Pages

jeudi 30 avril 2009

Pourquoi crée-ton une entreprise ?

Vincent Giolito me disait avoir été frappé, dans son début de carrière de journaliste, par ses rencontres d’entrepreneurs qui avaient transformé leurs passions en métier, comme ce pilote d’hélicoptère qui vendait des photos aériennes des propriétés qu’il survolait.

Je me demande s’il n’y a pas là un cas général : d’abord il y a la passion, puis on essaie de lui trouver une rentabilité. Parmi les entrepreneurs que je connais, tous suivent ce schéma. Une exception peut-être est celle des avocats, ou publicitaires, des professions dans lesquelles la formation initiale tend naturellement à pousser à l’indépendance. Mais ce sont quand même des professions que l’on choisit.

Ce modèle donne une entreprise très efficace, parce qu’elle est construite autour des compétences uniques d’un homme. Mais, pour la même raison, elle a du mal à grossir.

Si le cas est général, c'est un général français, cependant. Les entrepreneurs américains que je connais, eux, ont pour motivation première de gagner le plus d’argent possible. Pour ce faire, ils choisissent celui de leurs talents qui est le plus efficace, même s’il n’est pas leur préféré.

Par exemple, les fondateurs d’Aprimo, des anciens d’IBM, ont cherché la dernière fonction de l’entreprise qui n’avait pas son ERP. Je ne suis pas sûr qu’ils aient eu une tendresse particulière pour les ERP. De même William Johnston voulait faire fortune, il s’est demandé le moyen le plus efficace pour cela, compte tenu de ce qu’il savait faire. Résultat : vendre de l’immobilier. Il a alors décidé d’apprendre son nouveau métier.

Ce modèle là privilégie l’efficacité économique . L’entreprise ainsi constituée n’ayant pas un très gros avantage concurrentiel doit le trouver dans sa taille : elle doit arriver le plus vite possible à un quasi monopole ?

Explication de l'hostilité de l'Américain à l’impôt : son plaisir quasiment unique est de gagner de l’argent, pas d’exercer son métier - qui lui est peut-être même désagréable ?

mercredi 29 avril 2009

Obama – Dorian Gray

Par touches, Counterpunch peint une bien étrange image d’Obama : celle d’un illusionniste.

Dans cet épisode, il s’agit d’Irak. La politique de George Bush n’aurait pas été annulée, mais remarketée. Les engagements de retrait pris par Barak Obama son discrètement réécrits. Si je comprends bien, les troupes devaient se retirer des villes, pour cela, on serait en train de modifier leurs frontières pour en exclure les zones d’occupation…

Nouvelle illustration de l'innovation selon Robert K. Merton ?

Santé de l’Angleterre

Je constate depuis quelques semaines que les journalistes économiques anglais en veulent à leur gouvernement. Quelles sont leurs raisons ?

Angleterre en difficulté ? Vue d’où elle part (de plus bas que l’Amérique - Perfide Albion), je continue (Dynamique Grande Bretagne) à penser qu’elle manœuvre magistralement les ficelles de l’économie. Justification (Hubris and nemesis) :

  • Contrairement à l’Amérique elle a nationalisé ses banques sans coup férir.
  • La chute de la livre a permis de lutter contre une possible déflation, et de stimuler les exportations. Malheureusement, la demande étrangère est déprimée ; observation qui pourrait expliquer pourquoi les économistes poussent à une relance mondiale : elle va de pair avec la politique de taux de change des pays anglo-saxons ?
  • Faibles taux d’intérêt et création de monnaie.
  • Chance d’avoir une industrie, faible (13% de l’économie), mais sur des marchés peu exposés à la récession (pharmacie, aéronautique).
  • Certes son endettement croit (80% du PIB), mais il y a pire (Japon : 200%).

Paul Krugman va dans mon sens, et pour lui ne pas être entré dans la zone Euro a été une bonne idée (A quick note on Britain).

