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mercredi 14 octobre 2009

Crise occidentale : raisons structurelles

Au début des années 90, une lecture obligée en MBA était The Machine that Changed the World. Le livre expliquait pourquoi la production de masse était condamnée car économiquement ridicule. Or, elle a gagné…

Nette supériorité du lean manufacturing…

  • La production de masse (aussi appelée taylorienne ou fordiste), repose sur un découplage entre offre et demande. Les produits sont conçus des années avant d’être vendus, fabriqués par des machines, ou des hommes suivant des procédures (la procédure est le fondement des travaux de Taylor) et mis sur le marché. La publicité sert alors à former les goûts du marché à ce que l’entreprise sait produire.
  • Le lean manufacturing, que lui opposait The Machine that Changed the World, est une philosophie de production dont l’idée centrale est de coller au besoin du client, de lui répondre immédiatement. Pour satisfaire cette exigence, la chaîne de conception / fabrication / vente doit être flexible, ce qui fait employer plus d’hommes, mais des machines moins sophistiquées que dans la production de masse, et élimine les stocks. Contrairement au processus taylorien où l’homme est une machine, ici il a un rôle décisif : les processus sont améliorés par ceux qui les mettent en oeuvre. On profite ainsi de l’énorme capacité d’apprentissage de l’individu et du groupe social (que n’a pas la machine).

Ces procédés conduisent à des améliorations massives de qualité et de productivité par rapport à la production de masse.

… et les raisons de son échec

Or, ces 15 dernières années ont été un retour à la production de masse. Comment une technique économiquement inférieure peut-elle survivre à la sélection naturelle ? Parce que cette sélection a été entre parenthèses :

  • Nous avons vécu deux bulles spéculatives qui ont isolé les entreprises de la pression concurrentielle, d’ailleurs, comme dans le monde des télécoms et de l’automobile, toutes les entreprises ont adopté la même stratégie.
  • En particulier, les dirigeants ont cru que l’ordinateur permettrait de rendre flexible l’organisation. Les logiciels de CRM étaient supposés « orienter client » l’entreprise , les ERP infléchir ses processus internes en fonction du besoin du marché.

La production de masse a un autre atout : l’intelligence est dans la machine. Ceci permet d’une part d’avoir des dirigeants qui ne connaissent pas le métier de l’entreprise (ils achètent des machines), et des ouvriers sans qualification, donc en « concurrence parfaite », donc pauvres. De ce fait, la valeur qui est accumulée par l’entreprise profite massivement aux dirigeants, ce qui n’est pas le cas dans le modèle « lean », évidemment plus égalitaire.

Pourquoi une crise, alors ? Si l’on regarde ce qui s’est passé aux USA, il semblerait que le moteur de l’économie ait été la consommation, nourrie par la dette : les pauvres s’endettaient et les inégalités s’accroissaient. Peut-être parce qu’un tel édifice devient de plus en plus fragile, il a fini par s’effondrer. Aujourd’hui le marché reconstitue ses économies, et n'achète plus, ce qui paralyse le fonctionnement de la nation.

Hiver nucléaire

Le résultat de ce qui précède :

  • Les multinationales, qui avaient parié sur des effets de taille, la délocalisation et la promesse des marchés émergents, ont négligé leur recherche et développement ; ayant cru que les ordinateurs et les consultants géreraient leurs employés à leur place elles ont laissé péricliter le métier qui faisait leur efficacité. Par exemple les audits d’usines que je vois passer montrent des équipes stressées, sous pression, mais des prévisions de fabrication à un jour, production en grande partie inutile (!), stocks gigantesques (et vols), locaux de travail mal tenus et organisés de manière irrationnelle, logiciels de gestion utilisés invraisemblablement (faute de formation ?)… Conclusion : employés laissés à eux-mêmes, démission du management.
  • Les PME ont été dévastées indirectement. Elles sont pour beaucoup des sous-traitants des multinationales. La concurrence organisée par les services d’achat des grandes entreprises les ont mises à genoux et leur ont fait perdre leur savoir-faire (notamment licenciement des personnels les plus coûteux, car les plus expérimentés).

La menace émergente

Si notre tissu économique n'est plus que l'ombre de lui-même, celui des pays émergents se développe à plein régime :

  • Ils sont nationalistes : ils refusent la globalisation qui permet la collusion entre multinationales (l’élimination de concurrence) nécessaire au maintien de la technique production de masse, économiquement inefficace.
  • Ils se comportent comme des entrepreneurs. Ils investissent, innovent, apprennent.

En résumé, que les bonnes volontés à qui il reste un rien de compétence de gestion ou technique se réjouissent : elles ont un champ de ruines à relever ; et il va falloir faire vite. Et le lean manufacturing (en fait, le lean tout court) a de beaux jours devant lui.

Compléments :

  • WOMACK James P., JONES Daniel T., ROOS Daniel, The Machine That Changed the World: Based on the Massachusetts Institute of Technology 5-Million-Dollar 5-Year Study on the Future of the Automobile, Scribner Book Company, 1995.
  • L’exemple du comportement moutonnier de l’automobile : Recomposition de l’industrie automobile ?
  • La révolution précédente de l’automobile avait été l’adoption des techniques de lean manufacturing. Sur le mode projet et la Twingo : MIDLER, Christophe, L'Auto qui n'existait pas : Management des projets et transformation de l'entreprise, Dunod, 2004.
  • Sur le dynamisme émergent, dans les télécoms : Téléphonie mobile et pays émergents.
  • L’Amérique tirée par la consommation, une économie bâtie sur du vent et des petits boulots : Le Mal américain (analyse de Jacques Mistral, au second point). Il ne reste plus rien de l’industrie américaine : Désert industriel américain.
  • Nos dernières années ont vu une augmentation sans précédent des inégalités sociales : Hold up ? et Inégalités françaises ?

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