mardi 26 mai 2009

Stretch goal

Stretch goal : terme technique souvent employé par les universitaires du management, les consultants et moi. À force d’en entendre parler, je me demande s’il n’a pas un sens que j’avais raté :

L’idée qu’il véhicule est que le succès est à la dimension de l’objectif. À vaincre sans péril on triomphe sans gloire. D’ailleurs, paradoxalement, un ami psychanalyste m’a fait remarquer que plus l’objectif est démesuré, plus il est facile à atteindre. Demandez à vos collaborateurs d’arriver à l’heure à une réunion, échec certain ; ils auront plus de chances de trouver le moyen de sauver votre entreprise de pertes effroyables. Pourquoi ? Parce qu’un objectif invraisemblable nous fait perdre nos repères, oublier ce qui nous semblait impossible. Il est donc propice à la créativité.

Mais je crois déceler une dérive, principalement anglo-saxonne. Si je suis un grand patron, je dois me donner des objectifs insensés. Je les atteindrai : ne suis-je pas un héros ? C’est ainsi que fonctionnait Enron. C’est aussi peut-être ce qui explique la bulle spéculative et son gonflage par les meilleurs d’entre-nous ?

Si l’on dérive plus loin, on en vient à croire que le meilleur héritage que nous puissions laisser à nos enfants est un désastre écologique. N’est-ce pas une preuve de confiance ? Du coup nous pouvons détruire la planète sans autre considération. C’est la fameuse « destruction créatrice » qui avait un tel succès pendant la nouvelle économie. C’est aussi un élégant moyen de faire mentir Malthus. Je me demande si l’échec des prévisions de Malthus n’a pas amené certains à penser que non seulement l’homme n’est pas menacé d’épuiser la planète, mais que c’est parce qu’il l'épuise qu’il doit être génial. Alors, il est contraint de sauver sa vie, et doit donner le meilleur de lui-même, d'où invention, technologie… La catastrophe imminente est le moteur de la science. Jouons donc avec le feu, ça stimule notre anxiété de survie.

J’en arrive à me demander (une fois de plus) si la science économique et du management n’a pas pour seul objet de démontrer qu’il faut laisser les classes d'affaires faire ce qu'elles veulent.

Compléments :

  • Ces considérations pourraient compléter le paragraphe « lutte des générations » de mon billet sur l’Individualisme.
  • L’usage de la science par la classe possédante pour défendre ses avantages acquis remonterait, au-delà d’Adam Smith, à l’aube de la pensée anglaise : Droit naturel et histoire.

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