L’entreprise familiale est plus durable qu’une autre forme
d’entreprise, disait The Economist. Aux dysfonctionnements familiaux près.
Et si Antoine Roullier avait trouvé la solution à ce
problème ? Spécialiste de fusions acquisitions, grandes et petites, il a
été DGA d’une banque d’affaires, il s’intéresse depuis toujours aux problèmes
familiaux. Il est intarissable sur la question !
De l’entrepreneuriat
à la rente…
Petit à petit, génération après génération, il se passe ce
que Robert Merton appelle un « détournement de but ». La famille
grandit et se subdivise, des sous groupes se forment... L’intérêt particulier,
l’accumulation de rancœurs… terrassent l’intérêt général. La famille oublie ce
que signifie gérer une entreprise. Elle obéit à des rites. On fait quelque
chose parce qu’on l’a toujours fait. Par exemple, un « oncle » prend
la tête de l’entreprise, et la développe
avec succès, alors qu’il n’a pas la
majorité. On ne dit rien, on le respecte, mais on lui en veut. On ne le
soutiendra pas quand il sera en difficulté…
Manque de résilience, routine, l’aléa est fatal à la
famille. Décès d’un dirigeant, par exemple. Ou plus banal : l’héritier qui
joue, et perd, sa fortune. Il y a aussi le retournement de conjoncture :
l’Etat supprime les subventions du secteur. Alors se révèle le délabrement de
l’édifice. Dirigeant qui doit son succès à la chance (la dite subvention) et
qui n’est pas le mieux placé (ni le mieux conseillé) pour prendre des mesures
de rupture qui sont nécessaires. Ou encore, pour acheter des maisons ou des
voitures aux héritiers, on a vendu des actions ; on n’a plus de minorité
de blocage ! Eh puis, il y a les haines, accumulées. Elles se déchainent
sur le vaincu. Alors qu’il faudrait l’aider ! Souvent, les héritiers
manquent cruellement de culture financière. Pas formés à leurs responsabilités,
leurs réflexes sont dangereux. Ils ont des conséquences dramatiques. Pour
couronner le tout, les conseillers de confiance, notaires, experts comptables,
avocats… appliquent les règles de leur métier sans toujours percevoir leurs conséquences.
Exemple : le notaire. Que faut-il lors d’une succession ? Qu’un
nouveau leader émerge. Qu’il régénère le projet familial. Or, que demande-t-on
à un notaire ? Une division égalitaire de l’héritage. Ce qui débouche
souvent sur une paralysie du pouvoir. On peut être équitable sans
égalitarisme !
De l’émotion à la
raison, du face-à-face au cote-à-cote
Toute la technique d’Antoine Roullier semble être celle de
la négociation : de l’émotion à la raison, du face-à-face au cote-à-cote.
(Getting to yes, la méthode de Harvard.)
Ce qui rend aussi destructrice la crise familiale, c’est le
« déchet toxique ». C'est l’émotion individuelle qui paralyse la
raison collective. Antoine Roullier est psychologue avant d’être financier ou
stratège. Il fait émerger les aspirations des uns et des autres, tout autant
qu’il découvre les potentialités de l’affaire. Ce qui rend le déchet toxique,
c’est que la famille pense faux. Le diagnostic d’Antoine Roullier montre la
situation sous un angle nouveau. Le problème apparemment insoluble ne l’est
pas. On peut satisfaire l’intérêt collectif, les désirs des uns et des autres,
inexprimés jusque-là, et, surtout, leur sens de la justice !
Une fois la crise écartée, priorité : renforcer les
solidarités familiales. Une technique : l’association (ou la fondation).
Cela n’a que des avantages ! Coup de pub pour l’entreprise (promotion du
sport pour un groupe du secteur, par exemple) ; la famille se soude autour
d’un projet motivant ; elle apprend les fondamentaux de la gestion. Cette
idée a des variantes. Par exemple, une famille gère une société de parkings. Un
peu moins bien en termes d’image que l’association. Mais cela lui permet de
diversifier ses métiers, d’apprendre.
Et prenez garde aux mines anti-personnel. Exemple :
gestion du cash. S’il y en a trop, il faut l’employer, et ce stratégiquement.
S’il n’y en a pas assez : danger. Il faut constituer une réserve de
liquidités. Sans cela les héritiers en mal d’argent (achat d’appartement…)
vendront leurs actions, et affaibliront le contrôle de l’affaire.
Finalement, il faut faire émerger un leader. Ce que j’ai
observé dans mes missions serait une règle générale : il est rare que le
dit leader soit évident, en état de marche et légitime (une comédienne !).
Il faut détecter une volonté et un talent. Et aménager son ascension. L’aider à
se former et, souvent, à s’endetter pour acheter les parts d’autres héritiers.
Mais aussi prévenir le dépit que suscitera son succès !
Attention à ne pas se faire prendre au piège de la
tradition ! Le projet de la nouvelle génération doit s’appuyer sur la réussite entrepreneuriale et familiale pour bâtir du
neuf ! Il faut garder en tête que ce qui nous a fait réussir hier
nous fera échouer demain. Le monde change, il faut changer notre cadre mental.
C’est difficile et douloureux. Et c’est pour cela que l'on a besoin de
banquiers-psychologues !
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