Les communautés humaines s'auto-organisent. Et c'est exceptionnellement efficace. OSTROM, Elinor, Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge University Press, 1990.
Imposer à un système une loi extérieure provoque victoire de l’égoïsme et destruction du bien. C’est la « tragédie du bien commun » (plus connue sous le nom Tragedy of the commons). Sans code de bonne conduite partagé, chaque acteur a intérêt à tirer le maximum du bien. Ce faisant il l’épuise, et se ruine. Ce livre montre comment les communautés humaines s’auto-organisent pour entretenir les biens qui leur sont communs (systèmes d’irrigation, pâturages…).
Règles d'administration d'un bien commun
Pour que le « bien commun » soit correctement géré, il faut suivre quelques règles :
- Les frontières du bien doivent être clairement définies (on doit savoir qui a des droits sur lui).
- Ce que l’on apporte et ce que l’on en retire sont équilibrés.
- Ceux à qui s’appliquent ses règles opérationnelles peuvent les modifier.
- Ceux qui surveillent le respect de ces règles sont ceux qui les subissent ou des personnes qui leur répondent.
- Les sanctions sont graduelles (et faibles).
- Un système de résolution de conflit est facilement accessible.
- Les gouvernements externes ne s’immiscent pas dans cette juridiction.
- Si le système est de grande taille, il est géré par des niveaux hiérarchiques cohérents d’organisation fonctionnant sur le même principe.
Un système exceptionnellement efficace et robuste
Étonnant : ce qui fait tenir ensemble l’édifice est la règle « Je ne suis les lois que si tous les suivent ». Une fois le système en place se produit un cercle vertueux. Pour que chacun soit rassuré sur le suivi des lois par les autres, il faut que chacun connaisse les agissements des autres. Ce qui conduit à un système de supervision peu coûteux. Et au choix de règles faciles à appliquer. D'où coûts de coercition quasi nuls. (Il sont très importants dans le cas d'un Etat ou d'une entreprise.)
En situation difficile, l’individu peut faire une entorse au règlement sans subir de sanction grave. En fait, le système semble faire tout ce qu’il peut pour ne pas provoquer l’éclatement de la communauté (ce que produirait une punition sévère).
L’intérêt de laisser à ceux qui les subissent la responsabilité de définir les règles qu’ils suivent est de leur permettre de les adapter à leur contexte particulier. Ils les modifient d’ailleurs régulièrement, pour faire face aux évolutions de leur environnement. Ces règles sont un « capital social » : un savoir-faire accumulé d’une immense valeur. (Avantage par rapport aux us de l’État ou de l’entreprise, qui créent des règles sans connaissance précise des réalités opérationnelles.)
Dans ce système les conflits sont bénéfiques : ils permettent d’interpréter les règles. C'est pourquoi ils sont facilités (nombreux espaces d’arbitrage).
Plus cette population pratique le changement, plus il devient facile et plus elle peut trouver dans le changement un bénéfice immédiat (ce qui élimine donc la résistance au changement), d’où accélération des changements…
Au préalable, la population doit avoir une même « modélisation » du problème : par exemple des zones de pêche qu’il s’agit de se répartir. Ceci demande une longue expérience : diviser une étendue d’eau en « zones » n’a rien d’évident.
Le démarrage : la communauté doit décider de prendre son sort en main
Comment démarrer ce cercle vertueux ? Deux exemples.
- Gestion des nappes phréatiques californiennes, la menace de leur épuisement amène les acteurs concernés à s’entendre après de longues tractations.
- Sri Lanka. Des « catalyseurs » sont envoyés encourager de petites communautés de paysans à collaborer à la gestion de leur système d’irrigation. Chaque communauté définit ses règles de cohabitation. Un système de gestion imbriqué se bâtit ensuite au dessus de ces communautés pour permettre une cohabitation générale. Bénéfice : les Cingalais et les Tamouls locaux apprennent à vivre en bonne intelligence.
Il faut probablement une prise de conscience que l'on a un "bien en commun", et qu'il est essentiel pour chaque individu, et que sa pérennité ne peut être assurée sans l'ensemble de la communauté.
Une solution aux problèmes les plus graves
Ce texte est important parce que nous sommes face à des problèmes graves (effet de serre, épuisement des ressources naturelles…) qui sont de son ressort. Et qu’il nous dit que nous ne cherchons pas au bon endroit : pas besoin de messie, il faut apprendre à créer les conditions qui feront que l’humanité prendra son sort en main et trouvera une organisation qui lui permettra une gestion durable de la planète.
Sur le même sujet :
- L'article auquel je dois ce livre : Gérer Internet et la planète.
- John Stuart Mill aurait-il approuvé ces travaux ? (De la liberté)
- Une autre note sur l'intérêt de faire gérer leurs problèmes par ceux qu'ils concernent : Toyota ou l’anti-risque
- Sur la stratégie je fais si tu fais, qui semble à l'origine de la construction de toute coopération : travaux de Robert Axelrod (Théorie de la complexité).
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