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samedi 3 octobre 2009

60 ans de République populaire de Chine

Cet anniversaire me ramène à l’héritage de Mao. Ses intentions me paraissent différentes de celles qu’on lui prête :

Le projet de Mao : réinventer la culture chinoise

D’une certaine façon il aurait voulu transformer la culture chinoise. Culture étant à prendre au sens ethnologique, c'est-à-dire de règles guidant le comportement collectif. Qu’il ait échoué ou réussi est presque secondaire par rapport à ce qu’il a été capable de faire. Tout seul, il a mis en mouvement des centaines de millions de personnes dans un extraordinaire exercice d’apprentissage collectif, la création de nouvelles règles culturelles.

  • Le grand bond en avant, c’était montrer qu’il ne tenait qu’à la volonté du peuple uni d’atteindre les performances du meilleur des capitalismes.
  • La révolution culturelle porte bien son nom. Mao parvient à faire que le peuple dise ce qu’il a sur la conscience, à partir de là, il procède à une « rectification ». Il fait « rééduquer » ceux qui pensent mal, selon lui.

Mao, souverain confucianiste

L’efficacité du procédé est bluffante. Un exemple. Il décide d’éliminer les hirondelles, le fléau des récoltes paysannes. Il faut empêcher que les hirondelles se reposent. Pendant plusieurs semaines les Chinois se lèvent la nuit pour effrayer les hirondelles. Réussite totale. (Des conséquences imprévues ont montré alors que l’hirondelle était utile, mais c’est une autre histoire.)

C’est une illustration extraordinaire des principes confucianistes, du rôle et du pouvoir du « bon » souverain dans une société bien organisée. Quasiment sans rien faire, de sa chambre, Mao mettait chaque année tout un peuple en furie, puis le renvoyait chez lui.

Pourquoi avoir voulu tuer le Confucianisme, pensée supérieure ?

Et pourtant, Mao a voulu éliminer la pensée confucianisme qu’il pensait coupable de l’arriération chinoise. Je me suis longtemps demandé s’il avait raison, tant la pensée confucianiste semble remarquable. Deux exemples :

  1. Si on veut la comparer à quelque chose d'occidental, c’est probablement à la « raison pratique » de Kant (les Chinois condamnant bien plus vigoureusement que Kant, la « raison pure » occidentale, et ne voulant, même, pas en entendre parler). Or la philosophie de Kant est le système philosophique dont a besoin la mécanique classique. Alors que nos autres philosophes ont généralement cherché à construire un système qui justifiait la société qui leur plaisait (la bureaucratie prussienne pour Hegel, le monde des boutiquiers pour Smith, la communauté villageoise pour Rousseau).
  2. Pour la pensée chinoise l’équivalence masse énergie est évidente depuis quelques millénaires. En effet, dans un monde qui passe du vide à la matière et retour, il y a fatalement un principe de continuité, l’énergie.

Tuer le confucianisme pour mieux le réinventer ?

Mais, avec le temps, j’ai fini par penser qu’une pensée trop parfaite devait finir par se suffire à elle-même et empêcher toute remise en cause. Le Confucianisme était bien un handicap.

Mais, pour autant, la remise en cause devait elle prendre la forme que lui a donnée la Chine ?

Je l'ai critiquée parce qu’elle nous caricaturait. De la recherche du principe des choses et du non agir, elle est passée à la croyance aveugle dans la force, dans le massacre de la nature pour la plier aux désirs de l’homme. Mais, me suis-je dit récemment, l'apprentissage n'est-il pas toujours maladroit, au début ? Ne va-t-il pas devenir bien vite plus malin ? Finalement, la Chine ne parviendra-t-elle pas, en un temps record, à s'approprier, au sens confucianiste du terme, notre culture, à en faire une seconde nature ?

Peut-être que Mao a eu raison : ce qui faisait la faiblesse de son pays était un manque d’ego, de volonté d’imposer son empreinte au monde. Elle devait s’extraire du confucianisme. S’extraire pour mieux le réinventer.

Compléments :

  • Mes idées sur les projets de Mao pour la Chine viennent de : SHORT, Philip, Mao: A Life, Owl Books, 2003.
  • Sur la pensée chinoise en général, et sur la pensée confucianiste en particulier : Pensée chinoise / Cheng
  • Un livre cité dans un précédent billet (La pensée (actuelle) en Chine / Cheng) dit que la pensée chinoise est une « pensée pragmatique » plus exactement que pratique.
  • Si je me suis intéressé (mollement) à la pensée chinoise, c’est qu’en écrivant la conclusion de mon premier livre je me suis rendu compte que je répétais quelque chose que j’avais vu quelque part. Après recherche, il s’agissait d’un fondement de la pensée chinoise (le LI). Cette réflexion sur la correspondance entre mon expérience et ce que je comprends de la pensée chinoise (Changement et pensée chinoise) m’a conduit à l’idée du dernier paragraphe de ce billet.
  • Imposer son empreinte au monde est le principe fondateur de notre pensée occidentale. Par conséquent, il est probable que Mao ait bien trouvé le germe qui manquait à la civilisation chinoise pour répondre au défi que lui lançait la nôtre.

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