Il a fallu deux ans à Philippe Lang pour mener sa mission. Voici
comment il s’y est pris. (Le premier épisode est ici.)
En quoi a consisté le changement que vous avez mené ?
Pour simplifier, en sept sous-sujets.
- Le problème principal était que la fusion de l’entreprise et de son acquisition n’était pas achevée. Résultat : les gens n’arrêtaient pas de se « tirer dans pattes ».
- Il fallait « mettre le client au centre ». Autrement dit, il fallait identifier les marchés et les produits sur lesquels concentrer les ressources de la société.
- Puis il y avait la performance opérationnelle. Là, il s’agissait d’aligner les produits et de remettre en marche le processus d’innovation.
- Venait ensuite la performance industrielle. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’était pas homogène et que les sites étaient « décalés ».
- Arrivé là il fallait donner les outils dont avaient besoin les gens. Concrètement il fallait harmoniser les systèmes d’information et les procédures internes.
- Et il n’y avait pas de gestion des ressources humaines.
- Il fallait, finalement, créer des réseaux fonctionnels. Les gens ne discutaient pas ensemble. Il fallait faciliter l’accès à la connaissance au-delà de l’organigramme.
Travail de titan ?
Sur le papier, c’était facile. Le cabinet de conseil avait compris
que l’entreprise avait beaucoup de synergies à réaliser. Mais pas ce que cela
signifiait en termes de conduite du changement…
Comment vous y êtes-vous pris ?
Le problème central était que la fusion n’était pas faite. Il
n’y avait pas la même stratégie en Allemagne et en France. J’ai découvert,
d’ailleurs, que l’Allemagne avait engagé son propre consultant pour définir sa
stratégie. Dans une moindre mesure, c’était partout la même chose. Par exemple,
l’Asie était laissée à elle-même, et l’Amérique vivait en autarcie.
J’ai pensé que le seul moyen de réaliser la fusion était que
tout le monde participe à la conception de la mise en œuvre de la stratégie.
Cela a été un travail long et pénible. Mais, à la fin, tout le monde s’est
retrouvé dans la même stratégie. Il y avait partage de vision, de son intérêt
et de la façon de la mettre en œuvre.
Cela a demandé beaucoup de temps ?
Deux ans, environ. J’ai commencé par une réunion de coup d’envoi
avec tout le monde. Puis je suis allé partout pour expliquer la stratégie. Puis
on a présenté à chacune des trente entités de la société ce qu’on attendait
d’elle. C'est-à-dire qu’elle écrive un plan stratégique. Cent à cent cinquante
personnes ont été concernées par ce travail.
Il a été animé par le comité de direction. Il a été difficile.
En effet, à la fois dans le comité de direction et dans les entités, il y avait
peu de « stratèges naturels »… J’ai dû accepter certaines
hétérogénéités. Ce qui était frustrant. Mais faire ce travail a forcé les gens
à réfléchir. Et ça a arrêté la compétition entre la France et l’Allemagne.
En fait, il y a eu de fortes oppositions. Longtemps les gens se
sont regardés en chiens de faïence. Par exemple, il a fallu énormément de temps
et d’énergie pour convaincre les patrons géographiques de l’intérêt de la
coopération. Même problème avec les bureaux d’études. Autre exemple :
l’Allemagne refusait les prototypes venant de France… Il a fallu se battre pied
à pied.
Il y a eu plusieurs phases. D’abord, la présentation, puis
l’explication entité par entité. Puis il a fallu que l’équipe de management
fasse ses preuves. Il s’agissait de démontrer que l’on était sérieux, que l’on
« n’était plus au fil de l’eau ». On a précisé nos marchés clés, mis
en place progressivement un processus de gestion grands comptes, et défini et
déployé un plan produit. Ce n’est que là qu’a vraiment démarré le processus « bottom
up », que les entités ont dit « voilà ce que la stratégie du groupe
signifie pour nous ». Et le management intermédiaire s’est ré impliqué.
Quels en ont été les résultats ?
Jusque-là chacun y allait de son idée, il n’y avait pas de
standard, pas d’efficacité, il y avait des baronnies qui créaient des
dissensions… A partir du moment où les gens ont compris qu’ils appartenaient à
la même entreprise, son fonctionnement est devenu rationnel.
On a mis en place une gestion grands comptes, on a défini des
gammes de produit en partant de ce que l’on avait de meilleur, les gens de
différentes nationalités se sont mis à travailler ensemble…
On a pu aussi homogénéiser les systèmes d’information et les
processus. A titre d'exemple, voici le cas du CRM. Les Allemands avaient SAP et les Américains utilisaient
un développement interne sur mesure, maintenu par deux ou trois personnes. On
s’est rendu compte que la meilleure des deux solutions était le logiciel
américain.
La gestion des ressources humaines posait une autre difficulté.
L’ancien dirigeant avait grandi avec la société. Il pensait connaître les gens
qui comptaient. Il les récompensait en fonction de ce qu’il jugeait être leur
mérite. Cela ne convenait pas à la logique du fonds. Elle demande que l’on soit
jugé sur les atteintes d’objectifs quantitatifs. Il fallait surtout un moyen de
reconnaître l’apport de chacun au succès collectif et que les talents, quelle
que soit leur origine, soient convaincus qu’ils peuvent se développer dans
l’entreprise. Le départ de l’ancien dirigeant a permis d’installer une
véritable gestion des ressources humaines.
La conséquence naturelle de tout ceci a été de favoriser les
échanges transversaux. Par exemple, j’ai organisé des « journées
réseaux ». D’un seul coup, ça semblait logique aux membres de l'entreprise de discuter entre eux.
N’est-ce pas physiquement épuisant de devoir faire le tour de la terre
pour manager des entreprises qui sont sur plusieurs continents ?
C’est au contraire ce que j’aime le plus dans mon métier. J’aime
aller d’unité en unité. Je réserve toujours du temps pour rencontrer tous ceux
qui travaillent pour l’entreprise.
Cela demande quand même une hygiène de vie et une organisation
précise quand l’entreprise est réellement internationale.
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