mercredi 31 juillet 2013

Le changement chez France Culture

Petit déjeuner. Une émission me tire de ma torpeur. France Culture parle de changement ! Et avec un vocabulaire qui m'est familier.

Le plus intéressant est que l'émission (S'il fallait changer quelque chose ?) n'est pas tombée dans le biais ordinaire du changement français. Celui qui veut que l'on condamne. Que l'on demande des coupables. Ou que l'on se fasse justice au mépris de la loi. Non. L'émission parle de gens qui prennent leur sort en main. Et qui changent le monde dans la légalité. Hier, c'était un avocat qui se bat apparemment avec succès contre les licenciements sauvages. Aujourd'hui, il était question d'une sorte de co développement de l'habitat social. 

Thérapie génique

Je découvre la thérapie génique avec beaucoup de retard. La thérapie génique consiste à modifier le patrimoine génétique d'une personne, pour la soigner. Pour cela on utilise des "vecteurs" qui vont transporter les gènes que l'on veut ajouter. Ce sont souvent des virus redoutables (dont celui du sida - vecteur lentiviral), que l'on modifie. Plusieurs choses me frappent :

Ce faisant on transforme le patient en OGM. Or, alors que l'OGM nous terrorise quand il s'agit de légumes, il nous réjouit quand il faut nous soigner...

Ce qui est dit des OGM semble aussi possible en ce qui concerne la thérapie génique : ses conséquences ne paraissent pas parfaitement maîtrisées :
L'intégration des vecteurs rétroviraux dans le génome de la cellule cible, si elle est un atout majeur pour la pérennisation et la transmission de l'information génétique, représente néanmoins une difficulté en termes de sécurité. Deux essais cliniques utilisant les vecteurs rétroviraux murins pour modifier les cellules hématopoïétiques (traitement de l'immunodéficience liée à une mutation portée par la chaîne gamma-c du récepteur à l'interleukine-2 (...), et traitement de la maladie de Gaucher) ont conduit à l'apparition de formes de leucémies chez les patients.

mardi 30 juillet 2013

Consultant = escroc?

Une spécialistes des relations avec la presse me dit qu'un journaliste ne voudra jamais discuter avec un consultant. On ne peut pas avoir confiance en la parole d'un consultant. Pour pouvoir être écouté par la presse, il faut s'appeler autrement. Économiste par exemple.

lundi 29 juillet 2013

Globalisation acte 2 : la fin

Pays émergents : la fin du miracle. Ils ont profité d’un moment favorable. L’élite occidentale les a vus croître sans inquiétude. Et les chaînes d’approvisionnement ont rendu possible un développement explosif. On n’en connaît pas encore toutes les conséquences (écologiques, en particulier). Mais cet épisode a produit des effets pervers. Les émergents ont accumulé des dollars, ce qui a abaissé le prix de leurs exportations, et encouragé les émergés à vivre à crédit. Tout se termine avec un monde en déséquilibre, et en crise. Chacun se replie sur soi. Et les prochains pays émergents n’apportent pas assez de personnes pour alimenter un nouveau boom. The Economist aimerait que, cette fois, on évite un conflit.

La crise et ses remous :

La Belgique change de roi. Est-elle l’image de la zone euro ? « piégés dans un mariage royal arrangé. Ils continuent ensemble parce qu’ils n’osent pas y mettre un terme. » Le Moyen-Orient se transforme. « Le toujours puissant Etat égyptien avec l’appui nouveau de l’opinion publique et l’argent des pays du Golf, ennemis des frères musulmans, vont vraisemblablement contenir les islamistes, bien que, probablement, au prix d’une violence modérée. » « La Syrie en tant que pays a cessé d’exister. Différentes parties appliquent différentes lois, allant des anciennes lois nationales à la sharia ou à aucune loi. Les économies sont locales et dépendent de nouvelles affaires liées à la guerre. Différents drapeaux flottent sur les bâtiments administratifs – quand ils existent encore. » Détroit fait faillite. Symptôme d’un problème national. Les villes et les Etats ont promis des retraites et des régimes sociaux à leurs employés, dont ils n’ont jamais eu les moyens. Prévenir est trop compliqué. Seule la crise, une série de faillites, peut permettre de résoudre le problème. (L’ajustement porterait sur 2700md$ : quel va être l’impact de cet appauvrissement massif sur les USA ?) Les Républicains estiment que M.Obama a employé des moyens déloyaux pour se faire élire (n’auraient-ils pas fait de même ?), ce qui justifie qu’ils bloquent le fonctionnement du pays.

Imminente crise boursière ? Apparemment les bourses croient à une croissance qui ne va pas arriver. Elles sont surévaluées. Comme tout le monde, l’Australie a trouvé de nouvelles sources de gaz. Ce pourrait être une « bénédiction », mais le coût d’exploitation semble s’envoler… 

Presse. Les journaux anglais, malgré leurs énormes tirages, suivraient le chemin de ceux des autres nations. Baisse des ventes. Baisse des revenus publicitaires. Presse régionale en difficulté. Trop de titres nationaux. On tente de renforcer la place des abonnements et d’Internet. Mais, ce n’est pas assez.

Et tentatives pour réagir ?

Grande nouveauté. Fini l’obsession des coûts ? Les entreprises envisagent d’avoir une stratégie prix. Les fondateurs sont-ils de meilleurs dirigeants que les managers professionnels ? Pas toujours, mais généralement oui, surtout s’ils savent s’entourer. Et ils ont un avantage décisif lorsqu’il faut réussir des changements difficiles. 

Chasse aux paradis fiscaux. Tentative d’accord international. Les intérêts en jeu sont tellement importants qu’il y a peu de chances de succès immédiat. Mais The Economist est confiant sur le long terme. (La faiblesse de l’entreprise par rapport au gouvernement serait sont court-termisme ?) Les 9 plus grands assureurs attirent l’attention des régulateurs. Ils présenteraient, comme les banques, des risques systémiques. Non pour leur activité traditionnelle, mais pour leurs diversifications.

Science et culture (éternelles ?)

Notre sommeil serait affecté par la lune. Peut-être parce que nos ancêtres devaient avoir le sommeil léger lors des pleines lunes. Facile de nous implanter de faux souvenirs. Un des grands cataclysmes de notre histoire aurait été provoqué par une météorite volatilisant le pétrole et le gaz de l’écorce terrestre d’où nuage de méthane et effet de serre. Enfin, Kafka était « un individu névrosé, hypocondriaque, tatillon, complexe et sensible dans tous les domaines, et qui tournait toujours autour de lui-même, et faisait des problèmes d’absolument tout. (…) Kafka décrivait le monde comme il le voyait. Plein d’individus solitaires et persécutés, mais pas sans espoir. »

dimanche 28 juillet 2013

Qu'est-ce qu'un entrepreneur ?

La semaine dernière The Economist faisait état d'une étude sur les entrepreneurs. "Les entrepreneurs sont des créateurs de valeurs anticonformistes. Ils voient de la valeur économique, là où les autres voient des tas de choses inutiles." "Les anticonformistes qui réussissent ont aussi besoin de confiance en soi pour défier les idées reçues (...) et la détermination de surmonter les obstacles". On retrouve les idées de Bill Aulet.

Sauf une : "En vérité, la principale motivation des innovateurs est la possibilité de gagner beaucoup d'argent". L'entrepreneur serait-il un Pigeon ? J'en doute.

Lorsque je regarde les entrepreneurs que je connais, et qui ont eu de gros succès, ou même les grands entrepreneurs américains modernes, je crois que l'argent est très loin d'avoir été leur motivation principale. Il me semble, plutôt, qu'ils ressemblent à Christophe Colomb. Ce sont avant tout des explorateurs. Ils sont attirés par l'inconnu, par l'exploit, par quelque chose qu'ils pensent possible alors que personne n'y croit. Quant à l'argent, il a fait leur malheur. Ou il a retiré beaucoup d'intérêt à leur vie.

samedi 27 juillet 2013

Egosurfing

Egosurfing = taper son nom sur Google. Grâce à Hervé Kabla, je découvre ce terme. Et ce nouvel usage. Et quelqu'un qui a profité de ce phénomène social.

Mais n'y aurait-il pas plus sérieux à en tirer ? Avis aux entrepreneurs ? (Mais c'est probablement une simple variante de la fameuse eréputation, et de tout ce que l'on essaie de faire avec.)

Surpopulation = problème du monde ?

Un commentaire pose la question suivante : "je pense que tous les problèmes actuels de la planète viennent du fait de la surpopulation..." C'est un des thèmes qu'a rencontrés ce blog. Tentative de synthèse :
  • La thèse de la surpopulation, malthusienne, revient régulièrement. En particulier aujourd'hui. J'ai cité Les limites à la croissance, mais aussi les travaux de MM.Ray et Séverino. La croissance démographique semble un des moteurs du capitalisme. Un moteur qui pousse au crime.
  • Mais, est-ce vraiment la taille de la population qui est intenable, ou sa façon de se comporter ? MM. Braungart et McDonough montrent que notre développement produit des déchets toxiques. C'est ce qui ne va pas. Mais on pourrait faire autrement. Des travaux plus classiques expliquent aussi, que sans toucher à notre confort, nous pourrions consommer colossalement moins.
  • Dennis Meadows a attiré mon attention sur le concept de résilience. J'en suis arrivé à penser que la résilience est la capacité d'un système à se transformer avec le changement, même s'il est imprévu, à en profiter. La résilience ce n'est pas encaisser sans dommages.  La résilience doit être construite. Un système qui a cette capacité est peut être "apprenant", pour utiliser un terme en faveur dans les années 90.
Comment construire une organisation apprenante ? Une piste ?
Je crois que si, à la naissance de son enfant, une mère pouvait demander à sa marraine la fée de le doter du don le plus utile, celui-ci devrait être la curiosité. (Eleanor Roosevelt, citée par Jean-Jacques Auffret).

vendredi 26 juillet 2013

Crime en régression et retour du politique ?

« La vague criminelle des années 50 aux années 80 paraît de plus en plus comme une anomalie historique. » Pays développés : pourquoi le crime faiblit-il en temps de crise ? Curieuse question que se pose The Economist. Beaucoup de phénomènes seraient à l’œuvre. Quelques-uns technologiques : la société est mieux armée pour détecter le criminel et pour défendre des biens qui deviennent aussi moins tentants (les voitures ne sont plus des raretés). D’autres sociétaux : épidémie de drogue en recul, repopulation des centres-villes. (Pour ma part, je me demande s’il ne faut pas aussi chercher du côté de la protection sociale. Et interrogation : pourquoi nous parle-t-on autant d’insécurité ?) Preuve de ce phénomène ? Aux USA, un jeune noir est abattu sans que cela suscite de révolte violente.

Autre tendance sociétale : l’emploi deviendrait favorable aux vieux. Les gouvernements ne croient plus qu’ils doivent laisser la place au jeune. Et ils sont mieux formés et en meilleure santé que jadis.

L’Europe légifère sur Internet. Essaierait-elle de défendre les intérêts de ses industries numériques contre ceux des Américains en cherchant à protéger les données individuelles ? Phrase de Jean-Louis Bruguière : « Pour les Américains, la protection des données est une question de droit de la consommation, pour les Européens, c’est un droit fondamental. » Peut-être aussi essait-elle de corriger un biais du marché européen, extrêmement concurrentiel, qui comprime les revenus et empêche les investissements (l’Europe serait-elle allé un peu loin dans l’idéologie de la liberté des marchés ?). Toujours est-il que les banques devraient se débarrasser de leurs services informatiques et passer au cloud computing. Pour raison d’économie. Les petites y sont déjà, les grosses y vont lentement. Ce n’est pas sans risques.

Tendance à la réforme politique, plutôt qu’économique (libérale) ? Enrico Letta voudrait s’en prendre à un système d’équilibre Sénat / chambre des députés qui conduit à une instabilité permanente. La victoire électorale de M.Abé pourrait préfigurer une modification de la constitution japonaise. Quant à la Grèce et au Portugal, ils paraissent, toujours, victimes du cercle vicieux de la rigueur. Scandale en Espagne. Apparemment lié au fait que la crise y est due à une spéculation immobilière dans laquelle baignait le politique. Une intéressante remarque sur Mme Merkel : ses origines orientales font qu’elle se sent plus proche de la Pologne que de la France.

Chine. Elle ferait payer aux étrangers sa lutte contre la corruption (Glaxo SmithKline). Et la bourse ferait payer aux entreprises un trop fort engagement en Chine. L’économie chinoise freinerait, ses exportations pénalisées par le prix de sa monnaie. Elle se redéploierait, vers le service et la consommation interne. Sainement ? Elle semblerait surtout tirée par les investissements et l'emprunt. 

MOOCS. Comme souvent avec Internet, on est incapable de savoir si cela sera bon, ou aura des effets pervers. Ou encore ce que l’on doit en faire (former les enfants ou les adultes ?). Une fois de plus cela secoue les acteurs en place. Car les barbares (par exemple les éditeurs de presse) voient là un bon moyen d’étendre leur territoire.

Banques américaines. Bons résultats trimestriels, mais ambiance maussade. La réglementation a le haut du pavé. Elles font le gros dos.

Energie renouvelable. Ça n’arrête pas d’aller mal. L’Espagne doit revenir sur un programme d’aide à l’énergie solaire, qui a été ruineux (les subventions auraient atteint 8,1md€ en 2012). (Cela ne va-t-il pas aggraver la crise économique ? « les prêts à l’énergie renouvelable sont estimés valoir 30md€ ».) Et le climat ne serait pas favorable. La hausse de température liée à l’émission de CO2 serait moindre que prévu.

L’homme a-t-il la guerre dans le sang ? Une relecture de statistiques semble dire que non. La guerre serait une cause minoritaire de décès de la main de l’homme chez les chasseurs cueilleurs. Pourquoi l’athlète se drogue-t-il ? Parce que les régulateurs sont sous la pression du marché. Et le marché ne veut pas qu’une application trop stricte de la loi tue le sport. 

La crise : décongélation et expérimentation ?

Kurt Lewin est fameux pour avoir modélisé le changement comme un phénomène de décongélation des paradigmes qui guident nos comportements collectifs. Le tableau ci-dessous présente cette modélisation (D’après Exploring corporate strategy, de Gerry Johnson et Kevan Scholes, Prentice Hall, janvier 1999.)

Supposons que ceci soit juste. Où en est le monde dans son changement ? Et quelles pourraient être les forces de la conformité ?
  • Je me demande, pour cette dernière question, s'il ne s'agit pas du néolibéralisme, avec, pour élément avancé, The Economist. 
  • Lorsque la crise a frappé, on l'a interprétée comme due à une insuffisance de néolibéralisme. D'où la rigueur. Mais le doute gagne. Je me demande si les différentes révoltes et tentatives de changement de régime ne sont pas des expérimentations. Plutôt ratées pour l'instant. Et les idées ne sont pas très neuves. Début de phase d'expérimentation ?


Symptômes

Etapes
Pression de la conformité
Rumeurs et signaux
Questions inquiétantes
Mécanisme de “ décongélation ”
Essai d’interprétation par rapport à l’ancien mécanisme



Besoin de changement ressenti
Anticipation de l’organisation
Pression politique pour ne pas remettre en cause les valeurs établies



Vues divergentes sur les causes et les remèdes
Flottement




Recherche d’information
Test d’appui “ politique ”
Recherche d’information
Interprétation de l’information comme justifiant le statu quo



Test des nouvelles idées
Expérimentation
Résistance aux nouvelles idées




Nouvelle “ congélation ”

jeudi 25 juillet 2013

Un anthropologue chez les biscuitiers

Eric Minnaert quitte les Pygmées d’Afrique pour les Aborigènes d’Australie. Mais la culture qu’il devait étudier a disparu. « C’est moi qui enseignait aux enfants leurs mythes d’origine. »

Il poursuit ses études en Australie. Il obtient un Master. Quand il revient en France, il découvre que ses diplômes ne sont pas reconnus. Un peu décontenancé, il s’inscrit en maîtrise d’art. Un jour, il lit une petite annonce. La société SHS d’Alain Etchegoyen recherche un ethnologue. Il passe un entretien. Contre toute logique, il est retenu. Il devient anthropologue de l’entreprise.

« Pourquoi les gens font-ils grève, pour ne rien revendiquer ? » se demande un fabricant de biscuits. Une nouvelle usine, ultramoderne, est paralysée par des grèves, qui ne semblent avoir aucune raison. Voilà le problème que va devoir résoudre Eric Minnaert.

Pour l’anthropologue, il n’y a pas de différence entre une tribu pygmée, et une entreprise. Même démarche méthodologique. On s’aménage un habitat, et on vit avec les autochtones. « Une immersion de plusieurs mois. » « C’est un travail à long terme avec la culture. » « J’absorbe leur pensée collective. » Mais, contrairement à ce qui se fera par la suite, Eric Minnaert n’est pas présenté comme un anthropologue. Il entre dans la société comme intérimaire. Il remplace un robot dans une ligne filoguidée ; puis, il fait équipe avec un sourd. Comment lier connaissance dans ses conditions ? D’ailleurs, l’atmosphère est étrange. L’usine est ultra mécanisée. Les hommes font des travaux de robots. Il n’y a plus de vie humaine. On ne communique pas. « Les gens circulaient en évitant de se croiser. » Par exemple, le parking est divisé en trois zones. L’une est occupée par l’équipe de nuit, une autre par l’équipe de jour. Au milieu, un grand vide, dans lequel Eric gare sa voiture.

Grève ! Eric arrête sa machine et rejoint les grévistes. Les dirigeants de l’usine, affolés, appellent Alain Etchegoyen : « l’anthropologue fait grève ». Lorsqu’Eric arrive dans la salle où sont réunis les grévistes, tout est calme. Aucune revendication.

Il comprend. La précédente usine était une sorte d’affaire de famille, tout le monde se connaissait, on se recrutait entre soi, tout n’était que petites « combines » entre proches. Or, maintenant, l’usine est une affaire de robots. « N’importe qui pouvait vous remplacer. » « On avait dépossédé les gens de leur métier. » « On voulait qu’ils s’engagent, mais sur quoi ? » « Il y avait eu une inversion : de la solidarité on était passé à la concurrence. » Quand l’isolement individuel devenait insupportable, « les moments de grève servaient à se retrouver ». Les syndicats cherchaient à rationaliser ce phénomène incompréhensible en disant que les gens voulaient plus d’argent. Ce n’était pas le cas.

