des démocraties, de Montesquieu (De l’esprit des lois).
  • Sur le traitement de la gestion du bien commun par l’économie : Governing the commons.
  • Quant à nos dérèglements nationaux, ils sont probablement le mieux illustré par la déroute de 40 : avant même que la guerre ne commence, chacun renvoyait la responsabilité de la défaite aux autres (BLOCH, Marc, L’étrange défaite, Gallimard, 1990). Mais le génie anglo-saxon ridiculise le nôtre. Nous ne nuisons qu’à nos intérêts, lui menace la planète.
  • L’irresponsabilité est la marque de fabrique de l’individualisme, invention de l’Occident : l’individu pense être seul au monde (voir Norbert Elias). Mieux, l’Anglo-saxon est convaincu que c’est l’homme qui le fabrique (voir Droit naturel et histoire, et Hobbes).

Noël : histoire d’un changement réussi

Wikipedia.fr à l’article Mithra :
Le mithraïsme était alors une religion concurrente du christianisme. Son culte était surtout très populaire dans les armées, ce qui engagea une rivalité farouche entre les croyants des deux religions, à tel point que l'Église dut faire de nombreuses concessions au culte païen de Mithra (on sait par exemple aujourd'hui que c'est parce que le culte de Mithra se situait aux alentours de l'actuel solstice d'hiver que l'on fête Noël le 25 décembre). Dans la Rome païenne avaient lieu les "Saturnales", du 17 décembre aux "Calendes" de janvier (premier jour de l'an romain). L'une des fêtes, "Natalis Invicti" (Nativité de l'Invaincu) ou "Sol Invictus" (Soleil Invaincu), célébrait justement Mithra, dieu de la lumière, symbolisant la pureté, la chasteté et combattant contre les forces obscures. On fêtait le 25 décembre, pour le solstice d'hiver, la naissance de Mithra, le soleil invaincu (Dies natalis solis invicti), par le sacrifice d'un jeune taureau.
On apprend ailleurs que, durant les saturnales, on échangeait des cadeaux. Et que fêter le solstice d’hiver se faisait depuis la nuit des temps.

C’est comme cela que le changement peut être rapide, qu’une religion peut se substituer à une autre en peu de temps : elle reprend les aspects les plus résistants de ce qui lui était antérieur et les repeint à ses couleurs. C’est aussi comme cela que procède un changement dans la société : en faisant travailler les résistances au changement pour lui.

Qu’est-ce que la résistance au changement ?

mercredi 24 décembre 2008

L’homme est naturellement résistant au changement

Un article Internet de Scientific American (Set in Our Ways : Why Change is So Hard, Nikolas Westerhoff, 17 décembre) illustre un de mes thèmes favoris : l’individu évolue très difficilement. Quelques résultats :

  • Indépendamment des cultures, l’homme commence par rechercher la nouveauté. Mais, vers 30 ans, la tendance s’inverse. Le changement devient de plus en plus difficile.
  • Un changement externe (cf. crise) tend à transformer personnellement le jeune, alors qu’il a peu, ou pas, d’effets sur le vieux.
  • Notre propension à changer est fonction de celle que nous avions dans notre enfance. Réflexion : notre enseignement doit-il favoriser le conformisme, comme aujourd’hui ?
  • « le cerveau cherche en permanence à automatiser les choses et à créer des habitudes, à qui il associe un sentiment de plaisir » dit le professeur Gerhard Roth. Plus nous vieillissons, plus nous utilisons des automatismes : ça nous rend efficaces, mais peu évolutifs.
  • Bref, très rapidement, il faut faire avec ce que l’on a. Citation d’Epicure : « ne gache pas ce que tu as en désirant ce que tu n’as pas ; mais souviens-toi que ce que tu as, fut jadis parmi les choses que tu ne pouvais qu’espérer ».
Nous en revenons à deux idées que je crois importantes :
  1. Changer une entreprise, c’est changer son « organisation », pour que ses membres n’aient pas à changer - parce que leur capacité d'évolution est très faible ;
  2. il faut les placer sur leurs forces, qu’il faut savoir reconnaître, et ne pas leur demander de se transformer.

mardi 23 décembre 2008

SDF et droits de l’homme

Attente de métro. Je tombe nez à nez avec une affiche murale : la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Je remarque un article :
Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.
Les droits du SDF ne seraient pas respectés ? Le SDF est un défi à la société moderne. Le SDF n’a plus beaucoup de désirs. D'après un spécialiste de la réinsertion des délinquants, il semblerait même que son horizon se soit réduit à l’instant présent. Bouddhisme et illustration des théories de Robert Merton (le « repli »). Le SDF est inemployable, il ne peut être sauvé par l’économie de marché.

