La note précédente nous ramène à la crise et à « l’aléa moral ». J’ai dit dans Crises et risque que la crise était un drame de l’individualisme, et que tout ce qui permettait d’apporter un peu de solidarité à une société contribuait à le combattre. Je m’intéresse ici au cas de la personne prise dans une bulle spéculative :
En mars 2007 j’invite au Club économie Thierry Malleret, qui vient de publier un livre sur le risque économique mondial. À la fin de son exposé, un participant, livide, se lève. C’est un financier. Il nous déclare que nous allons vers une crise, que tout le monde le sait mais que personne ne fait rien.
Les bulles spéculatives sont plus l’effet d’une lâcheté collective, que celle d’un cynisme délibéré. En effet, pour les produire il faut la collaboration (au moins passive) d’un grand nombre de personnes. Typiquement, l’ensemble de la communauté financière. Pourquoi ne fait-elle rien, puisque, à quelques exceptions près, elle a plus à y perdre qu’à y gagner ? Une hypothèse :
- Ses membres sont victimes de ce qu’Edgar Schein appelle « anxiété d’apprentissage » : ils sont conscients de mal faire, mais ils ne voient pas comment se tirer de ce mauvais pas. Donc, ils se taisent, ou contribuent plus ou moins activement à l’innovation en cours.
- Pourquoi cette anxiété ? Individu isolé. L’employé d’un fonds d’investissement, par exemple, est impuissant sans ceux qui savent gérer les entreprises dans lesquelles il a une participation. Or, il ne sait pas comment travailler avec eux. Il n'a pas été formé pour cela.
Donc le meilleur réflexe à avoir lorsque l’on soupçonne un danger, c’est d’appeler à l’aide. Si l’ensemble de la société se penche sur la question, elle saura convoquer les compétences nécessaires pour la résoudre.
C’est pour cela qu’il est une mauvaise idée de punir ceux que l’on pourrait considérer comme des coupables : si on le fait, il n’y aura jamais d’appel à l’aide. Et c’est pour cela que les gouvernements mondiaux ont bien fait de secourir les sociétés menacées par la crise des subprimes. C’est aussi pour cela que je conclus mes cours en disant :
- de ne jamais ignorer la voix de sa conscience ;
- de se faire des amis.
La première signale une « innovation » possible, les seconds peuvent apporter les moyens de l’éviter. Exercice d'application : comment rendre Albion moins perfide ?
Références :
- La faillite d’Enron illustre bien ces idées. D’après Kurt Eichenwald, ses dirigeants s’étaient fixé des objectifs qu’ils ne savaient pas atteindre. Très rapidement, ils ont dû tricher pour y parvenir. Mais « tricher » est-il le mot approprié ? Beaucoup d’entre eux semblent avoir pensé qu’ils jouaient habilement avec les règles de la société, sans les enfreindre. (La référence se trouve à la note précédente.)
- Pour le sens que je donne à innovation dans cette note, voir la précédente.
- Anxiété d’apprentissage : SCHEIN, Edgar H., The Anxiety of Learning, Harvard Business Review, Mars 2002.
- MALLERET Thierry, CLEARY, Sean, Risques - Perception, évaluation, gestion, Maxima, 2006.
- Je complète cette note, un an après son écriture. La théorie de l'anxiété d'apprentissage n'est pas la seule utile. Edgar Schein dit aussi que le lien social est un des freins les plus efficaces au changement. Le groupe humain à la curieuse propriété de changer en bloc. Ce qui semble s'expliquer par le fait qu'une société ne peut fonctionner si ses membres ne sont pas parfaitement solidaires. Si un de ses membres ne pense pas comme les autres, il a la responsabilité de créer un nouveau consensus, de façon à ce qu'il y ait un changement bien ordonné.
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