Alors pourquoi est-ce que l’économiste anglais grogne ? Il en voudrait au gouvernement Brown de manœuvres que la morale réprouve, quand elles ne s’appliquent pas à l’étranger. Il aurait notamment expédié beaucoup de décisions difficiles au-delà des prochaines élections ; il aurait aussi organisé une campagne de calomnie contre son opposition

La politique est souvent peu aimable, les conservateurs ont parfois dénigré la santé mentale de M.Brown, par exemple. Mais en impliquant les épouses, et par de totales inventions, M.McBride (homme de main de M.Brown) clairement est allé trop loin. Tailspin.

On reproche aussi un passé de dépenses exagérées. Mais peut-être croyait-il tout simplement que l’économie était solide et qu’il pouvait se le permettre (« le ministère des finance a confondu un super boom avec une position économique durable » A chancellor flying on a wing and a prayer) ?

Crise et changement de culture

La presse anglo-saxonne découvre le rôle de la culture dans le changement.

  1. Il penserait que son salaire lui est dû quel que soit l’état des affaires de son entreprise. Justification ? Son diplôme, il possède une licence d’une université prestigieuse. J’observe un glissement de l’idéal américain, de l’entrepreneur au bureaucrate (dont le succès dépend plus de sa fortune que de son talent ?).
  2. La dernière flambée des résultats des banques (comptabilité créative, selon moi) aurait été motivée par le nécessaire maintien des bonus = motivations. Ce qui confirmerait mon intuition qu’il s’agit d’une amélioration sans lendemain.

he has internalized a worldview in which Wall Street is the central pillar of the American economy, the health of the economy depends on the health of a few major Wall Street banks, the importance of those banks justifies virtually any measures to protect them in their current form, large taxpayer subsidies to banks (and to bankers) are a necessary cost of those measures - and anyone who doesn’t understand these principles is a simple populist who just doesn’t understand the way the world really works.

Notre culture est ultralibérale

Il est de bon ton de dénoncer les méfaits de « l’ultralibéralisme ». Mais il y a peu de chances que rien de neuf n’émerge avant longtemps, tout simplement parce que l’ultralibéralisme a semblé avoir fait la démonstration de son efficacité pendant trois décennies, et que les dirigeants mondiaux sont donc issus d’une école ultralibérale. Ainsi Avoir soutenu la guerre en Irak, une voie d’avenir en Europe explique que les postes principaux de l’Europe de demain seront occupés par des pro-Bush (Blair, pour la présidence, Barroso, présidence de la commission, Rasmussen, OTAN) ; L'Etat français, dernier refuge de la "culture du résultat", par Michel Feher, rappelle que si le discours de Nicolas Sarkozy parle du « retour à l’Etat », ses actes sont classiques des convictions ultralibérales. C’est comme cela qu'il faut interpréter l’étonnant silence idéologique des partis d’opposition : ils ne sont pas « d’opposition » ?

Difficulté du changement : renoncer à ce à quoi l’on croit

Et maintenant cours de changement.

  • Problème qui se pose à toute conduite du changement : si le changement est aussi difficile, partout, c’est que ce qui doit changer est au plus profond de ce à quoi croient gouvernants et dirigeants. Plus la culture a vécu un long succès, plus elle demande de temps pour se transformer. Il a fallu plusieurs siècles à la Chine pour secouer ses certitudes, et elle n’est pas au bout du chemin (Chine et Occident : dialogue de sourds).
  • Les paroles, qui sont dirigées par une sorte d’adhésion à « l’opinion publique », contredisent les actes, qui sont dirigés par l’inconscient (un aperçu de la théorie d’Edgar Schein : Changement en Amérique (suite) et Nous sommes tous des hypocrites !).
  • Paradoxe : le dirigeant, dont l’incapacité à changer cause les difficultés de son organisation, les explique par la « résistance au changement » de celle-ci.

Voici une raison pour laquelle la crise pourrait durer longtemps : nos dirigeants (et la société dans son ensemble, probablement aussi) s’accrochent à un mode de pensée obsolète. C’est ainsi que le gouvernement américain déploie des trésors d’ingéniosité pour ne rien changer à son système financier (Chronique d’une crise annoncée).