Un ami chasseur de têtes parle d’un cadre supérieur au chômage qu’il a reçu. Que lui proposer ? Seul conseil : « utilisez l’annuaire des anciens élèves de votre (très prestigieuse) école ». C’est peut-être là que se trouve, par contraste, l’explication du phénomène SDF : une rupture de solidarité sociale. Il n’a pas d’annuaire. Plus d’amis et de famille.

C’est le résultat d’un mode d’organisation individualiste. Cela résulte aussi du modèle anglo-saxon d’organisation de l’entreprise, que nous avons adopté. Il tend à la diviser en un management qui la gère pour le compte de l’actionnaire, et en une « entreprise d’en bas », dont on essaie de réduire le salaire en la mettant en concurrence parfaite. Dans une telle configuration, les plus fragiles sont éjectés.

Compléments :

Cheney, le surhomme

Mon dernier billet est injuste avec la Halde : nous rêvons tous d’imposer nos idées à notre prochain. Le cas Cheney.

Matthew Yglesias le cite.
On Fox News Sunday today, host Chris Wallace asked Vice President Cheney, “if the President, during war, decides to do something to protect the country, is it legal?” “I think as a general proposition, I’d say yes,” replied Cheney.
Matthew Yglesias trouve cela dangereux. Nous sommes tous convaincus d’avoir raison, et que nos opposants menacent le pays, qu'arriverait-il si nous pouvions décider seuls ? Durant la guerre froide, la démocratie nous a évité quelques désagréables déboires.

J'ai deux autres idées sur cette question :
  1. Est-ce pourquoi le gouvernement Bush a déclaré la « guerre au terrorisme » ? Il pouvait ainsi se passer de la démocratie ? Les Néoconservateurs (Neocon) étaient convaincus de savoir ce qui était bon pour le monde, pourquoi s’embarrasser d’obstacles inutiles ?
  2. En temps de guerre, réelle, ne faut-il pas suspendre la démocratie ? (Quasi) Certitude : l’homme seul fait systématiquement des erreurs. Il n’y a pas de surhomme. Donc s’il y a « commandant en chef », il doit être avant tout quelqu’un qui sait organiser la réflexion d’un groupe, et celui-ci doit représenter un échantillon représentatif des différents points de vue sur le problème. De la démocratie.
Compléments :
  • Le mythe du surhomme est probablement de création récente. Les rois, par exemple, écoutaient leurs conseillers avant de prendre une décision. (Voir comment le Roi de France prend la très difficile décision de s’engager dans la bataille de Bouvine : DUBY, Georges, Le Dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214, Gallimard 1985.)
  • Les biais systématique de la décision humaine ont été étudiés tout aussi systématiquement : MYERS, David G., Intuition: Its Powers and Perils, Yale University Press, 2004.

Ronsard, l’hérétique

Dans Ronsard mis en examen pour “discrimination” Pierre Assouline parle d’un dernier rapport de la HALDE concernant les manuels scolaires. On y apprend qu’ils véhiculent une vision du monde qui ne correspond pas à notre sensibilité moderne. Et que Ronsard ne serait guère recommandable.
la HALDE juge que le poème de Ronsard “Mignonne, allons voir si la rose…”“véhicule une image somme toute négative des seniors” (p.181).
La Halde nous dit ce que nous devons penser. C’est le biais de l’expert, qui sait, et qui ne comprend pas pourquoi les autres ne pensent pas comme lui. Et qui veut leur imposer sa pensée, sans autre mode de procès. C’est l’essence du fondamentalisme. Et du totalitarisme : imposer à l’individu une pensée qui lui est étrangère.

Comment éviter le biais de l’expert ? Qu’il nous explique pourquoi il pense ce qu’il pense, et qu’il nous laisse penser à partir de là. Mais, de grâce, qu’il ne nous dise pas ce qui est bien ou mal.

