Pages

dimanche 26 mai 2013

Hannah Arendt

Je me suis interrogé sur Hannah Arendt : haïssait-elle le monde ? Je ne pouvais pas plus me tromper. Sa devise était « amour du monde » ! Hannah Arendt m’a certainement donné une grande leçon. Une leçon qui est peut-être au centre de sa pensée. Mon erreur n’était pas dans l’interprétation de son livre, mais dans celle de ses intentions. Voilà ce qui arrive lorsque l’on est intellectuellement paresseux. La paresse intellectuelle est le mal banal qui nous entraîne sur la pente douce du mal absolu.
Le plus étrange est qu’à mesure que je lisais la vie d’Hannah Arendt, je découvrais qu’elle a écrit ce blog. Apparemment, à probablement pas grand-chose près, nous avons les mêmes obsessions. Toujours est-il que la pensée d’Hannah Arendt est étonnamment explosive. Elle contredit tout le prêt à penser moderne. Elle a révélé à la société de son temps ses petits arrangements coupables. Comme moi, celle-ci a réagi brutalement.

Eichmann et la banalité du mal
Il n’est pas étonnant que les déclarations d’Hannah Arendt sur Eichmann aient été mal reçues ! Ce n’est pas ce qu’elle écrit d’Eichmann qui compte. (Eichmann est un pauvre type qui n’avait pas les capacités de comprendre ce qu’il faisait.) Mais c’est son opinion sur l’attitude de la communauté juive. Hannah Arendt dit d’elle ce que l’on dit de la France : son élite dirigeante a facilité le travail des nazis. Et cela en pensant faire le bien, ou un « moindre mal ». Or cette élite dirige Israël ! Et le procès Eichmann est une manœuvre politique de Ben Gourion, qui par ailleurs a des accords avec l’Allemagne (qui lui livre des armes).
On entre de plein pied dans la théorie d’Hannah Arendt. L’homme est conditionné par sa communauté. Les nazis ont réalisé le mal absolu en détruisant les conditions qui font de l’homme un homme digne de ce nom. C’est pour cela que tous les peuples ont réagi de la même façon à leur influence. Le seul antidote au mal est la pensée et le jugement. C’est à la fois le doute quotidien, le refus du prêt à penser et des bons sentiments. Mais aussi chercher, contrairement à ce qu’a fait le monde d’après guerre, à comprendre pourquoi nous avons basculé dans le mal absolu. Tant que nous ne connaîtrons pas les causes du totalitarisme, il nous menacera.

La société contre le politique
J’avais correctement compris que la grande affaire d’Hannah Arendt est la lutte entre la société et le politique. Le politique doit s’entendre au sens grec du terme. C’est le débat dont émergent les directions que doit suivre la cité. C’est ce débat permanent entre égaux qui fait l’homme. L’homme a donc besoin d’une « pluralité » d’hommes pour se constituer. Il ne peut devenir lui-même que par « l’action » au sein d’une collectivité. Le droit de l’homme premier est donc d'être membre d'une communauté.
L’évolution historique de la société la montre occupée à détruire le politique, afin de faire de l’homme une chose gouvernée par ses besoins physiologiques. Exemples ? La glorification du travail par Marx, travail qui jusque-là était l’apanage des animaux ; l’égalité des femmes, qui si elle ne s’inscrit pas dans un combat politique servira une forme d’asservissement. (Autre exemple : l’attaque récente contre l’Etat et les politiques, au nom du marché ?)

Science du politique
Hannah Arendt voulait établir une science du politique. Je ne sais pas si elle a réussi. En tout cas, voici quelques idées que j’ai retenues.
Comme Kant, et contrairement à Hegel, elle pense qu’il n’y a ni fatalisme, ni détermination. L’histoire n’est pas écrite, c’est l’action quotidienne qui la fait. Comme Kant, elle est contre la raison pure, et pour la raison pratique. Elle oppose la « vérité des faits », à la raison. La raison nous enthousiasme pour des idées abstraites, coupées du sens commun qui se construit par la discussion. C’est au nom de ces idéologies que l’homme détruit l’homme. En revanche, les hommes ou les sociétés possèdent au fond d’eux une richesse qui leur est particulière (par exemple l’idée du politique chez les Grecs ?). C’est elle qu’il faut préserver. C’est l’interaction de ces « richesses » humaines qui permet la créativité du débat politique.
Le totalitarisme commence par une combinaison élite / masse. L’élite pense de manière mécanique. Elle suit une idéologie. La masse, si je comprends bien, diffère du peuple en ce qu’elle est faite d’individus indistincts, il n’y a plus de communautés. Elite et masse ont en commun, donc, de ne pas penser, de ne pas être capables de juger. Juger ne demande ni un haut intellect, ni une connaissance des sciences de la morale. Mais un questionnement systématique, une conversation permanente avec soi-même, et la volonté de prendre des décisions avec lesquelles ont pourra vivre. De manière plus technique, Hannah Arendt pense que juger, c’est se vider (de ses préjugés). On voit alors le bien et le mal, comme on voit le beau et le laid en art. (D’où référence aux travaux de Kant sur l’esthétique.)
L’éducation est un sujet important. De même que chaque action est une renaissance et une réinvention de la société, l’enfant est la source ultime d’innovation. Il ne doit donc pas être endoctriné. Ses différences, sa connaissance de la culture à laquelle il appartient et sa capacité à raisonner doivent être développées (idées de Herder).
La reconnaissance de l’importance du groupe comme condition nécessaire de l’être humain pose un problème curieux. Elle contredit la prééminence des droits de l’homme, puisque ceux-ci sous-entendent que l’individu est une sorte d’électron libre. En outre, pas de droits de l’homme (ou de la femme !) sans communauté pour les faire appliquer. Elle semble dire qu’une société est un assemblage de communautés. Les communautés sont des êtres moraux qui ont leurs droits. Aucune ne doit dominer les autres (comme l’UE, au fond). L’assimilation par une communauté supérieure de communautés subalternes (les Juifs en Allemagne d’avant guerre, les noirs aux USA) doit être combattue.
Autres idées curieuses. L’ambiguïté. Lorsqu’aucune solution proposée n’est satisfaisante (assimilation ou sionisme dans le cas d’Hannah Arendt), il faut naviguer entre les deux. Pensée systémique ? La non-violence, aussi. Hannah Arendt pensait que la violence était une manifestation d'impuissance. Qu'en cas de difficultés, il fallait sonder les ressources de la non-violence en premier.

Hannah Arendt le néoconservatisme et la pensée française
On finit dans l’anecdote. Contrairement à ce que je pensais, Hannah Arendt était anti-neocon. Mouvement dont elle a rencontré les fondateurs en Allemagne (Leo Strauss). Pour elle, les néoconservateurs combattaient le totalitarisme par le totalitarisme. Plus exactement, ils faisaient de la démocratie un concept totalitaire.
Hannah Arendt connaissait très bien la France, pour y avoir vécu. Elle a soutenu Daniel Cohn-Bendit, dont les parents avaient été ses amis. Elle pensait qu’en voulant secouer la rigidité des règles administratives de son université, il avait failli faire tomber un Etat étrangement fragile. Pour elle, le plus grand penseur français était Camus. Quant à Sartre c’était une sorte de néant. Une pensée pseudo hégélienne incohérente, qui s’était raccrochée au Marxisme, avec lequel elle n’avait rien à voir, pour pouvoir dire quelque chose.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire