lundi 30 mars 2009

Rousseau et moi

Y a-t-il quelque chose de commun entre ce que je dis de l’entreprise et ce que Rousseau dit de la société (Le contrat social) ?

Intérêt de la société pour l’homme

Pour Rousseau, ce que demande l’homme à la société, c’est la protection.

Je pense qu’elle ne lui apporte pas que cela. La société nous permet d’obtenir ce que nous ne pouvons pas obtenir seuls, en échange de l’exercice de nos talents, de ce que nous aimons faire. Elle nous permet de nous spécialiser sans arrière pensée (Einstein ou Picasso auraient eu du mal à éclore dans la jungle). En cela, j’approuve Adam Smith et sa Richesse des nations. Si la société nous protège, c’est surtout en s’adaptant aux changements de notre environnement, sans nous demander de changements dont nous sommes incapables. C’est le thème principal de mes livres.

La société peut avoir des « organes »

Pour Rousseau, il est dangereux que des groupes se constituent au sein de la société. Ils vont développer des intérêts propres qui vont entrer en conflit avec ceux de la société. On retrouve le « détournement de but » que l’organisation bureaucratique suscite selon Merton.

J’observe que les différents services d’une organisation marchent comme des « organes ». Ils sont spécialisés, mais ils servent la cause commune (il me semble que c’est aussi la thèse d’Herbert Simon dans Administrative Behavior). Le tout est de s’assurer régulièrement qu’ils partagent bien les valeurs du groupe. Comme dans la théorie de Darwin, il faut leur éviter l’isolement, sous peine de l’émergence de nouvelles espèces.

La création et l’exécution des lois

Mes missions se déroulent de la façon suivante. La direction d’une société identifie une adaptation que doit subir son entreprise (éliminer un dysfonctionnement qui lui a été signalé par son organisation), ou un objectif nouveau (entrer sur tel marché). Elle demande à la « task force » des managers responsables de la mise en œuvre de la mesure un plan d’action détaillé. S’il manque tel ou tel savoir-faire à ces managers, ils font appel aux « hommes clés » de l’organisation qui les possèdent. Une fois le plan d’action approuvé, il est appliqué.

La conception du plan d’action est une simulation de ce qui va survenir ensuite. Il en sort le nouveau fonctionnement de l’entreprise, sa nouvelle « organisation », c’est-à-dire les « lois » qui vont la guider. Mais, contrairement à ce que pense Rousseau, ces lois sont plus implicites qu’explicites : le travail de groupe crée une équipe. Chacun apprend à comprendre l’autre à demi-mots. Cette « fraternité » se manifeste principalement en face de l’aléa : l’organisation réagit comme un seul homme, sans quasiment avoir à se concerter.

Il n’y a ni législateur ni gouvernement dans ce modèle. C’est le « corps social » qui effectue directement le travail législatif et d’application des lois. L’animation du changement est le mécanisme qui traduit la « volonté générale » en lois conformes à la culture de la société.

Ce mécanisme permet une régénération permanente de l’entreprise. Mais est-ce suffisant pour la rendre immortelle ? J’observe que conduire le changement consiste généralement à réinterpréter les principes fondateurs de l’entreprise en fonction de nouveaux événements (cf. cas de la presse : Faire réfléchir les élites et former les masses, Disparition de la presse). Mais, probablement en accord avec Rousseau, si sa « constitution » initiale manque de potentiel, l’entreprise doit être peu durable. D’un autre côté, l’entreprise, comme une nation, absorbe de nouvelles idées de l’extérieur, ce qui lui permet peut-être de dépasser ses limites originelles.

Au passage, je note que contrairement à ce qui se passe dans notre République, la promulgation de chaque « loi » correspond à un changement. Donc 1) il y a peu de lois ; 2) mais leur conception implique toute l’entreprise : tout le monde est concerné et au courant du changement. À méditer par des gouvernants qui nous croient trop idiots pour nous faire participer à l’écriture des lois et qui s’étonnent ensuite qu’elles ne soient pas appliquées.

Rôle du dirigeant

Cette discussion pose la question du dirigeant. Le modèle anglo-saxon lui donne tous les pouvoirs : sans lui rien n’existe. Ça me semble faux.

En premier lieu le dirigeant occupe une fonction qui est utile à la vie de l’organisation, et que, d’une certaine façon, tout le monde pourrait occuper : l’organisation hiérarchique de l’entreprise demande, pour que chacun puisse se concentrer sur sa fonction propre sans arrière pensée, que quelqu’un paie les notes de ses fournisseurs, signe les bons de commande, ait une vue globale de l'entreprise (pour l’améliorer), s’intéresse au long terme, coordonne le travail collectif…

Au cours du changement, la direction est un organe qui a un rôle similaire, non supérieur, à celui des autres unités de la société : elle injecte son point de vue dans le travail commun, comme doit le faire le reste de l’entreprise, sans quoi le résultat final sera insatisfaisant. C’est ce travail commun qui assure qu’aucun organe ne se désolidarise du groupe.

D’ailleurs, comme pour le corps humain, le signal du changement vient autant du cerveau que de ses membres.

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