Le renouvellement de ce socle de pensées prendra sûrement des années. Une génération ?

mardi 28 avril 2009

Étudiants en faillite

Au moment où l’on semble vouloir réformer l’université française sur l’exemple américain, il est utile de comprendre comment marche ce dernier.

Les étudiants américains traversent des moments difficiles. Le coût moyen de la scolarité dans une université privée est de 25000$. Soit probablement plus de 35000$/an en comptant les frais de vie et les livres, donc il faut 140.000$ pour obtenir une licence. Du coup les diplômés sont surendettés, ce que n’arrange ni le chômage, ni le fait que les universités ont perdu dans la crise un quart des fonds qui leur servaient aux bourses d’étude. D’ailleurs, elles vont devoir augmenter leurs prix. Un groupe Facebook qui réclame l’annulation de la dette étudiante a 180.000 membres. (Source : Desperemus igitur.)

Voici un système éducatif qui résiste mal aux crises. Est-ce ce que nous désirons l’installer chez nous ?

Sur le même thème américain : Logique des universités.

lundi 27 avril 2009

Efficacité de la relance internationale

Fiscal policy again? A rebuttal to Mr Krugman s’interroge sur l’efficacité de la politique économique qui fait aujourd’hui l’unanimité.

  • Partant de l’exemple de la crise japonaise, il explique que tant que les banques américaines ne seront pas débarrassées de leurs actifs à risque, le système financier ne pourra pas jouer son rôle et toute relance se fera en pure perte. Plus malin : en requinquant l’économie, la relance donne de l’oxygène aux banques et les encourage à ne pas se réformer.
  • Le risque, alors, est que les états s’endettent pour rien. (Et s’engagent dans un cercle vicieux : plus ils s’endettent, plus ils s’affaiblissent, et plus ils rendent le mal difficile à combattre ?)
  • Mais pourquoi les économistes anglo-saxons ne jurent-il que par une relance massive, alors qu’il ne semble pas qu’il y ait de justification pratique ou théorique ?

Ce paradoxe révèle peut-être une « hypothèse fondamentale » des économistes américains : pour eux les « actifs toxiques » ne le sont pas, le système financier, fruit de leurs équations, est parfait, à quelques réglages près ?

En tout cas, plus que jamais, méfions-nous des conseils des économistes.

Madoff le durable

How the Wall Street Journal and the New York Times Buried the Madoff Scandal for at Least Four Years semble avoir trouvé une surprenante explication à la durabilité de l’escroquerie de Bernard Madoff : ses investisseurs savaient qu’il était un escroc !
Ils croyaient qu’il commettait des délits d’initié : il était courtier, il était au courant des achats et des ventes des grandes entreprises et aurait pu investir un peu avant de passer des ordres pour son fonds ; ainsi il était sûr d’où allait se diriger le marché. Ils savaient aussi qu’ils avaient peu de risques d’être punis pour leurs méfaits. « ils comprenaient qu’il était un escroc mais pas un type qui menaçait leur portefeuille. »
Morale de la finance internationale ?

Les certitudes du gouvernement Obama

Lawrence Summers est un grand homme. Conseiller économique le plus influent de Barak Obama, c’est le dernier ministre des finances de Bill Clinton (il a aussi travaillé dans l’administration Reagan). Il a été un des plus jeunes professeurs de Harvard, qu’il a dirigé, il est le neveu de deux prix Nobel d’économie. Lui-même a reçu tous les prix qui annoncent l’arrivée du prix Nobel. Larry Summers’ New Model résume les idées qu’il développe lors d’une conférence faite à des collègues économistes (j’ai extrait 2 de ses 5 points) :

1 - All crises must end. The “self-equilibrating” nature of the economy will ultimately prevail, although that may take massive one-off government actions. Such a crisis happens only ”three or four times” per century, so taking on huge amounts of government debt is fine; implicitly, we will grow out of that debt burden.
2 - We will get out of the crisis by encouraging exactly the kind of behaviors that “previously we wanted to discourage” two years ago. It is “this insight, this view” particularly with regard to leverage (overborrowing, to you and me) that “undergirds the policy program in the United States.”