Compléments :
  • La Halde croit peut-être, comme les néoconservateurs (Neocon), qu’il y a une bonne façon de penser. Il semble plutôt que la chose soit relative : chaque société à des règles qui la maintiennent en équilibre (Si Dieu n’existait pas…). Ces règles lui sont propres. Juger Ronsard de notre point de vue est ridicule, de même que l’inverse.
  • Autre exemple de relativisme : Black swan.

lundi 22 décembre 2008

Corruption allemande

The Economist déplore la malhonnêteté allemande (Bavarian backsheesh).

Siemens avait institutionnalisé la corruption. Il y avait même un service spécialisé dans le remplissage de valises. Pour réparer ses torts, la société est condamnée à une lourde amende.
The Economist met en regard ces pratiques de république bananière (la France n’a rien à lui envier, ajoute-t-il) et l’admirable rigueur américaine.

Mais, si les pots de vin de Siemens ont eu un tel succès, c’est qu’il y avait des gens pour les accepter. Et un grand nombre d’Américains. C’est cela une culture exemplaire ?

Nous sommes au milieu d’une des plus formidables crises depuis 1 siècle, créée par l’incurie anglo-saxonne. Sa moindre vaguelette (Madoff) est une fraude de 50 milliards d’Euros. Tout le monde est en faute, des organismes de contrôle, au plus haut niveau de l’état (Dr Doom), qui a étouffé les quelques consciences vaguement droites.

Le paradoxe est l’outil principal du changement. Tentative d’utilisation :

Tant que l’Anglo-saxon ne se verra pas tel qu’il est, il ne pourra pas soigner son vice : l’innovation-tricherie. Non seulement nous serons en proie à la crise, mais ses valeurs et ses paroles seront sujettes à une méfiance croissante. Même si elles sont bonnes.

Compléments :

L’Europe change

Interview de Jean-Pierre Jouyet (L'Europe est passée de l'influence à la puissance). Derniers mois mouvementés pour les dirigeants de l’Union Européenne. Ils semblent en sortir épuisés, heureux, et transformés.

Pour une fois que le changement n’est pas une invocation, mais qu’il est un résultat ! Beaucoup de choses semblent avoir changé : les chefs d’états européens ont découvert l’Europe ; ils ont appris à travailler avec la BCE, qui a trouvé une place, une légitimité, et en sort renforcée ; Monsieur Barroso a appris son métier ; et Jean-Pierre Jouyet a changé d’opinion sur de multiples sujets. Nicolas Sarkozy aurait été le catalyseur de ce changement.

Succès sans lendemain ? Y a-t-il du solide, qui soit resté pour assurer les avancées réalisées ? En tout cas, Nicolas Sarkozy ne semble pas prêt à laisser le vide s’installer de nouveau…

dimanche 21 décembre 2008

Google Chrome victime du « Good enough » ?

J’ai vu quelque part que Google Chrome n’était pas un grand succès. Ce serait seulement le 5ème navigateur le plus employé.

Mon cas. Je l’utilise, mais pas seul. Grand intérêt, il est étonnamment rapide. Exemple. Je passe du temps chez Allociné, qui met à genoux Explorer. Chrome charge les pages immédiatement. Mais il y a une faiblesse : le rendu de mon blog (pourtant un produit Google) est moche. Plus amusant. Je rédige mes billets dans Word et je les copie dans l’éditeur de texte de Blogspot. C’est pénible avec Explorer, mais je m’y suis fait. Avec Chrome c’est un cauchemar. En fait, Chrome fait bien mieux son travail qu’Explorer : par exemple il traduit exactement les tailles de polices, il espace le texte… Ce qui me force à défaire ce qu’il a fait.

Ça me rappelle une histoire que l’on m’a racontée. Un directeur financier d’une multinationale disait que l’ERP qu’on venait d’installer faisait des erreurs : il ne permettait plus la créativité comptable nécessaire au sein aspect de son bilan…

Les mésaventures de Chrome illustrent peut-être les propos d’Olivier Ezratty (Google, Microsoft et Olivier Ezratty) : le monde Internet se contente du « good enough ». Pour percer il faut un tremblement de terre.

Les matheux à la lanterne

Denis Guedj dénonce le dévoiement des mathématiques par la finance (Ces mathématiques vendues aux financiers). Un article, brillant, repéré par Hervé Kabla (Denis Gudej n'aime pas les maths financières).