La solution ? Pour travailler, les employés de l’usine avaient besoin d’un sens à leur travail, qu’il ait une utilité sociale. Et cette utilité a un nom : le métier. « On a travaillé sur la notion de métier. »


« L’usine existe encore. C’est une usine pilote. »

Et si l'entreprise devait être équitable pour être efficace?

Kim et Mauborgne n'ont pas écrit que Blue Ocean. Voici un texte d'eux que je citais il y a une quinzaine d'années dans un cours. Ne semble-t-il pas parler de nous, aujourd'hui ? Et si nous nous trompions sur la nature humaine ? Et si c'était de là que venait l'inefficacité de l'entreprise ?

Pour un employé, le résultat d’une décision ne compte pas seul, le mécanisme qui y conduit joue un rôle clé. Que celui-ci soit équitable est un besoin humain fondamental.

Un “ mécanisme de décision équitable ” est un processus qui :
  1. Fait participer les personnes qu’il concerne : demande leur avis, leur permet de débattre (témoignage de respect et possibilité d’utiliser leur contribution) ;
  2. Justifie la décision prise (ceci prouve qu’elle respecte le meilleur intérêt de la société et facilite son appropriation) ;
  3. Définit clairement les nouvelles règles du jeu (évite les périodes de recherche de failles à exploiter, et focalise les énergies sur l’essentiel).
“ Processus équitable ” ne signifie ni unanimité, ni règne de la démocratie : décider demeure prérogative du dirigeant.

Ce mécanisme est clé pour les entreprises qui dépendent du partage des connaissances de leurs employés, nécessairement volontaire : un “ processus équitable ” favorise confiance et engagement personnel, donc coopération volontaire, permettant le dépassement de la notion de “ devoir professionnel ”.

Justice classique et justice équitable

Actuellement ce type de processus est peu répandu, car les dirigeants :
  1. Estiment être “ équitables ”, sans savoir ce que ceci signifie ;
  2. Ne veulent pas partager leur savoir, vu comme source de pouvoir ;
  3. Pensent que leurs employés ne sont concernés que par la satisfaction de leurs intérêts.
(KIM, Chan W., MAUBORGNE, Renée, Fair Process, Harvard Business Review, juillet-août 1997, texte intégral, ici.)

mercredi 24 juillet 2013

Apple et IOS7 : la chute s'accélère ?

IOS7. Jean-Bapiste Paccoud assassine Apple : un système d'exploitation de suiveur, bourré de bugs !

Apple serait-il dans cet état avec Steve Jobs ? J'en doute. Pour commencer, il n'aurait jamais accepté de remplacer Google Maps par une application de la plus haute merdicité. Et il n'aurait jamais consenti à reverser 100md$ à ses actionnaires. Car c'est l'aveu que le moteur de la société, l'innovation de rupture, est mort.

Cela justifie une théorie anglo-saxonne. Un homme seul peut faire des miracles. Et il peut rendre géniaux des médiocres. Les gens qui, aujourd'hui, sont aux commandes d'Apple. Mais cela va à l'encontre de ceux qui ont utilisé cette théorie pour justifier leurs bonus. Car cet homme ne leur ressemblait en rien. Il était une sorte de fou-furieux sous-diplômé guidé par une intuition apparemment sans aucune rationalité.

Quelle est l'utilité d'un expert ?

Voici ce que m'a raconté un expert.

Une personne voit les racines d’un arbre de son voisin entrer sur son terrain et faire quelques dégâts à sa propriété. L'expert est appelé. Mais comment travailler ? Les voisins ne se parlent plus depuis 30 ans ! Après palabres, ils acceptent de discuter au travers d’un grillage. Mais de quel côté du grillage va se placer l’expert ? Puis la conversation commence, par expert interposé. Sans y prendre garde, l’un des voisins s’adresse à l’autre, qui lui répond, sans animosité particulière. Petit à petit une solution au différend apparaît. Comment écrire un procès verbal sur un grillage ? Il faut une table. On se retrouve au café. Après que l’on a signé le procès verbal, on boit un verre. 30 ans de querelles sont oubliés.

Pourquoi l'expert m'a-t-il raconté cette histoire plutôt que celle d'expertises à plusieurs millions d’euros ? Parce que toute l’expertise s'y trouve. Le succès d’une expertise est dans la mise en relation d’êtres humains. Tout le reste (analyse économique, droit, qui a raison qui a tort ?, contrat d’assurance...), qui est pourtant très compliqué et demande des années d'apprentissage, doit être immédiat. Il m'en a aussi parlé parce que les compagnies d'assurance cherchent à ramener l'expertise à une question exclusivement technique, soluble par un ordinateur. Et que les experts sont incapables d'expliquer à quoi ils servent.

Sont-ils les seuls dans ce cas ?

mardi 23 juillet 2013

Impuissance française et libre échange

L’assemblée nationale rédige un rapport préparatoire aux négociations de libre échange entre l’Europe et les USA. Étonnant. C’est un peu le libre échange, l’Amérique, et l’UE pour les nuls. Une sorte de mémoire fait par un étudiant de Master. Et on y voit des députés observant leur sujet avec un étonnant détachement. Voici ce que j’en retiens :

Pourquoi cette négociation ? Jusque-là, l’Europe ne voulait entendre parler que de traités multilatéraux. Mais ils ont été bloqués par les émergents. Du coup, on se tourne vers le bilatéralisme. Il est surtout dit que l’initiative viendrait de M.Barroso (d’après des commentaires de députés), pour raisons personnelles. La commission, d’ailleurs, utiliserait « un double langage ». Ce qui expliquerait l’embarras français ? Pourtant elle a toute latitude pour négocier. Face à l’infâme Barroso, on espère semble-t-il le contrepoids du parlement européen, personnification du bien.

Qu’en attend-on ? Apparemment la justification du projet tient à une étude. Elle est basée sur une modélisation. Aucun lien avec la réalité ? En tout cas ce qui bloque les échanges n’est pas le tarif douanier mais la norme non tarifaire. Or, attention, ces normes ne sont pas forcément volontairement protectionnistes. Elles peuvent refléter des « préférences collectives ». (Voici un nouveau concept. Contrepoison à l’économie néolibérale ? Mais admettre une dimension sociale dans l’existence n’est-il pas une implicite remise en cause du primat des droits de l’homme me suis-je demandé ?) Elles peuvent aussi émaner de différences culturelles. Par exemple les normes de sécurité sont définies par la « puissance publique » en Europe, alors qu’aux USA on joue de « l’auto certification » qui suppose la responsabilité individuelle. Comment unifier des cultures ?

Implicitement, il me semble aussi que l’on y voit une tentative de sortir le libre échange de la définition de l’économie néoclassique. Le libre échange n’est pas toujours bénéfique. Pour cela il faut que la concurrence soit juste, et qu’aucun parti ne dispose d’un avantage excessif. Ce qui n’est pas le cas pour l’énorme industrie de défense américaine, ou dans des secteurs où se trouvent des « disparités des coûts de production, liées notamment à l’exigence des normes sociales, environnementales et de bien être animal ». Autrement dit, les Américains se fichent des droits de l’homme. Contre attaque ? Le rapport rappelle qu’ils sont non négociables. Le libre échange doit aussi être limité par des considérations d’intérêt national : « souveraineté alimentaire », « équilibre du territoire »…   

Une fois de plus, décidément rapport très ethnologique, la culture va compter. En effet, en Europe, c’est la tête qui fait les lois. Aux USA, elles viennent d’en bas, de l’industrie et de ses intérêts. En outre, la parole de l’Etat fédéral n’engage pas les Etats fédérés ! Autrement dit, seule l’Europe est contrainte par cette négociation ?

Il est aussi dit clairement que l’arme des USA est l’hypocrisie. L’Amérique présente ses intérêts comme étant ceux du monde. (Exemple : pourquoi les OGM ? parce qu’ils sont appuyés par des « preuves scientifiques » - on notera que ceci ne vaut pas pour le réchauffement climatique.) Et elle n'est intéressée que par ce qu'elle peut gagner. En outre, l’Europe attaque la négociation en position de faiblesse. En effet l’Amérique ne désire que l’Asie. Sans compter que l’Europe est divisée. Outre le bon Barroso, il y a l’Angleterre, qui aimerait utiliser ces négociations pour démanteler ce qui ne lui va pas dans les lois européennes. Et l’Allemagne, et ses exportateurs. La France ? Stratégie CGT ? Elle laisse la négociation se faire. Mais elle n'y participe pas. Autruche ?

On parle, bien entendu, beaucoup d’agriculture, qu’il s’agit de défendre. Et aussi de culture. Mais là, mystère. Tranchant avec le reste du texte, pas de pédagogie. La culture, c'est sacré ? Il est peu question de nos autres industries. Lobbys à l'oeuvre ?