Menace au changement : certitude

Intéressant ! Non seulement on entrevoit ici les « hypothèses fondamentales » qui guident le gouvernement américain, mais, aussi, voilà l’exemple typique de ce qui fait s’effondrer le changement : une pensée qui est incapable d’envisager son propre changement, de se remettre en question, qui est tellement sûre d’elle-même qu’elle pense commander à la nature.

Qu’est-ce qui nous dit que « toutes les crises doivent finir », que la « nature de l’économie » est d’être « auto adaptable » ? Que l’Amérique peut empiler des dettes démesurées qui seront effacées par une croissance inévitable ? Qu’est-ce qui a remis l’économie mondiale en place, lors de la crise de 29 : la nature de l’économie, ou une guerre et un interventionnisme forcené de tous les états mondiaux ?

La politique américaine est guidée par la foi. Pas tant une foi en l’économie, qu’en une confiance aveugle en son intelligence. Retour à la croyance néoconservatrice de l’ère Bush : il existe un bien et l’homme supérieur le connaît.

L'homme commande rarement aux éléments

The Economist (glimmer of hope?), lui, doute que l’économie mondiale reparte, autrement qu’en titubant. Il y a beaucoup de raisons pour cela :

  1. L’Amérique est extrêmement fragile : « un chômage élevé et une augmentation des faillites de banques pourraient facilement causer une nouvelle vicieuse dégringolade. »
  2. Et la demande mondiale ne va pas renaître : les banques européennes sont à la veille de révéler leurs pertes (1100md$), le Japon est surendetté et n’a plus de latitude pour stimuler son économie, et le chômage va faire de tels dégâts qu’il va empêcher la reprise de la consommation interne.

En fait, la crise pourrait causer l'impensable (pour Larry Summers) : attaquer le muscle de l’économie, sa capacité à produire : « Un chômage continu, des années de sous-investissement et de dettes publiques excessives (…) vont ébranler le potentiel sous-jacent de l’économie ».

Bienvenu dans une ère d’espérances réduites et de dangers permanents ; un monde où les responsables politiques doivent naviguer sous la menace imminente de la déflation tout en contrant les (raisonnables) peurs des investisseurs que des dettes publiques croissantes et un relâchement monétaire massif puissent finalement conduire à une forte inflation ; un monde inconnu où les emprunts du gouvernement atteignent un niveau jamais vu depuis la seconde guerre mondiale

Compléments :

dimanche 26 avril 2009

Mission du consultant

Je pense que l’on se trompe sur le compte du consultant en conduite du changement :

  • On nous dit que le consultant doit expliquer aux membres d’une organisation cliente comment se comporter. Mais c'est impossible ! Un exemple : des quantités de livres ont été publiés sur la réforme de la France, sans que nous ayons été transformés en quoi que ce soit par leur lecture.
  • En fait le travail du consultant consiste à trouver un moyen pour que les membres d’une organisation fassent ce qu’ils savent faire. Alors, il n’y a aucun problème de transmission de message : le changement est « évident ».

Les membres de l’organisation sont gênés par un dysfonctionnement de l’organisation. Comme pour un embouteillage, il faut qu’un agent arrive, ou qu’un automobiliste sorte de sa voiture pour régler la circulation. Le consultant travaille donc sur l’organisation du groupe, sur les règles qui guident le comportement collectif, pas sur le comportement individuel.

Chinois en panne

Complément sur la contribution de la Chine à la crise.

  • Un mécanisme derrière la crise serait une Chine qui tire de la crise de 97 l’idée qu’il faut faire des économies, et qui les place au USA, l’afflux d’argent épuisant les placements sûrs et encourageant l’industrie financière locale à en créer des artificiels. (The Economist en petite forme, Cause de la crise : le grand déséquilibre, Global imbalances threaten the survival of liberal trade.)
  • Il semblerait plutôt (China’s Dollar Trap) que la Chine ait joint l’utile à l’agréable : en investissant en dollars, elle faisait baisser le prix relatif de sa monnaie, ce qui était bon pour ses importations. Maintenant, elle se trouve prise au piège d’une montagne de bons du trésor américain, qu’elle ne peut pas vendre sans faire baisser le dollar et leur valeur.