Il se trouve qu’il parle de l’université Paris-Dauphine (« succursale de Wall street »), et que je me trouvais dans cette université il y a peu. D’après ce que j’ai cru comprendre, les financiers n’y pavoisent plus. Plus de débouchés, plus d’élèves. Et les enseignants protestent de leur honnêteté. Va-t-on découvrir qu’ils furent des résistants de l’ombre ? Denis Guedj tire-t-il sur un corbillard ?

Plutôt que de dénoncer des coupables, pourquoi ne pas se demander ce qui est arrivé et comment ne pas recommencer ?

Pourquoi des centaines de milliers de gamins ont-ils brutalement cru qu’ils étaient des génies, simplement parce qu’ils avaient fait des études scientifiques ? (ça faisait beaucoup de génies d’un coup !) Pourquoi ont-ils cru que leurs modèles prédisaient l’avenir, alors que la science dit que c’est impossible (et que les génies patentés se sont trompés plusieurs fois dans leur vie) ? Pourquoi n’ont-ils pas eu la rigueur scientifique de reconnaître leurs erreurs quand elles sont devenues évidentes, pourquoi, finalement, ont-ils triché pour couvrir leur débâcle ?

Bug dans notre enseignement scientifique ? Il enseigne un positivisme béat et ringard ? Il oublie l’essence de la science : l’humilité ? Et surtout il oublie de nous dire que l’homme est stupide sans l’aide de la société ? Que le génie ça n’existe pas ?

Complément :

Black swan

Film de Henry King, 1942.

J’ai une théorie sur le cinéma : ceux qui assistent à une séance on quelque chose en commun. Il y a homogénéité des spectateurs. C’est un moyen de découvrir les particularités de sa personnalité. Cette fois-ci la salle était faite de jeunes enfants, et de leurs parents. Point commun ? Peut-être une vision de ce qui est bon pour la jeunesse. Ce qui nous plaisait à son âge ? J’aurais volontiers amené ma plus jeune filleule voir ce film. Et elle l'aurait trouvé détestable.

D’ailleurs, il est effroyablement peu politiquement correct. Il s’ouvre sur le pillage d’une ville. Les mâles sont passés au fil de l’épée et les femmes enlevées par l'équipage du héros. En 65 ans, la morale a évolué...

Historiquement, tout est invraisemblable : les pirates s’y battent comme des mousquetaires (de film), les personnages ont des sentiments qu’ils ne pouvaient avoir en leur temps, et, pire, se mésallient sans arrière pensée. Les comédiens du 17ème siècle, qui jouaient au Grec en costume de leur époque, n’étaient pas plus ridicules que ces pirates.

Ce que nous cherchons dans l’art, ce sont des sentiments de notre temps. La vérité historique n’y a pas de place. Elle est d’ailleurs probablement incompréhensible.

samedi 20 décembre 2008

Élie Barnavi et l’Europe

Pierre Assouline (L'Europe, combien de divisions ?) commente un livre d’Élie Barnavi sur l’Europe. 2 idées m’interpellent.
  1. Élie Barnavi aurait aimé que les racines chrétiennes de l’Europe soient rappelées dans le préambule de sa constitution.
    Tocqueville et Chateaubriand l’auraient sûrement approuvé, eux qui comptaient sur la religion chrétienne pour adoucir un « libéralisme » barbare.
    Quant à moi, l’évocation de ces racines chrétiennes m’a choqué. Probablement question de culture. 1) Je suis finalement un fanatique de la laïcité, qui, dans mon panthéon personnel, s’est constituée contre l’Église ; 2) la foi chrétienne, au moins au sud de l’Europe, est fortement influencée par un paganisme antérieur (cf. ribambelle des saints) – si l’on veut de la racine, pourquoi s’arrêter en chemin ? ; 3) c’est au nom de la religion chrétienne que les peuples européens se sont entre-égorgés, que la France a connu ses plus grandes guerres civiles, et s’est vidée d’une partie de sa population, qu’on a brûlé de l’hérétique, que l’on en a décousu avec le slave ou l’infidèle… ; 4) et, l’Europe, justement, a été créée pour mettre un terme à ces guerres.
    L’Europe, comme la France moderne (celle de « liberté, égalité, fraternité »), comme les USA (refuge contre l’intolérance religieuse anglaise), s’est construite pour la plus grande gloire de valeurs idéales. En réaction à un passé terriblement douloureux. J’ai vécu le retour des racines chrétiennes comme une tentative de révisionnistes revanchards.
  2. Élie Barnavi s’oppose à l’entrée de la Turquie dans l’Europe, au motif qu’elle n’a rien en commun avec nous ; que ceux qui la poussent dans nos bras veulent faire de l’Union Européenne un espace sans foi ni loi, autrement dit un marché.
    Argument faible. L’Europe, c’est un projet. Pourquoi une nation en serait-elle exclue au nom de son passé ?
    D’ailleurs, l’Europe n’est pas, comme je l’ai cru, seulement une vaste zone de libre échange. Mais un formidable mécanisme pour faire rendre gorge aux nationalismes.