A tort ou à raison, ce qui me frappe dans ce document est l’extraordinaire manque de leadership français. La France semble incapable de penser. Et encore moins d’agir. 

lundi 22 juillet 2013

Entreprise et modèle du marché

Il faut bâtir l’entreprise sur le modèle du marché. Voilà ce que j’ai souvent lu. Il se trouve qu’un investisseur l’a réalisé. Il a repris une entreprise de grande distribution. Il l’a coupée en petits morceaux, pour qu’ils entrent en concurrence les uns avec les autres, façon marché.
Il a créé ce modèle parce qu’il s’attendait à ce que la main invisible du marché donne les meilleurs résultats. Si on demandait aux dirigeants de la société d’agir égoïstement, disait-il, ils dirigeraient leurs divisions rationnellement, ce qui profiterait à la performance globale.
Résultat ? D’étonnants effets pervers. Par exemple, il a fallu équiper chaque unité d’un comité de direction complet. Ce qui coûte cher. On a donc réduit le salaire du management intermédiaire. Les unités sont entrées en guerres les unes avec les autres. Chacun a essayé de faire porter ses coûts par les autres, et personne n’a plus voulu investir dans ce qui pourrait rapporter au groupe…

C’est beau l’idéologie… 

dimanche 21 juillet 2013

L'art moderne expliqué ?

L'art a une fonction sociale. Il nous aide à vivre. Mais ce n'est pas le cas de l'art moderne, me semble-t-il. Je le trouve atroce. Et je ne suis pas certain que ce soit du fait de mon inculture.

Dans un ancien billet, j'évoquais les thèses d'un économiste qui expliquait que l'art moderne était lié au marché. Pour gagner beaucoup, il fallait innover, radicalement. L'art est devenu spéculatif. Ici intervient une autre curieuse théorie de Thomas Schelling. Il semblerait que les groupes humains aient des points de repère collectifs. Autrement dit, si une oeuvre correspond à un de ces points de repère, elle va valoir cher. Non parce qu'elle plaît, mais parce qu'on sait qu'elle doit rapporter gros.

Mais il n'y a pas que des artistes payés par le marché. Il y a aussi ceux qui sont soutenus par l'Etat et que diffusent France Culture ou France Musique. Ceux qui sont à l'origine de ce billet, parce qu'ils m'agressent trop souvent. Je me demande si la même théorie ne s'applique pas. Il existe dans ces groupes des repères qui disent ce qui est bien ou mal. Si un artiste les rencontre, sa protection est assurée.

Théories fumeuses ?


samedi 20 juillet 2013

Tom Enders peut-il couler Airbus ?

La Tribune dit :
Tom Enders, le président du groupe aéronautique et de défense, prépare une révolution grandeur nature. Celle-ci touchera aussi bien l'organisation que l'esprit pionnier qui a toujours prévalu depuis la création d'EADS et d'Aerospatiale. La rentabilité sera désormais le maître-mot de la maison.
En outre, il voudrait se débarrasser des Etats actionnaires qui ont financé le succès de la société. Ils lui imposent des contraintes qu'il juge inacceptables.

N'est-il pas dangereux de se priver de ce qui a fait sa réussite ? Il est certainement utile de faire entrer la dimension financière dans l'esprit des ingénieurs, mais n'y a-t-il pas danger qu'elle tue la prise de risque qui est le facteur clé de succès d'un avionneur ? Étrangement, Tom Enders semble s'inspirer de Boeing, alors que Boeing est fortement aidé par l'Etat américain, et qu'il a suivi une politique gestionnaire qui a failli lui être fatale.

De l'importance de la culture générale

La véritable école du commandement est celle de la culture générale. Je découvre cette citation du Général de Gaulle. Et la suite : Par elle, la pensée est mise à même de s'exercer avec ordre, de discerner dans les choses l'essentiel de l'accessoire, (...) de s'élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n'eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l'esprit humain. Au fond des victoires d'Alexandre, on retrouve toujours Aristote... (Le fil de l'épée).

Je ne suis pas sûr que l'écriture de ce blog ne m'ait pas amené à une conclusion similaire. La culture générale permet de penser, et de juger, me semble-t-il. Et je regrette fort le biais de l'éducation nationale qui tend à faire de ce qu'elle enseigne une simple matière à sélection. Ainsi que l'idéologie qui a voulu que la culture générale soit une forme d'impérialisme. Ou encore qu'il ne faille enseigner que ce qui est utile au marché. Tentatives pour nous empêcher de penser ?

vendredi 19 juillet 2013

Comment va finir le printemps arabe ?

Que penser des printemps arabes ? « La plupart des Arabes perçoivent leurs révolutions comme globalement positives, sont confiants qu’elles vont atteindre leurs objectifs et considèrent la démocratie comme la meilleure forme de gouvernement. » Selon The Economist, il s’agit d’un changement de paradigme. Jadis les pays arabes avaient des régimes dirigistes. Aujourd’hui, ils désireraient une forme de démocratie. Mais comme pour tous les autres changements sociétaux, par exemple la révolution française, il faudra beaucoup de temps pour y parvenir. Et peut être un nouveau dessin des frontières. D’autant qu’entre le modèle traditionnel, qui est encore celui d’une forte partie de la société, et les transformations qui sont survenues, c’est un grand écart explosif. Par exemple, il y a beaucoup de pauvres peu éduqués, les filles ont de bien meilleurs résultats scolaires que les garçons mais pas d’emploi, et l’activisme des jeunes refuse le clientélisme traditionnel… Et les régimes en place tentent de se maintenir en avivant les tensions communautaires qu’ils contenaient jusque-là. Quant à la religion elle serait avant tout une question d’affirmation d’identité. Son désir de diriger la politique ne conviendrait pas aux sociétés arabes.
Par ailleurs, l’extension de l’UE aurait ouvert le marché allemand aux mafias des pays de l’est (notamment Bulgarie et Roumanie). La zone euro devrait se réformer, mais n’a pas envie de le faire. Aux USA, les partis politiques cherchent les mots qui leur acquièrent les faveurs des foules. Ils doivent être simples, et répétés jusqu’à la nausée. La police américaine se « comporte plus comme une armée d’occupation d’un territoire hostile que comme le gardien de la sécurité publique » dit un livre. Résultat d’une sorte de cercle vicieux qui aurait commencé dans les années 60.

La politique monétaire américaine se calme, le dollar monte. Mais il devrait le faire modestement. La santé de l’Amérique n’est pas extraordinairement florissante. Les cours de l’euro seraient soutenus par la Chine.

Vente au détail. Ça change, sous l’effet déstabilisateur d’Internet. Mais aucun modèle n’est parfait. En particulier les ventes en ligne ne représentent que de l’ordre de 10% des ventes totales, et ce dans les pays où elles sont les plus fortes. Les entreprises doivent se réinventer sans cesse. Par exemple, la raison d’être des boutiques serait plus la distraction du client ou l’exposition, moins la vente. Il semble qu’il faille avoir une présence en ligne et sur terre. Etre bon dans les deux cas. Mais le mélange efficace est à trouver, il varie d’un produit à un autre, et il doit être modifié en permanence (avec son lot d’ouvertures et de fermetures de boutiques). Et la logistique est importante. Bienvenue dans un monde incertain ? En fait, il existe des moyens sûrs de faire des affaires illicites en toute impunité. Acheter un club de football.

Curieusement, avoir des horaires de sommeil réguliers profiterait aux filles, mais pas aux garçons. Moins curieusement, l’exercice permettrait aux graisses d’aller dans les parties du corps qui sont faites pour elles. 

Nature et économie : même gestion

Y aurait-il consensus ? Crises économiques et environnementales seraient liées. Dans les deux cas nous aurions détruit notre héritage. Apparemment il y aurait accord entre scientifiques, économistes et dirigeants ! (Au moins entre ceux qui étudient la question.) Le parallèle s'arrête cependant assez vite : la nature ne peut pas faire faillite...

Une bonne nouvelle. Nous avons les moyens de rectifier le tir. Mais la volonté manquerait.

jeudi 18 juillet 2013

Un anthropologue chez les Pygmées

Il a vingt ans et une licence d’ethnologie. Eric Minnaert arrive chez les Pygmées Aka. Il doit y mener une étude. Son sujet : comprendre comment les groupes interagissent dans leur déplacement en forêt. « Un thème à la mode, à l’époque. »

Il est aux portes d’un campement. Il plante sa tente. Les habitants sont partis à la chasse. En gage d’intentions pacifiques, il dépose au pied de chaque hutte un peu de sel iodé. Il est accueilli sans animosité. Mais comment se nourrir ? Il ne sait pas chasser. La communauté lui apporte de temps à autres de la nourriture. Mais, il le comprendra plus tard, elle pense que nourrir quelqu’un est l’insulter. Une solution émerge. Participer à la chasse. Ainsi au moins, l’illusion de son utilité peut être entretenue. « J’étais le poids mort du groupe. Mais une source d’amusement. »

Eric découvre alors « la jubilation de la vie ». « Ils sont toujours en train de se marrer ». Les Pygmées cultivent « une forme de détachement », « un humour à l’anglaise ». « Ils ne sont jamais tristes ou inquiets ». Ils ont construit un monde dans lequel « tout s’explique ». Ils ont évacué ce qui terrorise l’Occidental. Par exemple, « la mort appartient au quotidien ». « On meurt, mais on est bien ». L’ontologie du Pygmée est différente de la nôtre. Il est animiste. Il appartient « au grand tout ». Un monde « apaisé ». Car la forêt lui apporte ce dont il a besoin. « Tu veux quelque-chose ? Va en forêt. » « Chaque matin, tout le monde se lève. Le leadership se révèle. Celui qui sent le mieux l’esprit de la forêt mène la chasse. » Quand elle ne donnait rien, « on crachait dans le filet ». Et ça marchait. Mais la forêt est surtout une sorte d’être. « Ils ne voient pas le ciel. » « On est dans quelque-chose d’organique », « on est dans le pourrissement, on a le sentiment d’être pourrissants, mais leurs corps résistent au pourrissement ». Cet être est fait de petits groupes, hommes ou animaux. Ils vivent sans se rencontrer. Mais comment parviennent-ils à se coordonner ?

