On annonce la fin de l'ENA. Est-ce la fin des effets pervers qui lui sont associés ?
Une logique a présidé à la création de l'ENA. Celle du progrès et de la planification. Ce que l'on a appelé "le phénomène bureaucratique". Avant guerre, un peu partout dans le monde, s'est installée l'idée qu'il y avait une voie à suivre, le progrès ; que des esprits éclairés, distingués par l'Education Nationale, la voyaient. Il fallait donc les installer au pouvoir, en faire des hauts fonctionnaires, pour qu'ils guident le peuple vers le meilleur des mondes.
Ces hauts fonctionnaires avaient une éthique. C'était des "grands serviteurs" de l'Etat. Ils étaient conscients de devoirs écrasants vis-à-vis de la collectivité, mais aussi du cadeau qu'elle leur avait fait en les sélectionnant et en leur permettant de faire des études prestigieuses. C'était des missionnaires, avec tout ce que cela sous-entend d'humilité, de pauvreté, de sacrifice et d'exaltation. Comme les instituteurs, "hussards noirs".
La fabrique des oligarques
Seulement, la voie s'est brouillée. Les aspects effrayants du "progrès" se sont révélés. Parallèlement, la société est devenue égoïste et individualiste. Et l'ENA est apparue aux ambitieux comme un moyen quasi instantané d'acquérir la gloire et la fortune : l'Etat et nos multinationales sont entre les mains des "plus" hauts fonctionnaires.
Et ce à un moment où la légitimité des ses élèves s'est évaporée. Car la spécialisation d'hier n'existe plus. Il y avait un petit groupe d'éduqués supérieurement, et une masse de quasi analphabètes, deux races différentes, ayant des langues différentes. C'était la France féodale : pour la 3ème République, "l'ascenseur social" avait pour mission de créer une aristocratie du "mérite". Notre république avait conservé la structure de l'Ancien régime. Aujourd'hui, l'éducation est partout. S'il n'était question que de la qualité de sa formation, personne n'irait à l'ENA.