Sur Tocqueville et Chateaubriand : MANENT, Pierre, Histoire intellectuelle du libéralisme, Hachette Littérature, 1997.
L’Europe est-elle une communauté ?

Barak Obama mécontente les homosexuels

Certains font des gaffes qu’ils regrettent, pas Barak Obama. Il semble penser la moindre des ses décisions jusqu’à ses plus ultimes conséquences.

Depuis quelques jours la presse anglo-saxonne débat de son choix d’un pasteur, colossalement populaire mais peu ami des homosexuels, comme officiant lors de la séance d’investiture présidentielle.

Barak Obama a pris l’émoi frontalement. Peut-on le soupçonner de ne pas être favorable à la cause homosexuelle ? Non. Ce qu’il veut ? Que la nation américaine ne se divise par en fractions hostiles. Qu’elle s’unisse. Pour cela elle doit affronter ses divergences.

Politiquement, la manœuvre est habile : le pasteur en question représente une Amérique d’en bas hostile vis-à-vis de l’élite intellectuelle qu’Obama personnifie. C'est un signe formidable de réconciliation.

Réflexion sur la démocratie ? La démocratie ce n’est pas la dictature de bons sentiments qui clouent le bec à une majorité. De ce fait envenimant les hostilités jusqu’à ce qu’elles explosent. Ce n’est pas plus la majorité qui réduit au silence la minorité. La démocratie c’est le débat qui se nourrit de convictions opposées, apparemment, mais qui résultent de perspectives différentes. Et qui en déduit une vérité qui les transcende.

C’est un exemple de traitement de « déchet toxique ». La difficulté du procédé est, c’est évident ici, de le dévoiler. Comment ne pas terminer en martyr ? Faire appel à des principes supérieurs à ceux en cause. Si Barak Obama veut attaquer le racisme américain, il devra éliminer les conventions qui l’empêchent de s’exprimer. Pour faire surgir ses racines et les éliminer. Il aura besoin de ce type de techniques.

Quant à lui, 2 observations.
  • Une confiance surprenante en sa capacité à affronter les questions les plus délicates. En la puissance de la raison, et de la sienne en particulier. Mais la raison peut-elle toujours dompter l’émotion ? Surtout si c’est celle d’une nation ?
  • Cette confiance en soi a quelque chose d’inquiétant : et s’il n’écoutait pas suffisamment ? S’il négligeait, un jour prochain, le signal d’un malaise mal exprimé ?

Dial it down a notch, President-elect Barack Obama tells gays, Michael McAuliff, Daily News, 19 décembre.
De la liberté.
No drama Obama.

vendredi 19 décembre 2008

Capitalisme et confiance

Nouvelle série d’articles sur Bernard Madoff. Parmi les bizarreries relevées par les observateurs : manque de contrôle par l’organisme de réglementation des marchés financiers américains (la SEC), et légèreté. (Peu de gens se sont émus que le fonds de M.Madoff soit contrôlé par un cabinet d’audit de 3 employés, dont un de 78 ans, habitant la Floride, et une secrétaire...)

Dans BNP escroquée par Madoff, j'ai parlé de deux techniques d’influence. Il semblerait qu’une troisième s’y soit ajoutée : la « rareté ». La rareté fait perdre tout sens commun à l’homme. (C’est ainsi que les enchères nous rendent fous : plus qu’un jour, stock limité…)

HSBC lent $ 1bn to a handful of feeder funds, while BNP lent €350m and NomuraY27.5bn ($307m).
The banks earned hefty fees from their lending, leading to an increase in the size of the teams running fund derivative businesses over the past few years.
John Godden, head of IGS, the consultancy, said: “it became increasingly competitive and, every time a bit of capacity became available in the Madoff feeders, the banks had to lap it up and move quickly. So they don’t go and do the due diligence.”
Cependant, comme je le soupçonnais, la confiance a perdu beaucoup de monde :
“There were so many people who trusted someone”, (Simon Ruddick) said, describing a willingness to rely on other trusted investors as “passive due diligence”.