« On sait qu’ils ont refusé la métallurgie. Le changement aurait créé le désordre. » Depuis plusieurs milliers d’années, ce monde est immobile car cyclique. Plus pour longtemps. « Leur disparition a eu lieu. Ils étaient incapables de se défendre, incapables de violence. »

« On faisait des marches de plusieurs jours, on allait aux quatre coins de la forêt, on s’asseyait, on écoutait, les pelleteuses, les camions. » « Il ne se passait rien, on repartait. » « Quelques jours plus tard, on refaisait pareil. » « Pourquoi me détruisez-vous ? » Voilà ce que ces marches signifiaient. Mais Eric ne l’a pas entendu. Plus tard, il comprend. C’est la brouille avec l’anthropologie traditionnelle. « Je vais collecter de l’information, je reviens, je traite, je prends un grade. Toute une vie de concepts. Je fais carrière. » Il veut une anthropologie qui entende les appels à l’aide des groupes humains, et qui agisse. 

Chanter en coeur

L'individualisme postsoixhantuitarde serait-il en fin de vie ? De plus en plus de travaux sur les joies de la société.  Une étude montre ainsi qu'il serait bon pour la santé de chanter dans un chœur. En effet, les battements cardiaques des chanteurs se synchroniseraient (ou du moins leurs variations).
Non seulement il tonifie le système cardiovasculaire, mais il produit aussi le même effet de relaxation que les exercices de respiration du yoga. 

mercredi 17 juillet 2013

Entretiens avec un anthropologue

Ce blog va publier, chaque jeudi, les aventures d’Eric Minnaert. Eric Minnaert est un anthropologue.

Sa carrière commence chez les Pygmées, puis chez les Aborigènes australiens. Mais elle connaît un accident quand il rencontre Alain Etchegoyen. Alain Etchegoyen est un homme curieux. Il est professeur de philosophie. Il a publié un grand nombre d’ouvrages. Il a été commissaire au plan du gouvernement Raffarin. Il a aussi créé un cabinet de conseil. Il employait des spécialistes des sciences humaines pour résoudre les problèmes des entreprises. Grâce à lui, Eric Minnaert va partager, parfois pendant plusieurs années, la vie des biscuitiers, des verriers, des aciéristes, de fonctionnaires de l’Etat, d’employés de compagnies d’assurance… Il va étudier aux USA l’introduction du Krugerand pour la banque Sud Africaine, la résistance à l’implantation des antennes de téléphonie mobile, le traitement de la fin de vie des êtres humains par les EHPAD… Parmi beaucoup d’autres sujets.

Eric Minnaert se définit comme un anthropologue des marges. Qu’entend-il par là ? C’est ce que nous verrons au fil des billets. De même que ses techniques. Et il nous dira ce qu’il a observé du changement de la France.

Apprendre à juger les gens

Comment bien, ou mieux, juger quelqu'un ? On ne se pose peut-être pas assez la question. D'où pas mal de difficultés et de pertes de temps. En particulier dans mon cas : je tends à ne voir que les qualités des gens. (D'ailleurs, ça ne leur rend pas forcément service : je n'aperçois pas toujours assez rapidement qu'ils pourraient avoir besoin d'aide.) Dix curieuses questions, qui pourraient être utiles. (Le commentaire est aussi à lire.)
  • Quel est le rapport entre émission et réception ? 
  • Donne-t-elle ou prend-elle de l’énergie ? 
  • Face à une tâche, la personne va-t-elle réagir ou agir ? 
  • Cette personne est-elle authentique ou obséquieuse ? 
  • A quoi ressemble son conjoint ? 
  • Comment cette personne traite-t-elle quelqu’un qu’elle ne connaît pas ? 
  • Cette personne a-t-elle traversé des épreuves dans sa jeunesse ? 
  • Qu’est-ce que cette personne a lu ? 
  • Voudriez-vous faire un long trajet en voiture avec elle ? 
  • Cette personne a-t-elle une vision juste de ses capacités ?

mardi 16 juillet 2013

L'amitié comme facteur de productivité

Les entreprises peuvent et devraient créer et valoriser la camaraderie, c'est un avantage concurrentiel qui permet de recruter les meilleurs employés, et de les conserver, d'améliorer la motivation, la créativité et la productivité. 
Voilà ce que disent des travaux apparemment scientifiques. Après l'individu comme source de coût, l'entreprise en reviendrait-elle à l'homme, créateur de richesses ?

lundi 15 juillet 2013

Du débat démocratique aux USA

Le « mariage pour tous » a été légalisé aux USA. La façon dont cela s’est fait semble en dire long sur l’Amérique.

On est loin de l’affaire Dreyfus, de ses intellectuels et de l’affrontement entre justice et intérêt supérieur de la nation. C’est le marketing qui aurait fait basculer l’opinion ! Il n’est pas question de raison dans ce débat « démocratique ». On cherche à déclencher un mouvement de masse. Pour cela, il faut faire croire que l’on a le nombre pour soi. Les leaders d’opinion (par exemple les sportifs) jouent un rôle décisif pour faire basculer le peuple. Susciter l’émotion populaire est critique. Il faut associer sa cause à des valeurs fondamentales. Et, peut-être plus encore, la faire paraître « cool ».
« une pression sociale positive poussait la cause des homosexuels ». « les marketers font croire que « tout le monde le fait » ». « les mouvements sociaux de l’ère numérique ont de mêmes tactiques qui les rendent populaires et les font ressembler à des « clubs » que les gens veulent rejoindre ».
« Les bons marketers choisissent des valeurs qu’il est difficile de contester (…) telles que les valeurs familiales, le respect du mariage, la liberté individuelle. » « il y avait moins de drapeaux arc en ciel et plus de drapeaux américains. »
« Il est devenu « uncool » (…) d’être anti-homosexuels »
Plus curieusement peut-être le monde des affaires est un acteur du débat démocratique. Les marques soutiennent des causes pour développer leurs ventes. « Je suis fière de porter des marques dont je partage les valeurs. »

dimanche 14 juillet 2013

Traité de libre échange et conduite du changement

L'Europe s'engage dans la négociation d'un traité de libre échange. Quels sont les enjeux ? Voici ce qu'en dit un rapport de l'assemblée nationale :
Une étude d’impact a également été commanditée par la Commission européenne, étude selon laquelle un tel accord pourrait entraîner une hausse allant jusqu’à 28 % des exportations européennes vers les États-Unis (soit une hausse de 6 % de l’ensemble des exportations européennes). L’étude annonce aussi un gain potentiel allant jusqu’à 119 milliards d’euros par an pour l’Union européenne et 95 milliards pour les États-Unis, soit un supplément de revenu disponible de 545 euros pour chaque famille européenne et 655 euros pour chaque famille américaine. Ce gain ne serait pas obtenu aux dépens du reste du monde, qui connaîtrait aussi un surcroît de revenu suite aux effets d’un accord transatlantique. Ce gain ne serait pas non plus obtenu aux dépens des travailleurs européens et américains et, en particulier, la libéralisation du commerce transatlantique n’accroîtrait que marginalement la rotation de l’emploi (0,2 % à 0,5 % seulement des travailleurs européens pourraient être amenés à changer d’emploi en conséquence de ce processus). 
(Mais) quand bien même les gains économiques susmentionnés se réaliseraient, il convient de les relativiser car cela représenterait au mieux à terme, si l’on prend le cas de l’Union européenne, un surcroît global de PIB de l’ordre de 0,5 %, gain étalé sur de nombreuses années et donc quasi-imperceptible.
Surprise : les ambitions du traité sont extraordinairement modestes. Cela signifierait-il que nos gouvernements sont tellement désespérés qu'ils ne savent plus à quel saint se vouer ?

Mais, surtout, n'y a-t-il pas un risque de type euro ? C'est-à-dire n'apercevoir que trop tard les conséquences négatives de la décision ? Pour les éviter, il serait judicieux de contrôler le changement. C'est à dire de ne pas s'en remettre à des modèles théoriques pour estimer les gains possibles. Mais comprendre physiquement comment ils vont être obtenus. Et mettre en route un processus de vérification qui va permettre de s'assurer que l'on obtient ce que l'on veut. Et, si ce n'est pas le cas, que l'on revoie le dispositif d'échange.

samedi 13 juillet 2013

Le printemps arabe de l'université française

L'université française parle anglais. Elle délivre des bachelors et des masters. Elle enseigne le business. Et les professeurs viennent en toge aux remises de diplômes. Notre université est devenue américaine ? Il demeure une incohérence.
  • Aux USA une licence dans une bonne université coûte 200.000$, il faut 100.000$ de plus pour avoir un Master. Le salaire du professeur français tendant à s'aligner sur l'américain, cette incohérence va devoir disparaître. Cela est-il compatible avec notre vision de la société ? 
  • Les doyens et enseignants qui ont pris le pouvoir au nom du modèle américain, n’ont pas leur place dans une université américaine. (D’ailleurs, ceux qui y ont leur place y sont déjà !)
Ne risque-t-on pas un printemps arabe de l'Université française ? Les dirigeants de l'université n'y ont pas intérêt. Il va falloir qu'ils inventent une université qui nous convienne, et dans laquelle ils sont légitimes.

vendredi 12 juillet 2013

Le mystère des réseaux sociaux

Comment fait-on pour travailler et avoir envie d'utiliser les réseaux sociaux ? C’est une question que je me pose régulièrement. Ce que je leur reproche le plus est de me forcer à rester devant un écran. Ils me coupent de la vie, de la nature et des rapports humains.