Question : l’Amérique essaie de relancer son inflation, la Chine ne peut-elle pas être tentée de bloquer le mouvement pour protéger ses avoirs ? N'aurait-elle pas intérêt à vendre ses bons pour augmenter le prix de sa monnaie, abaisser le prix de ses importations et favoriser sa consommation intérieure ?...

Chronique d’une crise / décodage

Le billet précédent, la bataille du ministère des finances américain contre la crise, est un exemple de tentative de conduite du changement (éviter la crise). Enseignement ?

Le texte est assez long (50 pages), mais pudique et ne dit presque rien de ce qui s’est passé dans les têtes et dans les organisations. En particulier l’introduction laisse entendre qu’il y a eu dysfonctionnement au sein même du ministère mais on n’en saura pas plus. Pas très facile d’en tirer quelque chose.

Conduite du changement à l’américaine

Il est possible que l’action d'Henry Paulson et de son équipe ait été fortement inspirée par la culture américaine. On y retrouve :

  1. La conviction qu’en travaillant dur et en mettant des moyens disproportionnés on peut résoudre n’importe quel problème. Il me semble que cette conviction est une conclusion tirée des moyens employés lors de la seconde guerre mondiale. Elle s’est traduite depuis par des initiatives qui se sont appelées « guerre à… » (la pauvreté, la terreur…).
  2. Une croyance un peu aveugle dans la science : il y a un lien direct entre le ministère et la communauté scientifique (Philip Swagel enseigne d’ailleurs aujourd’hui à l’université de Chicago). Le meilleur de la recherche a été appliqué à la crise.

Passage en force et complexité du monde

Plus généralement, il est tentant de voir dans ces mésaventures une nouvelle illustration des conséquences bien connues des théories positivistes. Nous pensons, pour beaucoup d’entre nous, que l’avenir est prévisible, qu’il existe ce que Taylor appelle « the one best way », la seule bonne solution. Ce n’est pas le cas et la science l’a compris il y a fort longtemps. Mais nous tardons à nous en rendre compte.

La science dit que le monde est « complexe », parce que, notamment, il est caractérisé par

  • des systèmes de maintien du statu quo (cf. thermostat),
  • une tendance au « chaos », c'est-à-dire qu’un changement microscopique peut devenir macroscopique (fameux « battement d’aile du papillon »).

Exemples de ces deux phénomènes ?

  • Un très grand nombre de mesures du ministère, apparemment bénéfiques, sont tuées parce qu’elles ont des effets « inattendus ». (L’effet inattendu semble même ce qui caractérise le mieux les deux ans passés par Philip Swagel au ministère des finances.) Généralement elles nuisent à une partie du marché, qui les combat, ou elles rencontrent une loi « les contraintes légales ont été omniprésentes pendant la crise ».
  • Le cas Lehman Brothers pourrait parler de chaos : l’effondrement de la société provoque une panique qui semble n’avoir aucun fondement, mais qui menace d’effondrement le système financier mondial. Bizarrement AIG semble illustrer l’inverse. Ces deux cas sont une étonnante démonstration des limites des capacités intellectuelles de l'homme : les décisions de ces gens très intelligents se sont révélées systématiquement des désastres.

Communication de crise

Le positivisme se traduit par conduite du changement = passage en force (puisque je sais ce qui est bien, il suffit de l’appliquer). À part l’effet inattendu des mesures décidées, ce qui revient le plus souvent dans ce texte est un problème majeur de communication, avec le congrès, dans le meilleur des cas, et avec le pays d’une manière générale. Du coup, non seulement le ministère des finances est impuissant, mais ceux qui savent parler au peuple lui imposent leur bon sens, qu’il sait être stupide (par exemple des garanties, dont le coût, dans les faits, vient s’ajouter à celui des mesures qu’il préconise). Les conséquences de ce bon sens ont l’effet paradoxal de torpiller ses mesures et de le rendre responsable de l’échec. Pas possible de se défendre : il a perdu depuis longtemps la bataille de la communication.

