Paradoxe de 68 : les soixante-huitards se voyaient comme des victimes, alors que leurs parents les disaient privilégiés. En effet ils pensaient leur avoir donné ce qu'ils n'avaient pas eu, et ce qui avait le plus de prix pour eux : l'éducation. Or, qui dit éducation signifie ne pas avoir à gagner sa vie, donc une forme d'oisiveté. Pourtant, les jeunes se considéraient comme des prolétaires opprimés par la société !
Une anecdote explique peut-être cette différence de perspective. Une jeune femme raconte que, du fait de ses diplômes, elle gagnait beaucoup plus que ses parents. Ceux-ci, conformément à la tradition, pensaient qu'elle apporterait son salaire à la famille. Or, elle a jugé qu'il était dû à son mérite, et que sa famille était sinistre. Et elle a fuit ses parents. (L'étude dont je tire ces réflexions. Une même histoire est arrivée à un ami libanais, venu faire ses études en France. Une fois qu'il a eu un emploi, sa famille lui a demandé de payer les études de son frère. Ce qu'il a trouvé injuste.)
Le conflit de 68 est-il venu d'une méprise ? Les parents pensaient que les enfants leur devaient leurs études, les enfants pensaient qu'ils devaient leur situation à leur travail, mais rien n'aurait été possible sans la transformation de la société ? A moins qu'il faille évoquer une idée de Tocqueville concernant les causes de la Révolution ? Comme à l'époque de Louis XVI, plus on donne au peuple, plus il est furieux ? Leurs études ont montré aux étudiants qu'ils venaient d'un milieu "défavorisé" ?
J'entendais un interviewé de France Culture se dire homme de gauche, ce qu'il définissait ainsi : "être du côté des perdants". Le combat du soixante-huitard a été la défense de la "victime", victime à laquelle il s'assimilait ? En même temps, son enrichissement personnel dû à sa position sociale a créé un écart béant entre sa situation matérielle et ses idées. C'est le phénomène Bobo. Le gagnant de la transformation du monde critique ses perdants, la classe moyenne, symbole de la société à laquelle il livre combat. C'est peut-être cette critique de son électorat qui a été fatale à Mme Clinton.
(Et si le paradoxe venait de plus loin ? Je me demande si le grand mouvement de "massification" de l'enseignement supérieur, qui a démarré après guerre aux USA, n'avait pas pour objet de créer une classe moyenne importante, garante de la stabilité du modèle capitaliste...)
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