En ces temps où l’efficacité semble se suffire à elle-même, je suis frappé par ce qu’Aristote définit comme étant l’objectif, la fin, de l’existence : « le loisir ». « La guerre doit être choisie en vue de la paix, le labeur en vue du loisir, les choses indispensables en vue de celles qui sont belles. »
Cependant, cette vie se gagne. « Il faut posséder beaucoup de choses indispensables pour pouvoir se permettre une vie de loisir. » Et se mérite. « il faut du courage et de l’endurance pour le temps de la besogne, de la philosophie pour celui du loisir, et de la tempérance et de la justice pour ces deux temps, mais surtout pour ceux qui vivent en paix et dans le loisir. »
Ce point de vue s’oppose à la spécialisation anglo-saxonne, qui doit conduire à produire toujours plus (Adam Smith). Pour Aristote, en confondant fin et moyen, on finit par dribbler les poteaux du but. « La plupart des cités (qui) assurent leur salut par la guerre (…) une fois qu’elles ont acquis la domination elles périssent. » Surtout on aliène sa liberté. Comme aliènent leur liberté l’esclave, la femme ou l’artisan, qui ne sont que des moyens, et non des fins. « on doit considérer comme digne d’un artisan toute tâche, tout art, toute connaissance qui aboutissent à rendre impropres à l’usage et la pratique de la vertu, le corps, l’âme ou l’intelligence des hommes libres. »
Mais la contradiction n’est peut-être qu’apparente. Pour que l’homme libre puisse l’être, Aristote a besoin d’esclaves, de femmes et d’artisans. (C’est leur juste destin : ce sont des êtres inférieurs « par nature ».) De son côté, la classe dirigeante anglo-saxonne mène essentiellement une vie de loisirs, comme l’écrivent Veblen et Galbraith. D’ailleurs Adam Smith était un philosophe qui a vécu aux crochets des puissants. La spécialisation serait-elle pour le petit peuple, et les loisirs pour le grand ?
Compléments :
- Aristote, Les politiques, traduction Pierre Pellegrin, GF Flammarion, 1993
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