"L'histoire de l'Angleterre est celle d'une des réussites les plus remarquables de l'espèce humaine. Quelques tribus saxonnes et danoises, égarées sur une ile en marge de l'Europe, mêlées à quelques survivants celto-romains, et organisées par des aventuriers normands, sont devenues en quelques siècles maîtresses d'un tiers de cette planète."
Histoire d'Angleterre, livre d'André Maurois, imprimé en 1946. Il se lit comme un roman : la concision grâce à l'expression juste. Maximes à la façon Tocqueville, mais en moins éprouvant. L'Angleterre telle qu'on ne la voit pas du continent : faible et humble.
L'Anglais nous reproche de parler d'Angleterre, et d'Anglo-saxons, mais nous avons raison de le faire. Car tout commence avec quelques Saxons qui repoussent les Celtes aux marges de l'ile. Quels qu'ils soient, les Anglais mettront longtemps à trouver le courage de les affronter. Ce minuscule pays acquiert très vite des caractéristiques "modernes". Il semble un îlot de bon sens au milieu de la folie totalitaire des conquérants et des fanatiques de tout poil.
Contrairement aux nations continentales, il est homogène, puisque petit. Par sa mer et sa flotte, il est à l'abri. Mais ses rois sont privés d'argent, donc d'armée, ils ne peuvent rien faire sans l'adhésion d'une large minorité. Ils vont devoir laisser les commandes de l'entreprise familiale à des PDG de talent, le nom de la haute noblesse, dans ce pays. Ces gens sont avant tout des gestionnaires, des financiers. Dès la guerre de 100 ans, les intérêts commerciaux dirigent leur politique. En particulier, la Hollande joue un rôle central dans leurs affaires : ils s'opposeront systématiquement à tous ceux qui peuvent lui nuire. Ils administrent leur bien avec prudence. Leur peur, c'est l'asservissement. Ils veulent être libres. Ils craignent le pape, d'abord. Mais aussi qu'une force unique occupe le continent. Car ils sont faibles. Leur stratégie, dans ce cas : "l'équilibre des forces". Ils cherchent un "soldat", sur le continent, favorable à leur cause, et qu'ils financent. Quitte à appuyer son adversaire, dès qu'il devient trop fort.
Illustration de la théorie de la complexité ? Cette histoire est faite de hasards, que ce soit le parlementarisme, ou l'empire. Quant à l'invention du capitalisme, elle semble dans les gènes du pays. Elle a, d'ailleurs, failli lui être fatale. En réduisant à la misère le peuple, elle a failli casser ce qui faisait la particularité anglaise : la communauté des goûts et aspirations. L'Angleterre a été sauvée de la révolution sociale par la prospérité qui s'en est suivie, et par l'Empire.
Le livre s'achève sur la victoire de 45. Le cauchemar anglais s'est réalisé. Le pays s'est trouvé seul face à une puissance continentale. Or, il n'a jamais eu d'armée. Et sa flotte n'est plus une arme invincible. "Ce fut alors (...) que l'Angleterre connut sa plus belle heure, et la plus dangereuse."
Commentaire du lecteur
Et aujourd'hui ? peut-on se demander. Ce qui frappe, c'est que, dès le départ, apparaît "le germe d'une forte vie locale". "Les Anglo-saxons ont conservé le goût des comités, groupe d'hommes qui essaient de résoudre les difficultés de la vie quotidienne par un débat public." L'Anglais tend à constituer des groupes humains, locaux. D'où le nom "house of commons", où sont représentés ces "communs". Or, surprise, c'est justement ce qu'ont démantelé Mme Thatcher et ses successeurs, de même que les gouvernements français ont démantelé l'administration d'élite qui, depuis l'Ancien régime, était une caractéristique de la France. (Ce qui est bien plus surprenant, d'ailleurs, pour l'Angleterre que pour la France, car l'Angleterre s'est toujours méfiée, comme de la peste, des absolus et de la théorie.)
En tout cas, si le pays veut revenir à ses fondamentaux, ce n'est pas vers Victoria qu'il doit se tourner, mais vers l'époque où il savait sa survie précaire...
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