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jeudi 28 août 2008

Pourquoi le changement peut tuer

Jean-Pierre est professeur honoraire d’organisation au CNAM (entre autres). Je lui ai parlé de ma note Le changement peut tuer, la dénaturation du Toyota Production System. Il a connu un phénomène semblable.

Il a beaucoup travaillé sur la technologie de groupe. Elle semblait promise à un bel avenir : elle résout un problème complexe (la fabrication de composants pour petite et moyenne série), et elle apporte des gains de productivité difficilement imaginables. Il y a eu suffisamment d’exemples de réussite pour s’en convaincre. Pourquoi nos entreprises n’en profitent-elles pas ? Parce que celles qui ont utilisé la technologie de groupe ont voulu s’en servir pour réduire leurs effectifs. Or, elle demandait de créer des « équipes autonomes » dont l'initiative était essentielle pour s’adapter à des flux de production hautement variables.

Je tente une explication pour cet échec. L’hypothèse Crozier – Tocqueville.

  • Chaque Français est dans une cellule indépendante, qu’il administre selon son « bon plaisir ». L’autre, ne suivant pas sa logique, est un ennemi. N’avons-nous pas envie de détruire ceux qui ne pensent pas comme nous ? Même les meilleurs d’entre-nous, ceux qui défendent les déshérités, les sans-papiers… ne rêvent-ils pas, au fond, de liquider ceux qui leur font obstacle ?
  • Or, notre vie en cellule ne nous prépare pas à diriger nos semblables. Lorsque nous voulons leur faire faire quelque chose de neuf, ça échoue. Résistance au changement ! Si seulement nous pouvions les remplacer, par des machines ou des étrangers...
  • En général, ça ne prête pas à conséquence, parce que la France est faite d’influences qui s’opposent. Nous sommes impuissants. Mais il arrive qu'un individu soit sans défense. Alors il est écrasé. C’est de plus en plus le cas du salarié. Et aussi celui du dirigeant, s’il tombe sous le coup de la loi, qui le présume coupable.
Il y a quelque chose d’irrationnel dans notre caractère. Quelque chose qui effraie l’étranger. Un exemple en est l’Inquisition : elle touchait peu de gens, mais l’individu qui tombait dans ses griffes n’avait aucune chance de s’en tirer. Une sorte de crise de folie qui frappe au hasard, et détruit ce qu’elle touche. Une crise de folie dont les auteurs sont parfois, c'était le cas de l'Inquisition, des gens intelligents qui oeuvrent pour le bonheur collectif.

Références :

  • Sur le sentiment d’effroi qu’inspire l’Inquisition : LEVY, Leonard Williams, The Palladium of Justice: Origins of Trial by Jury, Ivan R. Dee Publisher, 2000. Une étude de l’histoire du système de jugement américain.
  • Sur l’homme d’affaire et le droit français qui le présume coupable : MIELLET, Dominique, RICHARD, Bertrand, Dirigeant de société : un métier à risques, Editions d'Organisation, 1995.
  • Sur le bon plaisir : Portrait du Français en privilégié, Le bon plaisir de Michel Crozier.

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