Exemple typique de « communication de crise ». Le principe central de la communication qui doit accompagner le changement est « voix du peuple, voix de Dieu » : le congrès et le peuple ont le pouvoir, leurs désirs sont des ordres. La logique de ces désirs, qui est tout à fait respectable, doit être comprise et utilisée comme une contrainte de mise en œuvre du changement. Non ignorée, ou méprisée.

Construire l’équipe

Plus généralement le ministère Paulson semble avoir ignoré la dimension sociale du changement :

(le) processus de prise de décision (a été gêné par) des obstacles que nous nous sommes imposés (…). Notables parmi ces obstacles se trouvaient une désorganisation chronique au sein du ministère lui-même et un processus politique généralement peu rigoureux au sein de l’administration (et parfois des relations tendues entre le ministère et le personnel de la Maison blanche), qui rendait difficile de diriger les énergies de l’administration dans une même direction.

Très peu de dirigeants et de gouvernants comprennent ce qui est évident à l’entraîneur sportif : si leur équipe n’est pas soudée, elle ne peut pas gagner de match. Ils pensent qu’il suffit de lui donner des ordres pour qu’elle les mette en œuvre. Grossièrement faux.

D’ailleurs la situation d’Henry Paulson était difficile : il devait construire son équipe et s’assurer de la cohésion de l’administration Bush.

Ordinateur social

Résoudre ces problèmes est délicat. Cependant, il existe un principe général qui peut être utile. Il est à l’exact inverse de ce qu’a fait Henry Paulson. Ce principe est de contrôler le processus du changement, de ne pas laisser la mise en œuvre du changement au hasard des caprices de la complexité du monde.

  • Celui qui conduit le changement doit annoncer de quel changement il s’agit. Ici éviter une crise. Deuxième mission, indiquer les problèmes à résoudre : banques sous-capitalisées, emprunteurs à remettre à flots, prix de l’immobilier à stabiliser…
  • On ne lui demande pas de résoudre ces questions, mais de rassembler des représentants de ceux qui devront appliquer les résultats du changement (représentants des banques, du peuple, des entreprises…), de leur proposer une méthodologie de résolution (par exemple d’évaluer les forces et les faiblesses des solutions qui ont émergé, et d’en tirer un compromis), et d’animer leur travail.
  • Une fois qu’un plan d’action satisfaisant est trouvé, il a peu de chances de rencontrer obstacles ou résistance au changement, puisqu’il a été conçu par ceux qui doivent l’appliquer. (En fait, le plan de mise en oeuvre doit prévoir un mécanisme de résolution de ces questions.)

Une telle démarche est robuste à l’aléa : si un « problème à résoudre » imprévu surgit, il peut-être traité de la même façon.

Compléments :

samedi 25 avril 2009

Chronique d’une crise annoncée

Philip Swagel raconte l’arrivée de la crise telle que vue par le dernier ministère des finances américain, dont il est membre. Histoire d’hommes qui veulent éviter l’inévitable.

La Guerre de Troie n’aura pas lieu

La crise, ils la voient arriver très tôt. Dès l’été 2006, le ministère soupçonne qu’une trop longue prospérité a endormi l’économie et qu’une tempête va survenir à laquelle elle n’est pas préparée. Intéressante décision, le ministre remet sur pieds un comité qui avait géré le crash de 87.

Très vite les idées de rétablissement de l’économie ressemblent à ce qu’elles sont aujourd’hui. Très vite les problèmes s’accumulent : toutes les propositions présentent des effets pervers (en en aidant certain on biaise la concurrence), le ministère semble incapable de se faire entendre du congrès…

Il commet une erreur : il pense que la crise va être suscitée par l’incapacité des emprunteurs à payer leur dette, du fait d’un retournement de conjoncture. En fait, elle a deux causes : on a vendu des prêts à des gens incapables de les rembourser ; la baisse du prix de l’immobilier rend logique d’abandonner maison et remboursements.

