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lundi 27 juillet 2009

American visions of Europe

HARPER, John Lamberton, American visions of Europe, Cambridge University Press, 1994.

Le livre examine les idées de trois dirigeants américains. Elles représentent les trois principaux courants de pensée qui s’affrontent dans la tête et les actes de la diplomatie américaine quand il est question d'Europe.

Une Europe schizophrène

Pour commencer par la fin, le problème que l’Europe pose aux Américains est « comment protéger le reste du monde – au moins leur propre expérience politique et sociale – des tendances destructrices de l’Europe, pas nécessairement pour sauver l’Europe elle-même. »

Ils n’ont pas trouvé de solution à la question : « les États unis semblent déchirés entre deux remèdes possibles : d’un côté, essayer de continuer à circonscrire l’autonomie des puissances européennes et de maintenir le degré de tutelle sur les affaires européennes auquel ils se sont habitués ; de l’autre, favoriser une plus grande initiative européenne, quelle qu’en soit la conséquence. »

Les Européens de tout bord partagent cette hésitation, entre union et nationalisme, autonomie et besoin de protection (américaine). Pas besoin d’aller chercher plus loin les raisons de l’état actuel de l’UE ?

Franklin Delano Roosevelt ou la mise hors service de l'Europe

FDR voit l’hémisphère occidental comme un sanctuaire de valeurs fondamentales, divisé entre une Amérique jeune et vertueuse, et une Europe décadente et corrompue. Il veut sauver le monde de l’Europe. Pour cela, il va la dissoudre en une multitude d’Etats tenus en respect par URSS et Grande Bretagne qui joueront à diviser pour régner. L’Amérique, une fois revenue à son habitat naturel, à ses affaires, contrôlera cet ensemble à distance.

À ce dispositif s’ajoute un directoire mondial, dont les USA seraient le pivot. Il est composé de 4 gendarmes : USA, Chine, URSS et Grande Bretagne. S’il méprise cette dernière, il la conserve pour des raisons de solidarité anglo-saxonne. Il estime la Russie et la Chine (qui s’annonce comme une marionnette) des Etats neufs et rationnels, à l’image des USA, avec lesquels il est possible de s’entendre pour refaire le monde.

Sa stratégie consiste à jeter l’Amérique dans la guerre le plus tard possible, de façon à ce que les combattants soient tellement épuisés qu’ils n’aient plus rien à lui refuser. Cependant, il doit intervenir avant que l’un d’eux (à commencer par la Grande Bretagne) ait pris le dessus : l’Europe ancienne renaîtrait alors.

Il abandonne l’Europe de l’Est, qu’il méprise, à l’URSS, laisse l’armée polonaise se faire massacrer, pour ne pas être désagréable à Staline, et espère que l’Allemagne se disloquera et reviendra à la multitude d’Etats microscopiques qu’elle était avant 1870.

Mais cette révolution culturelle, dont l’ampleur ridiculise celle de Mao, rencontre l’entêtement des faits. La vieille Europe refuse de renoncer à son âme, Staline n’est pas aussi amical que prévu, et l’opinion publique américaine veut la liberté pour les peuples libérés. FDR meurt opportunément.

George F.Kennan ou l’Europe a son meilleur

George Kennan est un diplomate. Contrairement aux deux autres personnages, il connaît bien l’Europe du nord et la Russie (il parle allemand et russe, et est marié à une Norvégienne). D’une certaine manière il est l’opposé de FDR : pour lui l’Europe représente la culture et l’esprit face à l’uniformisation matérialiste américaine. Il faut l’aider à trouver le destin qu'elle mérite.

Il doit son heure de gloire à l’invention du « containment ». Il pensait que l’URSS était une étape provisoire dans l’histoire de la Russie ; il fallait donc l’aider à poursuivre sa transition. Alors, elle deviendrait un contributeur essentiel au développement de l’Occident. Réussir cette transformation était simple. L’URSS reculait devant la force, elle était instable, et la mort de Staline lui poserait de grands problèmes. Il fallait la soumettre à une pression externe qui amènerait sa population à se réformer d’elle-même.

Il voulait construire le monde en 3 sphères. D’un côté les Anglo-saxons, de l’autre la Russie, et enfin une Europe sans Angleterre (elle cherche traditionnellement à la disloquer) dont le moteur serait une Allemagne qui lui apporterait son dynamisme entrepreneurial et fédérerait des pays de l’Est anarchiques, ramenant ainsi l’URSS en Russie. L’Europe fournirait à l’Allemagne l’espace que réclamait une énergie créatrice jusque-là contrariée, d’où guerres. Pour maîtriser cette Allemagne réunifiée les nations européennes seraient obligées de construire une fédération forte. C’était l’idée hitlérienne qui n’aurait pas déraillé. Une fois l’édifice en place, les troupes américaines pourraient revenir chez elles, de ce fait réduisant l'hostilité ressentie par l'URSS - hostilité nécessaire à sa cohésion. C'était la théorie des dominos, prise à l'envers.

