Ma lecture de la norme ISO 26000. À l’origine, je vois une double idée :
- Disparition du service public. Il faut que quelqu’un récupère les responsabilités abandonnées par l’État. La Responsabilité Sociétale de l’Entreprise accompagne la déresponsabilisation de l’État.
- Globalisation et interdépendance (conséquence de la fameuse mode de la « supply chain » ?) conduisent à un impact mondial de décisions locales. La responsabilité de l’entreprise s’est massivement amplifiée.
À tout ceci vient s’ajouter des « groupes vulnérables » particulièrement susceptibles aux crises économiques et dont il faut d’autant plus prendre soin que l’État n’assure plus son rôle. Mais la norme l’avertit qu’il doit se ressaisir et assumer ses responsabilités. Le rôle des services publics est « primordial », notamment en ce qui concerne les susdits « groupes vulnérables ». (Attention : que l’entreprise devienne responsable ne signifie pas que l’Etat ne doit plus l’être : leurs rôles et responsabilités sont différents, non substituables.)
La question que pose ISO 26000 est simplement : quelles sont mes responsabilités d’homme ? La norme en elle-même est là pour aider cette réflexion en proposant une liste (minimale ?) de questions à se poser. Mais rien ne peut dégager l'homme de sa responsabilité, surtout pas une norme.
On découvre qu’être responsable c’est répondre de l’impact de ses décisions, ne rien cacher, connaître et respecter les lois (« primauté du droit », un point sur lequel la norme insiste lourdement), avoir un comportement éthique, respecter les normes de comportement international (coutumes, si possibles universelles…), respecter les intérêts de ses « parties prenantes », respecter les droits de l’homme.
Cela demande aussi (de manière un peu redondante ?) de connaître et de s’interroger sur les droits de l’homme, les droits des travailleurs (une partie des précédents), les droits des clients, les bonnes pratiques du métier, l’environnement et la société. Et de se donner la « gouvernance » qui permet de respecter ses engagements.
Technique centrale. Le dialogue avec les parties prenantes. Leur rôle : aider à trouver une solution aux questions ci-dessus. Mais attention. Elles ne dégagent pas la responsabilité de celui qu’elles aident. Elles peuvent ne pas penser à tout. Et surtout elles ne représentent pas tous les intérêts en cause. Il ne faut pas oublier ceux qui ne peuvent pas faire entendre leur voix (comme les générations futures ou la nature, ou encore les chômeurs, ou toute communauté mal organisée).
Le but de ce dialogue est aussi (essentiellement ?) d’éliminer les conflits entre intérêts. Entre parties prenantes, entre parties prenantes et sujet de la RSE, entre parties prenantes et société.
Commentaires
ISO 26000 c'est le monde à l'envers :
- L’individualisme triomphant jusqu’ici (les droits de l’homme) est mâtiné d’une forte couche d'influence sociale. (Importance de « comprendre les attentes générales de la société » ; normes de comportement international, en particulier les coutumes qui dirigent les peuples – une pierre dans le jardin des Lumières.)
- Le rappel permanent à la légalité contraste bizarrement avec le Far West que nous avons vécu.
- L’Etat est sommé de reprendre son rôle d'Etat.
Le plus curieux, c'est le dialogue avec les parties prenantes. C’est la dialectique grecque qui cherche à établir une solution juste entre intérêts apparemment contradictoires (la norme parle de « conflits »). Mais contrairement au modèle grec (et anglo-saxon), les parties prenantes ne se limitent pas à celles qui ont un pouvoir de nuisance. La responsabilité de l’entreprise concerne aussi, surtout, ceux qui ne peuvent pas se faire entendre. D’ailleurs, même vis-à-vis des parties prenantes, son rôle n’est pas tant de les écouter que de les remettre, le cas échéant, sur le chemin de la vertu.
Les parties prenantes peuvent avoir des intérêts qui ne sont pas compatibles avec ceux de la société.
En fait ce dialogue me semble l'opposé du diviser pour régner créateur d'un individualisme généralisé, c'est l'exercice central à la constitution et à la maintenance d'une société :
- Le travail d’analyse préliminaire à ce dialogue montre que l’intermédiaire est pris dans une sorte d’injonction paradoxale. Son donneur d’ordre tend à le forcer (s’il ne veut pas perdre ses contrats) à mal faire son travail, c'est-à-dire à exploiter les faiblesses du marché. J’en suis arrivé à me demander si ce n’est pas comme cela qu’a fonctionné l’économie ces derniers temps. Elle a détroussé les faibles. Et si c’était cela qui rendait notre développement non durable ?
- En mettant en lumière les conflits entre parties prenantes, le dialogue permet de sauver l’intermédiaire d’une situation non durable (l’injonction paradoxale n’est plus possible). Surtout, en confiant la résolution du problème à la société (non plus à quelques individus isolés, qui voient midi à leur porte), il permet de trouver des solutions honnêtes aux intérêts des uns et des autres.
ISO 26000, reconstitution du lien social ? Contrepied des décennies post 68 ?
Compléments :
- Quelques observations pratiques résultant d’une première mise en œuvre.
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