Je leur ai fait quelques concessions. Je publie un blog. Mais c’est une autre façon de mener la réflexion qui est la mienne depuis toujours. Et je me suis abonné à des alertes.

D’autres semblent plus à l’aise que moi avec ce système. Hervé Kabla, pour commencer. Mais il en a fait son métier. Les Anglo-Saxons aussi, apparemment. Y aurait-il quelque-chose de culturel là dedans ? Une émanation de la culture des affaires ou du marché, où tout est dans l’échange, où la primeur de l’information vaut cher ? Une culture de l’information, pas du travail ? 

jeudi 11 juillet 2013

Organisation sociale idéale

Y a-t-il une bonne façon d’attribuer à une personne une place dans la société ? Voici ma question du moment. Trois idées :
  • Le modèle libéral dit que s’il n’y a pas de libre concurrence, il y a « rente ». Ce modèle semble donc supposer que nous sommes des électrons libres tous identiques.
  • Dans le modèle français d’après guerre, bureaucratique, nous étions placés dans la société en fonction du résultat d’études qui avaient pour seul objet de sélectionner, non d'enseigner.
  • Durkheim propose un troisième modèle. Celui de la différence. Chacun d’entre-nous a des caractéristiques uniques. Pourquoi ne pas imaginer qu’il puisse jouer le rôle d’une sorte « d’organe » de la société ? Comment empêcher dans ces conditions qu’il en profite pour tirer une « rente » du reste de la société ? Peut-être du fait de la destruction créatrice de Schumpeter : le monde est en restructuration permanente. Chacun doit se réinventer continûment. Les monopoles ne tiennent pas. 

mercredi 10 juillet 2013

Monde paralysé

Pourquoi ne changeons-nous pas de politique, rigueur, alors que nous disons qu'elle est erronée, se demande Paul Krugman. Pourquoi ceux qui souffrent ne réagissent-ils pas ?

Intéressantes questions. Je me demande si les deux n'ont pas la même réponse. Pour pouvoir changer ou exprimer sa souffrance, il faut pouvoir se rattacher à un mouvement organisé ? Je me demande aussi si l'homme ne peut pas être programmé pour accepter sa condition. Par exemple, la pauvreté est une forme de dépression dit une étude du sujet. On pourrait être aussi dans la phase de dépression de la théorie du deuil. La phase qui précède l'acceptation. La fin du changement. Ce qui serait une bonne nouvelle...

Le moment thucydidien du créateur de valeur

Dans le folklore américain, l’entrepreneur est « créateur de valeur ». Pour Marx, c’est le prolo, et pour la religion chrétienne, c’est Dieu. Je me demande si cette idée n’a pas connu son Moment thucydidien. Le créateur de valeur est devenu celui qui donne l’argent de l’entreprise à l’actionnaire. 

Lorsque j’étais à l’Insead, on me disait que c’était faire le bien, puisqu’ainsi cet argent était recyclé par le marché qui, comme chacun sait, en fait un usage optimal. En vieillissant, je me demande si cette pratique n’est pas simplement la rationalisation de l’éviscération de l’entreprise dans la perspective d’un gain à court terme. Les grandes inventions qui ont transformé la vie de la société ne me paraissent pas venir du marché mais des investissements colossaux des grandes entreprises. Et encore plus du financement par les Etats d’activités à haut risque et sans utilité très claire initialement (cf. la recherche fondamentale, la conquête de l’espace, la guerre…). Et encore plus de Dieu, ou de la nature, selon les goûts... 

mardi 9 juillet 2013

La crise et ses remous (suite)

Décidément le monde vacille. Ce qui caractérise l’Egypte désormais, ce sont des divisions croissantes. En Europe, les meilleurs élèves de la rigueur, le Portugal et l’Irlande coulent, leurs gouvernements flanchent. Les partis politiques qui ont gouverné l’Espagne depuis son retour à la démocratie souffrent. De nouveaux partis émergent. Mais le PS devrait pouvoir créer une coalition. En Angleterre, ce n'est pas gai. « L’investissement des entreprises a baissé de 34% depuis 2008 ». « La livre a baissé de 25% depuis 2007 (…) pourtant les exportations ont baissé de 1,5% ». Fait unique, le chômage baisse. Cela vient d’une chute des salaires (de 9%), et d’une baisse de productivité. (L’homme devient moins cher que la machine ?) Heureusement, la consommation a augmenté. Ce qui a évité la récession ! Et l’Angleterre voit disparaître ses forêts, victimes de maladies venues d’ailleurs. « La propagation de ces parasites et pathogènes (…) est synonyme de commerce, qui propage les infections comme la prospérité. » L’Angleterre doit aider l’Europe à fermer ses frontières. La France n’échappe pas au jeu de massacre. C’est sa nourriture qui est touchée. Les restaurants trouvent trop cher de cuisiner, et ils sont devenus trop chers pour les Français. « Trois quarts des repas consommés hors de la maison sont maintenant du super bon marché. » France qui n’a pas raté l’occasion de se ridiculiser dans l'affaire Snowden, en dénonçant les USA, mais en bloquant l’avion du président Morales.
The Economist conclut sur l'Europe : « Si la viabilité à long terme de l’euro est assurée, les Européens auront fait mentir l’histoire. » (C'est une étude sur les similitudes entre l'étalon or et l'euro qui le dit. Elle prévoit l’éclatement et quelque variante du nazisme.) 

Au Mali, l’armée française semblerait avoir ramené l’ordre. Mais avoir repoussé les jihadistes ailleurs en Afrique.

La production d’acier mondiale est dans une mauvaise passe, particulièrement en Europe. L’Europe est en surcapacité, et la Chine construit la sienne, dont elle va bientôt déverser la production sur le monde. La rentabilité n’entre pas dans ses calculs. Les aciéristes, peu concentrés, sont pris entre un oligopole de 4 fournisseurs de minerais et un petit nombre de clients. Les Allemands ne veulent pas du nucléaire, mais ils ne veulent pas non plus des câbles à haute tension que suppose le transport de l’énergie des éoliennes de la mer du Nord. Cette installation, extraordinairement coûteuse, ne servira, d’ailleurs, peut-être à rien, ce mode de production d’énergie n’étant pas compétitif. Les Taïwanais, qui « produisent 89% des notebooks mondiaux ainsi que 46% des PC fixes », sont attaqués en haut de gamme par les Coréens, et en bas de gamme par les Chinois. « Les entreprises taïwanaises peuvent s’adapter en très peu de temps. » Effectivement, elles semblent en passe de se réinventer. (Une leçon ?)

LVMH est condamné pour sa tentative de prise de participation dans Hermès. LVMH avait contourné la loi qui demande de signaler le dépassement d’un seuil de prise de participation, en utilisant une stratégie à base d’options. (Pratiques de voyous ? Symbole de la transformation de l'industrie du luxe française ?)

Les champignons seraient les opérateurs de télécom des plantes. 

Soft power

Qu’est-ce que la soft power américaine ? C’est définir le bien comme étant le modèle américain, et y amener le monde par la manipulation. C’est-à-dire sans faire appel à sa raison.

Une fois que le modèle est installé, on dit : « vous avez joué, vous avez perdu, reconnaissez votre défaite ».

Mais le fait d’avoir joué à un jeu ne signifie pas que l’on y a consenti. Le contrat n’est pas valable. Cette question me semble être au cœur du mouvement de mécontentement mondial. 

lundi 8 juillet 2013

L'Egypte, hirondelle qui fait le printemps ?

En Egypte, les frères musulmans ont perdu le pouvoir. L'erreur qu'ils semblent avoir faite est d'avoir pensé qu'ils avaient été élus pour les valeurs qu'ils portaient. Non. On attendait d'eux qu'ils construisent l'avenir, et pas qu'ils répliquent le passé.

Je me demande si leur exemple n'est pas général. L'Amérique aussi a cru que l'histoire était finie et que l'humanité aspirait à son modèle culturel. En s'engouffrant dans le vide qu'avait laissé l'URSS, elle a malheureusement révélé ce que ce modèle avait de pire. C'est à dire que ses principes les plus nobles n'étaient que les chevaux de Troie de l'intérêt de quelques-uns.

Nous avons besoin d'inventeurs. Pas de fondamentalistes.

Pour devenir soi, faut-il déplaire à ses parents ?