Plus la crise s’approche, plus les conséquences des décisions du ministère se retournent contre leurs intentions. Par exemple :

  • Début 2008, il veut stimuler l’économie, il y injecte 100md$, mais survient une brutale augmentation du prix de l’énergie qui annule l’effet attendu.
  • Après des signes précurseurs, la secousse vient de Lehman Brothers, qui fait faillite le 15 septembre. Ne pas la secourir est sans danger, pense-t-on. Mais divers imprévus, dont l’incompréhension des marchés étrangers, conduisent à la panique, au blocage du crédit interentreprises, avec menace corrélative d'effondrement du système bancaire. Le lendemain, AIG défaille. Cette fois-ci le ministère ne veut pas que disparaisse l’assureur d’une partie de l’économie mondiale. Rétrospectivement c’était une erreur.

Les événements se précipitent, l’avance est grignotée par les événements, jusqu’à ne devenir plus que réactivité, et désillusion.

Des hommes de bonne volonté ?

L’effort a été héroïque. Avec l’aide d’une partie de l’élite scientifique, le ministère américain paraît avoir voulu recréer une économie durable et honnête, en corrigeant ses effets pervers : en recapitalisant les banques ; en réinventant la titrisation à l’origine de la crise, mais nécessaire à la vie de l’économie ; en retaillant les prêts, de façon à ce que les emprunteurs puissent à la fois les payer et qu’ils reflètent le prix réel de leur bien…

Tout cela avec une énorme contrainte : « il (Paulson) pensait qu'il était une mauvaise idée que le gouvernement soit impliqué dans la possession des banques ».

Était-il si convaincu de l’efficacité des marchés qu’il a cru qu’il s’agissait juste de soigner une maladie infantile ? Étrange contradiction entre un hyper interventionnisme, qui aurait consisté à porter le marché à bout de bras, et une croyance en son efficacité intrinsèque.

L’épisode du TARP comme exemple. J’avais trouvé l’idée brillante : il s’agissait de retirer les actifs à risque des banques, pour leur enlever toute inquiétude, et donc l’envie de reconstituer leurs réserves. Mais, inconsciemment dirigiste ?, je n’avais pas envisagé le dédommagement. Le ministère américain s’est épuisé à chercher un mécanisme qui produirait un prix « juste » pour ces actifs. Ce mécanisme devait faire appel au marché, lui seul étant infaillible. Ce qui est sorti de ce travail ne paraît pas avoir été efficace. D’où l’idée d’injecter directement de l’argent dans les banques. (Cette idée avait la faveur des économistes, mais elle aurait été inacceptable par le congrès initialement, semble-t-il.)

Que faire ?

Qu’en déduit Philip Swagel ? Qu’il faut adopter le scénario suédois, que défendent beaucoup d’économistes.

Et l’administration Obama ? Elle persévère, en tirant des enseignements étranges de l'expérience précédente :

  1. Il faut se faire aimer du congrès : soyons « populistes ».
  2. S’embarrasser d’aléa moral et des intérêts des contribuables est une erreur. Comme le dit Philip Swagel, les banques ne bougent que si on leur fait une proposition qu’elles ne peuvent refuser. Ce qui est fatalement au détriment du contribuable.
  3. Oui, mais l’argent nécessaire, comment le demander au congrès ? Inutile, le ministère Paulson a fait une découverte : si j’ai correctement compris, la Réserve fédérale (dont la direction est demeurée inchangée) a la possibilité de jouer les assureurs. Plutôt que d’acheter cher, on assure bon marché. Le congrès n’y voit que du feu.

Alors, Obama : ultralibéraliste cynique ?

L'analyse de cette expérience, en termes de conduite du changement, sera faite par le billet suivant...

Compléments :

vendredi 24 avril 2009

Classement universitaire

La réforme des universités françaises, semble en partie due à leur mauvais classement international. On se demande ce qu’il y a derrière ces classements. Et on ne trouve pas grand-chose. Et dans ce que l’on trouve, il y a quelques effets pervers ridicules (Le syndrome de Shanghai, La recherche à l'épreuve des chiffres).

