Et quelle imagination fantasmagorique que cette division de l'espèce en genres ! Comment, en présence d'une femme, ne pas être constamment préoccupé par cette différence de formes, presque de natures, entre son corps et le mien ? Comment ne pas être obsédé par cette idée d'espèce dans laquelle elle et moi sommes représentatifs d'un genre différent ? Soit, nous avons reconnu ces genres et le dimorphisme sexuel nous est chose coutumière ; mais le fait, le fait seulement qu'il s'impose à nous et qui, plus nous le constatons, s'amplifie jusque'à nous écraser de sa monstrueuse présence ! (...) Et l'on arrive à étendre la signification de ce terme : "le genre" jusqu'à l'égaler à "l'espèce" ; oui une espèce dans l'espèce ou mieux deux espèces parallèles couplées entre lesquelles de constants échanges se produisent. On se demande même si elles sont solidaires et si, dans l'évolution, après des millénaires... un jour... (Paul Colin, Les jeux sauvages, Gallimard, 1950).Cette citation est tirée du Goncourt 1950. Prix gagné contre "Le barrage contre le Pacifique" de Marguerite Duras. Ce qui semble dire que cette opinion était alors largement partagée. Or, elle est diamétralement opposée à ce que l'on entend aujourd'hui. La seule chose de commun est ce curieux mot : "genre". Alors qu'aujourdhui on nous dit que le genre ne signifie rien, qu'il est une construction sociale, en 1950, beaucoup pensaient que cette construction sociale pourrait amener hommes et femmes à se comporter en espèces différentes. Et ils en étaient heureux.
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