L’affaire Madoff, et, plus généralement, la crise actuelle, montrent que le système capitaliste a été infiltré par des parasites qui ont profité de la confiance qu’on leur faisait pour le dynamiter. Richard Foster (McKinsey explique la crise) fait du capitalisme un jeu de gendarme et de voleur entre régulateur et entrepreneur. Pourtant, ça ne semble pas avoir été toujours le cas : la devise de la bourse de Londres est My word is my bond (je n’ai qu’une parole). Et Max Weber disait que le capitalisme s’est bâti sur la morale protestante, et, qu’aux USA, à la fin du 19ème siècle, l’appartenance à une communauté religieuse était la preuve de sa solvabilité (la communauté payant les dettes de ses membres).

La morale américaine a subi une mutation : le capitalisme peut-il lui survivre ?

Compléments :

jeudi 18 décembre 2008

Disparition de l’industrie occidentale

Denis Debaecker, invité du club économie, illustre des erreurs qui ont mis à mal l’industrie américaine et française.

  • Une étude qu’il a menée auprès des employés d’une multinationale industrielle. Les interviewés n’ont aucune confiance dans les informations qu’ils reçoivent. Ils recherchent l’information auprès de leurs proches (conversations, téléphone, mail). Les bases de données de la société ne sont quasiment pas utilisées.
  • Dans le monde de l’électronique, il est habituel de sous-traiter sa production au plus offrant. Qualcomm a découvert que pour conserver des marges raisonnables (quand même très faibles), elle devait connaître parfaitement le métier de ses fondeurs, et même organiser leur travail. Les délocalisations telles qu’elles ont été pratiquées par beaucoup (abandon du savoir-faire au sous-traitant mis en concurrence parfaite) ne sont pas viables.
  • Boeing profite de la crise précédente pour licencier 30.000 personnes aux USA. Lorsque la conjoncture s’améliore, elle les remplace par une sous-traitance massive, à l’étranger. Ses sous-traitants s’installent dans ses usines. Graves problèmes de qualité et de coordination. Le développement de ses deux nouveaux modèles a pris deux ans de retard. Aujourd’hui la direction semblerait faire marche arrière.
  • Un ancien patron de GE prend la tête de 3M. Il rationalise la production de la société. Amélioration initiale, puis plongée. La société n’est plus innovante. Et l’innovation était son moteur. Un nouveau dirigeant s’efforce de rétablir la primauté de la recherche.
  • Une étude a montré que les entreprises qui se sortaient le mieux des crises étaient celles qui avaient conservé des « ressources ». C'est-à-dire qui n’avaient pas procédé à des rationalisations excessives. Intérêt ? Probablement, elles avaient gardé une diversité et une richesse de personnels et de compétences nécessaires pour s’adapter aux aléas d’une crise, par nature imprévisibles.

Compléments :

Droit au travail

Le texte qui inspire A lire absolument explique que l’inefficacité de l’entreprise et que la souffrance de ses employés viennent de la même cause : on croit qu’il faut forcer l’employé à travailler. Or, au contraire, il cherche une réalisation sociale. Pour bien vivre il doit bien faire son travail.

L’organisation actuelle du travail est contreproductive. En tendant au pilotage par la performance individuelle (carotte ou bâton), elle empêche la coopération, le travail d’équipe, qui est nécessaire au succès de toute activité humaine. L’entreprise est donc piteusement inefficace. Pour ses employés c’est un échec personnel (honte, maladie, suicide).

Le manager ne doit pas être celui qui dit ce qu’il faut faire, qui force. Mais celui qui apporte les conditions qui permettent au groupe humain de faire ce qu'il aspire à faire. C’est exactement l’idée fondamentale de mes livres, qui vient d’une constatation empirique. Ce qui empêche l’organisation de bien marcher, c’est un blocage. Si on l’élimine, elle saura naturellement quoi faire.

Une entreprise qui rate, c’est une anxiété de survie élevée. L’acte essentiel de la conduite du changement, c’est faire baisser l’anxiété d’apprentissage.