La vision de Kennan s’est heurtée à des obstacles. L’administration américaine pensait que l’URSS avait besoin d’une zone d’influence ; le plan Marshall a voulu faire une Europe à l’image, matérialiste, des USA ; les Européens étaient effrayés par une Allemagne réunifiée, et trop irresponsables pour faire autre chose que d'utiliser leurs faiblesses pour soutirer des aides aux USA.

Dean G.Acheson ou la solution médiane

Dean Acheson est le ministre des affaires étrangères des débuts de l’Europe. Contrairement aux deux autres, il ne semble pas avoir d’idées bien arrêtées sur l’avenir de l’Europe. C’est aussi un Américain de plus fraiche date (son père est né en Angleterre), qui ne partage pas l’anxiété de « l’entanglement » européen (cette obsession vient de Washington qui a fait promettre à ses descendants de ne jamais se compromettre dans les affaires des autres). Au contraire il croit en la nécessité d’une relation entre USA et Europe. C’est un avocat qui semble avoir le profil du « donneur d’aide » des sciences du changement : il essaie d’aider ceux avec qui il travaille à résoudre leurs difficultés. Il s’appuie sur ce qui compte pour ses interlocuteurs.

Le consensus alors est que le salut européen passe par l’union. Devant la faiblesse européenne, il est convenu que les USA soient un leader, pendant quelques années. Acheson va tenter de réaliser ce plan. Il en sortira épuisé. Non seulement les Etats européens n’ont aucune motivation pour l’union, mais encore on craint qu’ils ne s’effraient de la faiblesse américaine (notamment lors de ses difficultés coréennes), ou de ses velléités de les abandonner, et n’optent pour la neutralité. La question est résolue lorsque les nations européennes prennent l’initiative de demander aux USA une aide militaire permanente. Paradoxalement l’OTAN est un succès diplomatique français.

La CECA est un succès inattendu qui redonne un peu de courage à Acheson. Il tente alors d’amener l’Europe à constituer une armée (CED). Après une exténuante série de rebondissements (par exemple, la France essaie de faire payer le surcoût qu’entraîne le projet par les USA), un apparent succès (conférence de Lisbonne), la CED est rejetée. Les Européens savaient depuis le début qu’elle ne passerait pas. Ils auraient abusé Acheson pour lui soutirer des avantages. En fait, ce qu’Acheson a réussi est ce que les nations européennes ont voulu. Du moins est-ce ce que pense l’auteur.

Héritage

Les 3 tendances précédentes semblent influencer tour à tour la politique américaine. La tendance Acheson, d’une Amérique relativement impliquée en Europe, qui y a un rôle de leader, domine. Mais il y a des instants Kennan, par exemple à l’époque Brzezinski, de retrait des troupes américaines d’Europe. Et aussi des impulsions FDR, à la fois à l’époque Kissinger, mais aussi lorsque l’Amérique a cru convertir au libéralisme de marché les pays émergents, en abandonnant une vieille Europe irrécupérable.

Commentaire : leçon de changement ?

Leçon de conduite du changement ? Tous les trois ont échoué, parce qu’ils ont voulu, à des degrés divers, passer en force, imposer à des peuples une vision qu’ils ne partageaient pas ?
  • Roosevelt paraît le parfait apprenti sorcier qui veut manipuler le monde sans rien en connaître.
  • Kennan connaît la culture des pays européens, et croit que le nazisme et le communisme ont un revers honnête vers lequel il est possible de faire basculer l’Europe et la Russie. Voilà les bases mêmes des techniques de conduite du changement : utiliser les hypothèses fondamentales de sa culture pour amener un groupe dans une direction désirée (cf. Edgar Schein). Mais c’est un homme de conviction, de mots, et pas d’action. Or, le facteur clé de succès du changement c'est son contrôle.
  • Quant au donneur d'aide Acheson, s’il n’a pas réussi ce qu’il voulait, il a peut-être été le catalyseur d’un changement colossal, sans précédent. En peu d’années l’Allemagne est redevenue souveraine, l'Europe a enterré des siècles d'hostilité, les Européens de l'Ouest ont trouvé la sécurité, l’OTAN a été créé, ainsi que la CECA, le fondement de l’UE. D’ailleurs l’UE n’est-elle pas, du point de vue américain, un compromis idéal ? Un moyen terme optimal entre les idées de Kennan et celles de Roosevelt ? Suffisamment forte pour contribuer à la résistance au communisme, suffisamment prospère pour être un grand partenaire économique des USA, suffisamment divisée pour ne pas pouvoir présenter de danger pour les USA, qui en tirent facilement les ficelles ?
Quant aux Européens pourquoi sont-ils entrés dans ce montage ? Les USA, inconsciemment, ont-ils fait émerger la classe dirigeante et les régimes politiques que demandaient leurs plans ?

Compléments :