Être idiot c’est faire toujours la même erreur, désespérante pour ceux qui nous entourent. Les gouvernants sont familiers du phénomène : plus ils réforment, plus la situation se dégrade. Et plus ils sont fiers d’eux-mêmes, ce qui nous interloque.
Exemple que je cite dans un livre : la CGT entre dans une entreprise d’ingénieurs high tech. Le mot CGT suscite un réflexe pavlovien chez ses dirigeants. Ils entendent conflits salariaux, revendication de réduction du temps de travail, grèves et séquestrations, et préparent des contre-mesures coercitives (et ils cherchent à susciter le volontariat de jaunes). En fait, les ingénieurs se plaignent depuis des années de l’inintérêt de leur travail (ils veulent avoir plus de responsabilités), et de l’autisme de leur direction. En désespoir de cause, ils ont cherché un moyen radical de se faire entendre (celle qui est à l’origine du mouvement est un cadre américain…).
Cet exemple montre comment fonctionne le processus de décision humain. Un événement (CGT) suscite une interprétation automatique (barricade et pavés), qui elle-même déclenche mécaniquement le comportement associé à l’interprétation (appeler les CRS). Quand le mécanisme de décodage ne marche pas, le comportement est incorrect. Ce mécanisme est d’autant plus difficile à remettre en cause qu’il est inconscient et qu’il produit des conséquences qui le confortent (plus on fait donner le CRS, plus on reçoit de pavés).
Difficile ne veut pas dire impossible. L’idiotie est passagère.
Compléments :
- Le phénomène que je décris ici est aussi celui de la dépression. L’hypothèse erronée conduit à une succession d’échecs, l’homme, s’il n’est pas totalement obtus, finit par se rendre compte que le monde n’obéit plus à ses désirs, il « déprime ». SELIGMAN, Martin, Learned Optimism: How to Change Your Mind and Your Life, Free Press, 1998.
- Si le dirigeant est relativement plus idiot que nous tous (ou si son idiotie est moins passagère), c’est qu’il est aussi fondamentalement beaucoup plus optimiste. Les chercheurs ont montré que les postes à risque (pilote d’essais, pompier, PDG) tendaient à produire des personnels qui ont une vision excessive de leur invulnérabilité. Cela tient en partie au processus de sélection qu’ils ont subi (le PDG est un homme qui n’a jamais connu l’échec). Mais ce peut aussi être lié au besoin de la fonction : quand votre avion est en vrille, il est préférable de ne pas perdre de temps à envisager le pire. MARCH, James G., A Primer on Decision Making: How Decisions Happen, Free Press 1994.
- Révolution française donne d'autres exemples d'hypothèses implicites de décodage des événements qui conduisent à des comportements aberrants chez nos dirigeants.
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