Michel SERRES dans un ouvrage succulent - Petite Poucette - nous pose une question simple qui me semble faire écho à celles que pose ce blog :
L'homme saura t -il s'adapter au monde qu'il a engendré?
Michel SERRES peut rentrer dans notre PANTHEON idéal du DD, il fait partie de ces humanistes, dont le parcours de baroudeur éclectique depuis 80 ans, donne de la profondeur et du sens à ses réflexions optimistes de philosophe.
Dans ce dernier livre, Michel SERRES marche dans les pas de Konrad LORENZ (les 8 péchés capitaux) lorsqu'il rappelle que depuis un siècle l'homme a rompu ses liens avec la nature. Ainsi, en 1900 la majorité de la population était agricultrice et aujourd'hui, c'est 1% qui a conservé cette capacité de symbiose avec la terre nourricière, le reste est citadin en recherche de loisirs et de tourisme.
Les corps de moins en moins sollicités et les esprits sur-excités, ne cessent de se transformer sous l'influence de l'espace qui se restreint (la population est passée de 2 à 7 milliards durant cette période) tout en évoluant avec le GPS, le mobile et la toile. Tout est bousculé, menacé, instable.
Au coeur de ces transformations, il y a le savoir et sa transmission.
Michel SERRES nous dit qu'aujourd'hui ce sont les médias, la pub et la toile qui prennent la place des enseignants qui n'ont pas su s'adapter.
Il évoque la transformation génétique que provoquent ces nouveaux apprentissages en excitant des zones cognitives différentes de celles excitées jusque là.
Ah si Konrad LORENZ avait pu rencontrer Michel SERRES...! c'est ce que ce médecin, éthologue expliquait déjà en 1973, sans prévoir l'avènement d'internet.
Comme le club de ROME et sa projection alarmante pour 2030 (et confirmée dernièrement), LORENZ est ressuscité par SERRES, mais ce dernier, à défaut de proposer des solutions, apporte de l'optimisme aux nouvelles générations, qu'il affectionne, et c'est là que se produit l'effet de SERRES.
Au passage, il nous livre l'origine du mal être des enseignants : je le cite
...j’ai compris avec le temps, en quarante ans d’enseignement, qu’on ne transmet pas quelque chose, mais soiLa question sous-jacente est : comment être soi?
Michel SERRES considère que la notion d'appartenance est en fin de vie. La religion, la nation, la région, le riche, le pauvre, le sexe, au nom de qui la génération précédente a tué, ne servent plus de référence.
Aujourd'hui un nouvel individu est né. Grâce aux nouvelles technologies, il est en inter-relation avec le monde et sa "bio" diversité, et se doit d'inventer de nouveaux liens sociaux. Il n' y a plus de chef qui fédère (il cite R. DOMENECH comme un précurseur!).
Ce nouvel individu a accès à un savoir illimité et immédiat, ce qui rend les institutions fondées sur un savoir-faire jalousement gardé et distillé, totalement obsolètes. Il faut lui apprendre, comme MONTAIGNE l'annonçait, à avoir une tête bien faite et non bien pleine.
Michel SERRES annonce la troisième révolution après l'écriture (de l'oral vers l'écrit) et l'imprimerie (de l'écrit vers l'imprimé). Avec ce passage de l'imprimé vers les technologies, il propose de casser toutes les cloisons qui ordonnent, classent, trient et qui surtout, empêchent d'inventer.
Comme l'écriture puis l'imprimerie ont fait évoluer l'ordonnancement de nos neurones, ce savoir accessible et illimité va pousser ce nouvel individu à s'adapter pour construire le monde en mode durable.
Un monde qui lui permette avant tout d'être "soi même" et en toute transparence, clé de la durabilité?
Effectivement, point de vue intéressant. Aurions-nous les bases pour une explosion créative qui va transformer l'humanité?
RépondreSupprimerL'homme a-t-il inventé la technologie qui lui permet de réaliser sa nouvelle vocation d'espèce désormais mondiale et supra nationale?
C'est beaucoup un acte de foi, tout de même. Un peu comme ce que disaient les tenants de la nouvelle économie, dans les années 90: le capitalisme (et déjà Internet) a gagné le monde, par conséquent, il n'y aura plus de crise, et la croissance sera colossale.
Par ailleurs, je ne suis pas convaincu par la tête bien faite. Pour arriver à penser, il faut accumuler, synthétiser, transcender ce que l'on absorbe, pas seulement savoir où le trouver.
Je ne suis pas non plus convaincu que tout soit facile à trouver sur Internet. Au contraire, on souffre d'un amoncellement de cochonneries. On n'a jamais eu autant besoin de filtres.
Ce qui ne contredit pas le message de fond : un nouveau monde est peut-être bien à construire...