Pourquoi les fans hystériques sont-ils apparus dans les années 60, se demande CAM, le journal de l'université de Cambridge (Crush). Une explication psychologique possible : parce que ça déplaisait à leurs parents.
De l'adolescence au début de l'age adulte, la principale crise que les individus traversent est celle de l'identité et de la recherche d'indépendance de l'autorité (...) cette musique peut être psychologiquement séduisante puisque c'est une musique que l'autorité n'aime pas qui facilite la découverte de soi. (...) Donc, peut-être, l'hystérie des fans est aussi simple que cela : les gens y sont susceptibles parce que leurs parents la haïssent, et, en tant que tel c'est bon et sain. "Vous vous identifiez avec un groupe, et c'est un groupe qui n'est pas vos parents. Cela a à voir avec l'éloignement de la sécurité familiale, de l'environnement où vous pouvez prendre les choses pour certaines et vous connaissez votre place - c'est ce que vous devez faire, sinon vous ne serez jamais indépendant."

dimanche 7 juillet 2013

Moment thucydidien et libéralisme

Thucydide, il y a 25 siècles, a décrit ce que nous vivons. Voici ce qu’en dit l’anthropologue Marshall Sahlins :
Cependant au fur et à mesure qu’avance la description par Thucydide du « désordre », non seulement les institutions sociales principales succombent à la nature humaine, mais le langage lui-même subit une dégénérescence similaire. L’iniquité morale s’accompagnait d’une hypocrisie égoïste à tel point que « les mots devaient changer leur signification ». Dans son travail remarquable sur Les mots représentatifs, Thomas Gustafson parle d’un archétypique « Moment thucydidien », lorsque la corruption des gens et des mots ne fit qu’un. (…) quand les mots étaient traduits dans la guerre à mort pour le pouvoir, injuste devint juste et juste, injuste. Comploter devint de « l’auto-défense », l’hésitation prudente fut condamnée comme « vile lâcheté », la violence frénétique était de la « virilité », être modéré, c’était en manquer. Les serments ne tenaient guère face à l’intérêt de les trahir. Le seul principe qui demeurait, remarque l’auteur classique W.Robert Conner, était « les calculs de l’intérêt personnel. Maintenant toutes les conventions de la vie grecque – les promesses, les serments, les supplications, les obligations vis-à-vis d’un parent ou d’un bienfaiteur, et même la convention ultime, le langage lui-même, cédèrent. C’est le bellum omnium contra omnes de Hobes. » 
Un exemple, fascinant. C’est au nom de la « liberté » que la soft power anglo-saxonne et ses lobbys nous imposent leurs intérêts.Vendre est un combat pour la liberté. Le sens même de libéralisme a été réinterprété.

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Depuis 68, et la libération de l’homme, l'individualisme est déchaîné. Guerre de tous contre tous. Il s’agit d’avoir le dernier mot. On joue au lavage de cerveaux. Plus rien n’a de sens, sinon celui de justifier l’intérêt de quelqu’un. (Ce n'est pas pour autant qu'il faut condamner la liberté. Il faut chercher à mieux l'employer, me semble-t-il.)

samedi 6 juillet 2013

Votre carrière est-elle protéenne ?

Contrairement à la carrière traditionnelle, qui est généralement linéaire et gérée par l’employeur, une carrière protéenne est contrôlée par l’individu et dirigée par des facteurs intrinsèques (des valeurs personnelles, par exemple). Dans la conceptualisation protéeenne du développement de carrière, l’individu gère les expériences importantes de sa carrière, telles que éducation, apprentissage, emploi et loisirs, et vie de famille. (A Primer on Organizational Behavior de James L.Bowditch, Anthony F.Buono, Marcus M. Stewart, Wiley, 2008.)
Et si ma carrière était devenue protéenne ?

vendredi 5 juillet 2013

Comment noter ?

Chaque année, je me demande comment noter mes étudiants. Je suis en face de trois cas de figure.
  • Il y a ceux qui me trouvent sympathique et veulent faire du zèle. Ils passent malheureusement souvent à côté du sujet. Ce qui me navre.
  • Il y a le « bon élève », l’intellectuel. Cette fois-ci j’ai, plus ou moins, la lettre du cours. Mais pas son esprit. Le bon élève est un as de l'économie. Il obtient la meilleure note pour le minimum d'effort. 
  • Il y a les « rebelles ». Ils en font à leur tête. Curieusement, ils ne font pas ce que je leur demande, mais ils se prennent de passion pour le sujet, et en découvrent l’esprit. Cette catégorie en comprend deux : les rebelles de l’écrit et les rebelles de l’oral.
Je me demande s’il n’y a pas ici une métaphore de notre mécanisme de pensée. Et si mon cours ne porte pas plus sur la pensée, et le jugement, que sur le changement. Penser, c’est refuser les codes. C’est faire du neuf. Mais c’est un neuf qui n’est pas aléatoire, c’est un neuf qui correspond à une nouvelle réalité. On rejoint le changement, finalement. Il y a un lien.

Généralement, nous ne pensons pas. Nous surfons sur les courants de pensée existants. Nous les choisissons indirectement. Par des arguments tels que : celui qui les porte est-il de mon camp ? Ou par rationalisation de notre paresse, en trouvant une raison de ne pas nous pencher sur une idée qui nous dérange : celui qui la propose est-il très catholique ?

jeudi 4 juillet 2013

Fait-il bon travailler dans votre entreprise ?

Un questionnaire (en anglais) pour savoir s'il fait bon vivre là où vous travaillez : http://hbr.org/web/2013/06/assessment/the-perfect-place-to-work.

Cela est tiré du travail de deux chercheurs. Il semble montrer que l'on attend beaucoup de son emploi. Et surtout beaucoup plus qu'un salaire. Justice et exigence de sens dominent. Problème de méthodologie ou réalité profonde ?

Changement : notez votre entreprise !

Mes étudiants avaient cette année à noter la capacité de leur entreprise au changement.
En réfléchissant à leurs observations, et aux miennes, j’en suis arrivé à la grille suivante :
  1. Si la survie de l’entreprise était en jeu, elle serait incapable de changer.
  2. Le changement, porté par la direction, est possible, mais il se fait contre l’organisation.
  3. Le changement, porté par la direction,  est possible, il a le soutien de l’organisation. Mais il se fait dans la douleur, car mal conçu. (Logique de l’exploit.)
  4. Le changement, porté par la direction, est efficace et rapide. L’entreprise possède un savoir-faire de conduite du changement.
  5. Le changement vient majoritairement d’en bas et il se fait vite et bien.
Apparemment, tous les cas examinés se placent entre 1 et 3. Avec une infime minorité à 3. À noter le cas curieux d’un cabinet de conseil international, spécialiste du changement. À peine la réorganisation annoncée, le dirigeant qui en est le relais local disparaît mystérieusement, chacun prend son sort en main, interprétant le changement dans le sens de ses intérêts...

mercredi 3 juillet 2013

France : crise ou révolution ?

Voici les comptes d'une belle société de service à la pointe du high tech. Elle est d'ailleurs reconnue pour la qualité, exceptionnelle, de ses compétences. Un tiers de son chiffre d'affaires est fait avec l'Etat. Le reste avec de grands groupes. Sans le crédit impôt recherche, son bénéfice est nul. Combien y a-t-il d'entreprises dans cette situation ? Que donnerait une compression du budget de l'Etat ? Mais il y a plus curieux.

Regardez les Champs Elysées. C'est le hall d'exposition du "marché" dans ce qu'il a de plus anglo-saxon, avec, tout en haut, le bling bling pour oligarque, Vuitton. Et si c'était l'image fidèle de ce qu'est devenu notre pays ?  Les services de l'Etat ont été privatisés, des intérimaires aux intermittents du spectacle en passant par les pigistes, sa main d'oeuvre est flexible, son université est construite sur le modèle américain et parle américain (bachelor, master, business)... Que nous reste-t-il ? Une illusion. L'Etat, par son déficit, évite à toute la précarité française de réaliser qu'elle est précaire. Le jour où la rigueur aura frappé, la France ressemblera à l'Angleterre de Dickens. Sans qu'un coup de feu soit tiré, le modèle anglais du 19ème siècle s'est installé chez nous !

Que va-t-il arriver le jour où nous allons le découvrir ? Le jour, où, selon l'élégante expression des milieux d'affaires anglo-saxons "la fin de la récréation aura été sifflée" ? Sommes-nous dans une crise ou aux portes d'une révolution ?

Les médias : abêtissement délibéré du peuple ?

Possibilité d’être interviewé par un journaliste d’une grande radio privée. Problème : on a peur d’un propos « intellectuel ».

Curieux. On ne dit pas au médecin qu’il est « intellectuel ». Pourtant il nous parle avec des mots techniques. Qu’est-ce qu’il y a d’incompréhensible et d’abstrait chez moi ? Je parle avec les mots de l’entreprise. Et dans l’entreprise je côtoie tout le monde, et j’ai l’impression d’être parfaitement compris. Et même d’être trouvé utile. Puisque tout le monde finit par me demander de l’aide. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens qui aient mon expérience des êtres humains.

Eh puis, j’ai entendu dire que 80% d’une classe d’âge avait le Bac. Cela ne signifie-t-il pas que l’écrasante majorité de la population peut absorber des concepts un peu compliqués ?

Nos médias nous méconnaissent-ils ? Nous méprisent-ils ? Veulent-ils nous abêtir pour mieux nous manipuler ?... 

mardi 2 juillet 2013

Apprendre l'entrepreneuriat au MIT

Rencontre de William Aulet, directeur du Martin Trust entrepreneurship Center du Massachussetts Institute of Technology  (MIT). Homme très simple et franchement sympathique, et entrepreneur à succès. Il ne connaît rien de la France, mais est surpris que personne dans l’auditoire n’ait entendu parler de Jeremy Lin. Pour lui le monde est un village américain.

