Notre pays, mon bon monsieur, n’a pas toujours été un endroit mort et sans renom, comme il est aujourd’hui. Autre temps, il s’y faisait un grand commerce de meunerie, et, dix lieues à la ronde, les gens des mas
nous apportaient leur blé à moudre… Tout autour du village, les
collines étaient couvertes de moulins à vent. De droite et de gauche on
ne voyait que des ailes qui viraient au mistral par-dessus les pins, des
ribambelles de petits ânes chargés de sacs, montant et dévalant le long
des chemins ; et toute la semaine c’était plaisir d’entendre sur la
hauteur le bruit des fouets, le craquement de la toile et le Dia hue !
des aides-meuniers… Le dimanche nous allions aux moulins, par bandes.
Là-haut, les meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles
comme des reines, avec leurs fichus de dentelles et leurs croix d’or.
Moi, j’apportais mon fifre, et jusqu’à la noire nuit on dansait des
farandoles. Ces moulins-là, voyez-vous, faisaient la joie et la richesse
de notre pays.
Malheureusement, des Français de Paris eurent l’idée d’établir une minoterie à vapeur, sur la route de Tarascon. Tout beau, tout
nouveau ! Les gens prirent l’habitude d’envoyer leurs blés aux
minotiers, et les pauvres moulins à vent restèrent sans ouvrage. Pendant
quelque temps ils essayèrent de lutter, mais la vapeur fut la plus
forte, et l’un après l’autre, pécaïre ! ils furent tous obligés
de fermer… On ne vit plus venir les petits ânes… Les belles meunières
vendirent leurs croix d’or… Plus de muscat ! plus de farandole !… Le
mistral avait beau souffler, les ailes restaient immobiles… Puis, un
beau jour, la commune fit jeter toutes ces masures à bas, et l’on sema à
leur place de la vigne et des oliviers. (Les lettres de mon moulin, Alphonse Daudet, Le secret de maître Cornille.)
Et voilà une conséquence imprévue du progrès, présentée comme rarement on a su le faire.
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