Témoignage sur ce que Marc Bloch a appelé "l'étrange défaite". 1940. Antoine de Saint Exupéry et son équipage mènent une mission dont ils ne devraient pas revenir. Ils vont voler à 700m, au dessus des batteries allemandes. Occasion d'une réflexion sur les causes de la déroute.
A une certaine altitude, tout est gelé dans l'avion. Les mitrailleuses et les commandes ne fonctionnent plus. D'ailleurs, la mission n'a aucun sens. Ce qui en sortira ne servira à rien. Saint Exupéry ne cherche pas de coupables. Il constate que la machine bureaucratique est déréglée. Elle produit des armes qui ne marchent pas et donne des ordres absurdes. C'était perdu d'avance. Comment les quarante millions de paysans français pouvaient-ils lutter avec les quatre-vingt millions d'ouvriers allemands ? Le blé contre l'acier. Le seul espoir aurait été le soutien des Etats Unis. Mais ceux-ci n'ont pas compris que la civilisation était en jeu. La France s'est donc sacrifiée, sachant qu'elle n'était pas de taille à lutter. Mais elle ne pouvait pas faire autrement, et ce ne sera pas pour rien. Pour que la graine donne le blé, elle doit disparaître.
Ce qu'il me semble entendre : les valeurs chrétiennes, la charité par exemple, ont été vidées de leur sens. D'où l'homme avec un petit h, qui ne voit pas plus loin que son petit intérêt. Porter une cause qui nous dépasse rend fort. Ce n'est pas tant servir l'autre que servir l'Homme, au sens d'essence, d'humanité (comme dans l'expression "crime contre l'humanité"). Et cela se manifeste en actes. Exemple frappant : que mille personnes se sacrifient pour en sauver une seule.
La France dont il parle n'est pas celle de Marc Bloch : une France d'officiers arrogants et incompétents et de syndicalistes grévistes. C'est une armée de petites gens, qui se savent perdus, mais qui se sacrifient. Cent cinquante mille soldats meurent en trois semaines. C'est aussi une armée qui sait désobéir lorsqu'il s'agit d'assister les populations civiles prises dans la débâcle. Saint Exupéry ignore la haine qu'aurait dû susciter l'incurie du pays. Il lui apporte ce qui peut le sauver : un plaidoyer qui touche juste, qui fait vibrer la fibre intime de l'Américain, et l'amène à secourir la France. Une leçon ?