Il vient de publier un livre, « Disciplined Entrepreneurship », qui me semble très bien. (Parce qu’il l’a conçu comme les miens ?) Il est parti de son expérience, qu’il a formalisée à la lumière de la science. Il utilise les travaux académiques, les sciences humaines en particulier, comme « outils », et non comme méthodologies fermées à suivre aveuglément. Surtout, dit-il, il ne faut jamais oublier qu’entreprendre est extrêmement difficile. Ce n’est pas une partie de plaisir.
MIT est une formidable usine de création d’entreprises. Le « mile carré » (2,5km2) du campus produit un PIB qui le place au 11ème rang mondial. Les étudiants de Bill Aulet sont presque exclusivement des immigrés. Les WASP sont quasiment inexistants. Faudrait-il avoir « le ventre vide » pour lancer une entreprise ? Qu’est-ce qui motive l’entrepreneur, d’ailleurs ? « Hack the system », être plus fort que la société, ses lois et ses conventions. C’est un « pirate » (« It’s more fun to be a pirate, than to join the navy » : « creative irreverence »). Ce qui, lorsque l’on y réfléchit bien, est extraordinairement inquiétant. Et un peu contradictoire, comme on va le voir maintenant. En tout cas, cette observation est critique pour comprendre comment on peut enseigner l’entrepreneuriat. On sélectionne un état d’esprit. Ensuite on lui apporte les compétences dont il a besoin. Et ce en situation réelle. « L’enseignement est contextuel. » Ce qui fait qu’il est extrêmement difficile de faire croître l’offre de formation avec la demande.

Qu’est-ce qui fait qu’un pays produit des entrepreneurs, lui demande-t-on ? D’abord la culture. Certaines cultures ne s’y prêtent pas du tout (comme celle de l’Arabie Saoudite). Ensuite, la formation. Quoi que. L’entrepreneur est avant tout un rebelle. Le meilleur élève de la classe, lui, n’a rien de ce qu’il faut pour cela. Son art est de faire plaisir. Les réseaux d’entraide jouent aussi un rôle extraordinairement important. D’abord, comme soutien émotionnel. Ensuite parce que la concurrence nuit à l'entrepreneur. Toutes les idées lui sont utiles. Les frontières sont ses ennemies. Au fond, il n’a pas de patrie.  En troisième lieu, l’Etat. (Surprise de l’auditoire, fait de surdiplômés, employés par des multinationales.) L’Etat fournit le cadre, juridique notamment, sans lequel l’entreprise ne peut pas exister. Tout le reste est secondaire. Y compris le marché, ou le financement, que l’on trouve toujours lorsque l’on est bon. (Mais le financement initial est important.) Et y compris l’innovation. Seule une minorité de projets issus du MIT partent d’une innovation technologique.

Parmi les ennemis de l’entrepreneuriat ? Les incubateurs. Ils maintiennent en vie des projets sans avenir. Il faut des accélérateurs : avec eux, ça explose, ou ça casse. Extrêmement vite. Ce qui permet, dans le second cas, de repartir sur une meilleure idée. Mais il y a pire. Goldman Sachs, qui détourne le talent de missions utiles pour la société. (Bizarre, je trouvais que Goldman Sachs partageait l'esprit pirate du MIT - et qu'il avait formidablement manipulé le système par ses innovations !)

Le site, épatant, du livre de Bill Aulet : http://disciplinedentrepreneurship.com/

lundi 1 juillet 2013

La France des deux cents maternelles

Jacques Attali ( ) dans un rapport ( ), écrivait que la complexité de notre système favorise de véritable délits d’initiés pour ceux qui « bénéficient dès l’enfance d’un soutien et d’une formation privilégiés sur les impasses du labyrinthe éducatif » et « en poursuivant jusqu’à l’absurde, on pourrait même sans doute établir que la majorité des élèves des plus grandes écoles françaises ont commencé leur scolarité dans une ou deux centaines de classes maternelles. » ( ) Alors que dans le passé des élèves brillants étaient rapidement identifiés puis orientés vers les filières d’excellence indépendamment de leur origine sociale, le système de formation de nos élites est devenu profondément endogame. Georges Charpak observe : « si un pays de 60 millions d’habitants ne recrute ses ingénieurs que dans des milieux qui représentent 10% de la population, c’est comme si on réduisait ce peuple à 6 millions d’habitants. » (Texte complet.)
Après la France  des deux cents familles, la France des deux cents maternelles ? Je me demandais ce qu'il en était de l'ascenseur social français. Si j'en crois ce texte, il n'existe plus. Nous ressemblons extraordinairement à l'Angleterre de Eton. D'ailleurs l'université parle de Bachelor et de Master, ne rêve que de classements de Shanghai et de professeurs anglophones, et enseigne le business. La France est métamorphosée ? Et le changement s'est fait sans violence ! Soft power anglo-saxonne ?

Après le chaos, la démocratie ?

« Les crises économiques, plus que la prospérité, annoncent la démocratie. »The Economist s’interroge sur la vague de révoltes qui secouent le monde. Et s’en réjouit, finalement. D’ailleurs, les affrontements sectaires, Shiites contre Sunnites, n’ont pas pour vocation de dégénérer. Une forme d’équilibre a toujours été de rigueur. « Ni le poids des allégeances religieuses ni la forme des alliances politiques n’ont été constants au Moyen-Orient. Savoir que cela peut changer agit comme un frein contre un affrontement sectaire à outrance. » Pour le reste, ça bouge partout. En Turquie, le gouvernement a été apparemment ferme face à ses opposants, mais flexible, en réalité. Les négociations avec l’Europe et les Kurdes n’ont pas été suspendues. Au Brésil, la crise semble calmée. Mais n’a-t-on pas promis l’impossible ? (Le problème majeur est la corruption et le dysfonctionnement de l’Etat, si je comprends bien, i.e. de ce qui devrait mener les réformes !) Qui va tirer parti de ces troubles ? L’ex président Lula ? Mais n’est-il pas à l’origine de ce dont souffre le pays ? (Demain le chaos ?) Le retour de fortune brésilien a fait une victime : son homme le plus riche. Les investisseurs étrangers ne croyant plus au pays ne lui prêtent plus. Et ses affaires n’étaient apparemment que des bulles spéculatives. En Egypte, le pays est paralysé par l’affrontement entre gouvernement et opposition. Ce qui pourrait ramener l’armée au pouvoir. L’équilibre politique italien est suspendu aux démêlés judiciaires de M.Berlusconi. En Russie, Gazprom, outil de pouvoir et d’influence internationale de M.Poutine est menacé par le gaz de schiste. Il fait choir les prix, émerger une concurrence interne, et apporte de nouveaux fournisseurs à ses clients. En France « les implications politiques (de l’affaire Tapie) sont explosives ». Les Portugais veulent rester dans l’euro, mais ils souffrent. Qu’ils supportent cette souffrance est capital. « L’UE (…) a désespérément besoin d’un succès. Si le Portugal ne peut pas se remettre sur pieds en dépit d’un gouvernement de centre droit qui adopté le libre échange avec zèle, les critiques diront que le problème est dans le traitement, pas dans son application ». C’est la faiblesse de la France qui a fait de l’Allemagne un leader. Mais elle est extraordinairement mal à l’aise dans ce rôle. Elle sait surtout ce qui n’est pas bien. Non où aller. Barack Obama tente de faire passer quelques mesures de lutte contre le réchauffement climatique. Mais il est paralysé par une opposition qui utilise toutes ses initiatives pour lui nuire. (Dans ces conditions, ne devrait-il pas chercher à encourager le réchauffement climatique ?) L’Affaire Snowden, en dévoilant l’hypocrisie massive des USA, provoque « le malaise de l’Amérique et la joie de ses ennemis ». Annonce de la prochaine crise économique ? La banque fédérale américaine parle de ralentir sa politique de soutien de l’économie. Partout les marchés sont sans dessus dessous. Et les banques tremblent.  « C’est une douce ironie que les titans de la gestion de fonds, qui se considèrent comme des champions robustes du système du libre échange, soient si dépendants des subventions des autorités monétaires. » Quant à Internet, il facilite les révolutions, mais pourrait bientôt être la meilleure arme pour les éviter, ou les réprimer.

Dans le monde de l’entreprise. Le marché monte à l’assaut de l’école. Dorénavant, on va apprendre par ordinateur. Certes ce n’est pas la première fois que l’on cherche à appliquer une innovation à l’école. Mais cette fois-ci, c’est sûr, c’est plus efficace que la méthode traditionnelle. Mais n’est-ce pas un moyen de licencier de l’enseignant ? D’accroître les inégalités ? En tout cas les lourdeurs administratives pourraient freiner ce changement, bénéfique selon The Economist. Alors, les entreprises cherchent à rendre les familles accro à leurs produits, afin qu’elles fassent pression sur l’Etat. (Au fait : quid de la socialisation dans l’apprentissage ?) Pour le reste, cela bouge presqu’autant que dans la société civile. Les télécoms européennes sont « dans le trou ». En particulier, les spécialistes du mobile. La faute apparemment à trop de concurrence, et trop de déréglementation ! Du coup, ils n’ont pas les moyens d’investir dans le 4G. Les Américains tournent autour des sociétés européennes, exangues. Le cloud donne l’avantage à IBM et Amazon (« Amazon pourrait rouleau compresser tout le monde »). Cela force Salesforce, Oracle et Microsoft à s’unir, pour tenter de sauver leur peau.