Norbert Elias (1897 - 1990). Ce que je retiens de trois de ses livres :
- Une étude surprenante de l'évolution des moeurs en Occident. Les bonnes manières telles qu'on les enseigne dans les livres deviennent le guide inconscient de nos comportements. Autrement dit, notre nature est modelée, à un point inimaginable, par notre culture. Tout ce qui nous semble aujourd'hui idéal et utopique peut être notre comportement de demain.
- La formation de l'Etat en Europe occidentale. La concurrence entre barons conduit à l'installation d'un monopole central qui détient la force. Progressivement, il y a "division des tâches". A la concurrence succède une organisation par spécialité. L'Etat n'est plus alors la propriété d'un seul, mais celle de tous (fonction de régulation).
- La naissance de l'individualisme. Dans les sociétés antérieures, l'homme se définissait comme membre d'un groupe. Peu de latitude de décision. Progressivement la société nous a demandé d'occuper un rôle bien précis (division des tâches). Pour mener à bien notre mission nous avons dû intérioriser les règles de la société, construire un "surmoi". Paradoxe. Alors que jamais la société n'a exercé une telle emprise sur l'homme, jamais il ne s'est senti aussi détaché d'elle. Il la voit même comme une menace à sa liberté.
- Avenir de la planète ? La logique voudrait un état mondial. Des forces s'y opposent : chaque société se reconnaît dans un "nous", le niveau ultime d'intégration : famille, tribu, nation... C'est la nature de ce "nous" qui peut empêcher le passage d'un type de société à un autre. Par exemple, dans les pays "en voie de développement", la fidélité de l'individu va à sa communauté, non à l'Etat. D'où l'impression de corruption que donne une logique relationnelle traditionnelle (privilégier les membres de son groupe), incompatible avec le nouveau mode organisationnel, l'Etat occidental. Nous sommes aujourd'hui face à ce problème : l'individu se reconnaît dans sa nation non dans le monde.
- Les trois livres : La civilisation des moeurs, Pocket, 2003 ; La dynamique de l'occident, Pocket, 2003 ; La société des individus, Pocket 1998. Une note biographique : http://www.republique-des-lettres.fr/225-norbert-elias.php.
- La comparaison faite par l'ethnologue Bronislaw Malinowski entre les moeurs sexuelles des "primitifs" des Iles Tobriand et les nôtres dit comme (1) que nous sommes malléables. (MALINOWSKI, Bronislaw, Sex and Repression in Savage Society, Routledge, 2001.)
- Il est tentant de faire un parallèle entre (2) et Marx et Schumpeter. La concurrence doit-elle amener au monopole ? monopole finalement contrôlé par la communauté ? Idées résultant d'un courant de pensée propre à l'Europe centrale ? (SCHUMPETER, Joseph, Capitalism Socialism and Democracy, HarperPerennial, 1962.)
- Pour un possible exemple de "corruption culturelle" : Malheureuse Inde.