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jeudi 25 décembre 2008

N’oublions pas les responsables de la crise

Il semblerait que l’Eglise ait demandé de prier pour les victimes de la crise. Ce qui m’étonne est que l’on ait aussi peu parlé de ses responsables.

Ennuyeux, si nous ne comprenons pas ce qui s’est passé, nous recommencerons. Or, dit Jeffrey Sachs (Blackout and Cascading Failures of the Global markets, http://www.sciam.com/, 22 décembre), tout étant lié 1) il en faut bien peu pour faire s’effondrer notre château de carte 2) et ce château n’est pas seulement l’économie humaine, mais l’équilibre de la planète
les paris téméraires que le monde a pris durant la récente bulle financière ne sont rien par rapport aux paris à long terme que nous avons pris du fait de notre incapacité à attaquer les crises interdépendantes de l’eau, de l’énergie, de la pauvreté, de l’alimentation, du changement climatique.
Peut-être que si l’on en a peu parlé c’est parce que responsabilité est synonyme de punition. Or, punir les coupables les plus évidents, les financiers pour l’Occident, l’Occident pour le reste du monde, serait suicidaire. D’ailleurs, le premier réflexe qu’a eu l’Occident a été un plan sans précédent d’aide à ces coupables. Les opinions publiques ont bien peu résisté. Quant à l’Orient, il a peut-être cru un instant qu’il pourrait dénoncer nos vices, il se rend compte maintenant qu’il va en être la première victime. Même le très exemplaire Toyota découvre les dangers de sa conquête commerciale du monde. En fait, les coupables les plus évidents ne sont pas humains, mais sociaux.
  1. Amnésie. Comme le dit Jeffrey Sachs et comme il est déjà apparu dans ce blog, il semble bien que non seulement notre crise ressemble à celle de 29, mais que les mesures qui en avaient découlé étaient fort intelligentes. Elles ont été en partie démantelées.
  2. Irresponsabilité. L’irresponsabilité a été élevée au rang de vertu par le monde anglo-saxon. Détourner la loi de son esprit y est appelé « innovation ». Mal profond : la culture américaine veut que l’homme fasse ce qu’il veut à l’intérieur d’un cadre qui lui est fixé par la loi. Tout ce qui n’est pas interdit est permis. D’ailleurs, l'irresponsabilité n’est pas qu’anglo-saxonne. Si la nôtre a moins de conséquences, c’est plus faute de talent que de bonne volonté. Et l’irresponsabilité gagne le monde avec le modèle anglo-saxon.
Sumantra Ghoshal, qui faisait déjà ce dernier constat lors de l’éclatement de la Bulle Internet, montre que les réglementations encouragent l’irresponsabilité. J’irai plus loin, tout ce qui semble être une solution à nos vices ne fait que les empirer (un coupable de plus : ce blog).

Seule solution efficace : augmentation massive de « l’anxiété de survie » de la planète. Tant que nous n’aurons pas vu que nos actes ont des conséquences, tant que les financiers n’auront pas acquis une conscience, tant que les américains n’auront pas saisi que l’essence de la démocratie est la « vertu » (i.e. chercher ce que veulent vraiment dire les lois et non les détourner de leur signification), tant que le « service public » français ne saura pas qu’il est au service du public, tant que nous passerons au feu rouge… nous n'aurons pas d'avenir.

Cette prise de conscience est la condition nécessaire pour la gestion durable de tout « bien commun ».

Compléments
  • Les premières mesures de sauvetages de nos apprentis-sorciers furent le plan Paulson. Elles ont soulevé finalement peu d’objections : Pourquoi le plan Paulson a-t-il été voté ?
  • Sur le modèle des anxiétés, comme outil de conduite du changement : Serge Delwasse et résistance au changement.
  • De l’irresponsabilité comme vertu : McKinsey explique la crise.
  • GHOSHAL, Sumantra, Bad Management Theories Are Destroying Good Management Practices, Academy of Management Learning and Education, 2005, Volume 4, n°1.
  • Sur le démantèlement des mesures prises suite au crash de 29, voir la référence de : Crise : les économistes en accusation.
  • Ma remarque sur la culture américaine vient de : CROZIER, Michel, Le mal américain, Fayard, 1981. Et celles sur la « vertu » des démocraties, de Montesquieu (De l’esprit des lois).
  • Sur le traitement de la gestion du bien commun par l’économie : Governing the commons.
  • Quant à nos dérèglements nationaux, ils sont probablement le mieux illustré par la déroute de 40 : avant même que la guerre ne commence, chacun renvoyait la responsabilité de la défaite aux autres (BLOCH, Marc, L’étrange défaite, Gallimard, 1990). Mais le génie anglo-saxon ridiculise le nôtre. Nous ne nuisons qu’à nos intérêts, lui menace la planète.
  • L’irresponsabilité est la marque de fabrique de l’individualisme, invention de l’Occident : l’individu pense être seul au monde (voir Norbert Elias). Mieux, l’Anglo-saxon est convaincu que c’est l’homme qui le fabrique (voir Droit naturel et histoire, et Hobbes).

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