Les droits de l’homme, enfin. J’en déduis que :

  • Le travail est un droit pour l’homme. Pas tant par la rémunération qu’il lui apporte que parce qu’il l’aide à se construire. Mais c’est un droit à travailler efficacement.
  • Le dirigeant en particulier, et tout employé en général, ont un devoir : c’est de donner à leur organisation les moyens de bien faire son travail.

Compléments :

Valeo est restructuré

Informations, ce matin. On annonce de sévères restructurations chez Valeo. Un syndicaliste observe que l’activité de ses usines est nulle. Mais se demande si la direction de l’entreprise ne prend pas excuse de la crise pour alléger ses effectifs.

Cette méfiance indique très probablement que l’histoire a conduit les employés de Valeo à se méfier de leurs dirigeants. Ce n’est pas partout le cas. Un manager d’Essilor me disait que ses membres faisaient ce qu’on leur disait de faire sans arrière-pensée. Confiance bâtie au cours des années.

Il faut probablement relativement peu de temps pour transformer les modes d’interprétation d’une organisation. Il suffit de tenir parole suffisamment longtemps. Un dirigeant avec qui je travaillais a annoncé un plan de développement agressif à son entreprise. Elle avait subi dix ans de restructurations. Elle a entendu « restructuration ». Et a vu la fermeture d'une usine. Le plan a réussi. Quelques mois plus tard lorsque le dirigeant a voulu réorganiser l'usine qu'on avait cru menacée (pour des raisons de logistique), il n’y a eu aucune inquiétude : l’entreprise savait qu’il ferait ce qu’il disait.

Cet exemple est développé dans : Conduire le changement : transformer les organisations sans bouleverser les hommes.

mercredi 17 décembre 2008

Nicolas Sarkozy et le changement : suite d’enquête

D’après une source apparemment bien informée…

Il semblerait que Nicolas Sarkozy, au moins à l’Élysée, utilise la technique de « l’ordinateur social ». Les idées de réformes sont analysées par des commissions pluridisciplinaires d’experts (« pas des énarques ») qui en jugent les possibilités de mise en œuvre.

Est-ce partout les cas ? Ces commissions sont elles constituées de personnes qui ont la responsabilité de la mise en œuvre de ces mesures (et pas seulement des théoriciens) ?

En tout cas, le gouvernement semble acquérir un savoir faire de conduite du changement respectable.

Inde : équilibre miraculeux ?

The Economist se félicite de la démocratie indienne (The democracy tax is rising / special report on India).

Mais il en donne une image effrayante. Une nuée de partis, des alliances qui semblent aller et venir (l’alliance gouvernementale est constituée de 13 partis). Sur 522 députés, 120 font l’objet de poursuites judiciaires, dont 40 accusés de crimes.

Ce qui semble compliquer les choses est ce que Norbert Elias appelait le « nous », le niveau ultime d’intégration. Les pays occidentaux ont un « nous » qui correspond à la nation. Le Liban est divisé en communautés. En Inde, le « nous » semble influencé par la caste. Or, non seulement il y a beaucoup de castes, mais la caste est une réalité locale.

Est-ce parce que l’Inde est une démocratie que The Economist lui trouve autant de qualités ? Ou est-ce vraiment l’attachement de l’Inde à la démocratie qui tient ensemble ses composants volatiles ?

Le système des castes en Inde : DUMONT, Louis, Homo hierarchicus, Gallimard, 1966.

Madoff ou l'Amérique triomphante

Un dessin de Jean-Pierre Bove.

mardi 16 décembre 2008

Rayonnant Madoff

Bernard Madoff semble s’être toujours comporté avec la plus claire des confiances. Se ventant même de son insolent succès.

Escroc de génie ? Autre hypothèse, qui m’est venue en tête à la lecture de l’histoire d’Enron. Les grands scandales américains sont le fait de personnes persuadées d’être dans le droit chemin. Certes, elles font des entorses à la loi, mais la fin ne justifie-t-elle pas les moyens ? Richard Foster, ancien directeur du plus prestigieux cabinet de conseil mondial, ne leur donne-t-il pas son absolution ? Le capitalisme n’est-ce pas une infraction aux règles de la société qui a été couronnée de succès ? La loi du Far West.

Et n’était-ce pas la doctrine néoconservatrice, son interprétation de l’œuvre de Léo Strauss ? La ligne de conduite de la présidence Bush ? Et, plus généralement, l’explication de l’usage politique des droits de l’homme par les gouvernements américains ?

Complément :