dimanche 26 avril 2009

Chronique d’une crise / décodage

Le billet précédent, la bataille du ministère des finances américain contre la crise, est un exemple de tentative de conduite du changement (éviter la crise). Enseignement ?

Le texte est assez long (50 pages), mais pudique et ne dit presque rien de ce qui s’est passé dans les têtes et dans les organisations. En particulier l’introduction laisse entendre qu’il y a eu dysfonctionnement au sein même du ministère mais on n’en saura pas plus. Pas très facile d’en tirer quelque chose.

Conduite du changement à l’américaine

Il est possible que l’action d'Henry Paulson et de son équipe ait été fortement inspirée par la culture américaine. On y retrouve :

  1. La conviction qu’en travaillant dur et en mettant des moyens disproportionnés on peut résoudre n’importe quel problème. Il me semble que cette conviction est une conclusion tirée des moyens employés lors de la seconde guerre mondiale. Elle s’est traduite depuis par des initiatives qui se sont appelées « guerre à… » (la pauvreté, la terreur…).
  2. Une croyance un peu aveugle dans la science : il y a un lien direct entre le ministère et la communauté scientifique (Philip Swagel enseigne d’ailleurs aujourd’hui à l’université de Chicago). Le meilleur de la recherche a été appliqué à la crise.

Passage en force et complexité du monde

Plus généralement, il est tentant de voir dans ces mésaventures une nouvelle illustration des conséquences bien connues des théories positivistes. Nous pensons, pour beaucoup d’entre nous, que l’avenir est prévisible, qu’il existe ce que Taylor appelle « the one best way », la seule bonne solution. Ce n’est pas le cas et la science l’a compris il y a fort longtemps. Mais nous tardons à nous en rendre compte.

La science dit que le monde est « complexe », parce que, notamment, il est caractérisé par

  • des systèmes de maintien du statu quo (cf. thermostat),
  • une tendance au « chaos », c'est-à-dire qu’un changement microscopique peut devenir macroscopique (fameux « battement d’aile du papillon »).

Exemples de ces deux phénomènes ?

  • Un très grand nombre de mesures du ministère, apparemment bénéfiques, sont tuées parce qu’elles ont des effets « inattendus ». (L’effet inattendu semble même ce qui caractérise le mieux les deux ans passés par Philip Swagel au ministère des finances.) Généralement elles nuisent à une partie du marché, qui les combat, ou elles rencontrent une loi « les contraintes légales ont été omniprésentes pendant la crise ».
  • Le cas Lehman Brothers pourrait parler de chaos : l’effondrement de la société provoque une panique qui semble n’avoir aucun fondement, mais qui menace d’effondrement le système financier mondial. Bizarrement AIG semble illustrer l’inverse. Ces deux cas sont une étonnante démonstration des limites des capacités intellectuelles de l'homme : les décisions de ces gens très intelligents se sont révélées systématiquement des désastres.

Communication de crise

Le positivisme se traduit par conduite du changement = passage en force (puisque je sais ce qui est bien, il suffit de l’appliquer). À part l’effet inattendu des mesures décidées, ce qui revient le plus souvent dans ce texte est un problème majeur de communication, avec le congrès, dans le meilleur des cas, et avec le pays d’une manière générale. Du coup, non seulement le ministère des finances est impuissant, mais ceux qui savent parler au peuple lui imposent leur bon sens, qu’il sait être stupide (par exemple des garanties, dont le coût, dans les faits, vient s’ajouter à celui des mesures qu’il préconise). Les conséquences de ce bon sens ont l’effet paradoxal de torpiller ses mesures et de le rendre responsable de l’échec. Pas possible de se défendre : il a perdu depuis longtemps la bataille de la communication.

Exemple typique de « communication de crise ». Le principe central de la communication qui doit accompagner le changement est « voix du peuple, voix de Dieu » : le congrès et le peuple ont le pouvoir, leurs désirs sont des ordres. La logique de ces désirs, qui est tout à fait respectable, doit être comprise et utilisée comme une contrainte de mise en œuvre du changement. Non ignorée, ou méprisée.

Construire l’équipe

Plus généralement le ministère Paulson semble avoir ignoré la dimension sociale du changement :

(le) processus de prise de décision (a été gêné par) des obstacles que nous nous sommes imposés (…). Notables parmi ces obstacles se trouvaient une désorganisation chronique au sein du ministère lui-même et un processus politique généralement peu rigoureux au sein de l’administration (et parfois des relations tendues entre le ministère et le personnel de la Maison blanche), qui rendait difficile de diriger les énergies de l’administration dans une même direction.

Très peu de dirigeants et de gouvernants comprennent ce qui est évident à l’entraîneur sportif : si leur équipe n’est pas soudée, elle ne peut pas gagner de match. Ils pensent qu’il suffit de lui donner des ordres pour qu’elle les mette en œuvre. Grossièrement faux.

D’ailleurs la situation d’Henry Paulson était difficile : il devait construire son équipe et s’assurer de la cohésion de l’administration Bush.

Ordinateur social

Résoudre ces problèmes est délicat. Cependant, il existe un principe général qui peut être utile. Il est à l’exact inverse de ce qu’a fait Henry Paulson. Ce principe est de contrôler le processus du changement, de ne pas laisser la mise en œuvre du changement au hasard des caprices de la complexité du monde.

  • Celui qui conduit le changement doit annoncer de quel changement il s’agit. Ici éviter une crise. Deuxième mission, indiquer les problèmes à résoudre : banques sous-capitalisées, emprunteurs à remettre à flots, prix de l’immobilier à stabiliser…
  • On ne lui demande pas de résoudre ces questions, mais de rassembler des représentants de ceux qui devront appliquer les résultats du changement (représentants des banques, du peuple, des entreprises…), de leur proposer une méthodologie de résolution (par exemple d’évaluer les forces et les faiblesses des solutions qui ont émergé, et d’en tirer un compromis), et d’animer leur travail.
  • Une fois qu’un plan d’action satisfaisant est trouvé, il a peu de chances de rencontrer obstacles ou résistance au changement, puisqu’il a été conçu par ceux qui doivent l’appliquer. (En fait, le plan de mise en oeuvre doit prévoir un mécanisme de résolution de ces questions.)

Une telle démarche est robuste à l’aléa : si un « problème à résoudre » imprévu surgit, il peut-être traité de la même façon.

Compléments :

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