Rousseau aurait été surpris (Discours sur la science et les arts) : Il n’a point fallu de maîtres à ceux que la nature destinait à faire des disciples. Comment les plus grands scientifiques auraient-ils pu être évalués par leurs « pairs » puisqu’ils n’en avaient pas ? ça n’a pas beaucoup changé depuis l’époque de Newton et de Descartes : Pasteur, Freud, Bateson, Durkheim… Il semble que ce soit partout une règle : les innovateurs viennent d’où on ne les attend pas…

Le plus étrange est peut-être d’avoir réussi à classer quelque chose que l’on ne sait pas définir : qu’est-ce qu’un « bon » chercheur ou une « bonne » université ?

À la question : qu’est-ce que l’intelligence, Alfred Binet aurait répondu : c’est ce que mesure mon test. Comme lui nous définissons des indicateurs pour ne pas avoir à comprendre ce qu’ils mesurent ?

Sur l’innovation dans l’entreprise : UTTERBACK, James M., Mastering the Dynamics of Innovation, Harvard Business School Press, 1994.

Université et gouvernement

La réforme de l’université est un contre exemple encore plus intéressant que le dit Changement et université :

On y voit plus clairement que dans un changement ordinaire les raisons de son échec. Peut-on une minute penser que des politiciens qui ont passé leur vie à courtiser l’électorat aient quelque chose à enseigner à des universitaires qui ont passé la leur à apprendre et à découvrir, et qui ont d’ailleurs été sélectionnés pour la qualité exceptionnelle de leur intellect ? Drame du changement imposé par un dirigeant de droit divin : c’est l’ignorant qui dicte sa conduite à celui qui sait.

Le gouvernant, comme le dirigeant, doit comprendre qu’un changement ne se fait pas en donnant des leçons à ceux qui sont plus compétents que lui. Son rôle est de faire ce pour quoi il a été nommé : résoudre des problèmes organisationnels insolubles, par définition, par les individus qui composent l’organisation.

La première chose à faire est une synthèse de ce qui ne va pas. D’après ce que j’ai lu, tout le monde est d’accord sur ce point là. Ce qui bloque c’est la mise en œuvre. Normal : personne, et surtout pas le gouvernement, n’a assez d’informations pour la concevoir. Ces informations sont détenues par une myriade de personnes : écosystème de l’université mais aussi acteurs sans lesquels l’université est inutile : élèves, employeurs, citoyens, etc. en quelque sorte ses clients et ses fournisseurs, son « environnement concurrentiel » comme dirait Porter.

C’est en extrayant de cet ensemble quelques représentants « hommes clés » et en les faisant produire un plan de mise en œuvre dont ils seront responsables que l’on a quelques chances d’être efficace.

Le rôle du gouvernement est ici : identifier la question à résoudre, et proposer une méthode et l’animation qui va avec. Elles permettront à la nation (plus exactement à ceux qui sont là pour ça) de trouver la solution qui lui convient.

Changement en Amérique (nouvelle suite)

Le ministère des finances américain (qui a l’air de faire l’unanimité de l’élite économique démocrate nobélisée contre lui) inépuisable source d’exemples de techniques de changement ?

Nous tendons à aller là où il y a le moins de résistance. Le phénomène est bien connu chez les commerciaux : ils défendent les intérêts de leurs clients plutôt que ceux de leur employeur, parce que c’est plus facile ainsi. Le ministère des finances est pris entre des banques dont la logique est le profit et un congrès qui veut punir le banquier. Sa stratégie est donc de donner de l’argent aux banques sans en parler au congrès. Dans cette manœuvre il semble que la Réserve fédérale soit un outil qui tombe à pic : elle est indépendante, elle fait ce qu’elle veut (mais elle est de mèche avec le ministère des finances), comme la BCE en Europe.

Compléments :

  • La créature du dr Geithner
  • Un article qui va un cran plus loin que mon application d’Edgar Schein précédente et qui dit que l’équipe Obama ne peut pas imaginer d’autre idée que d’utiliser les grandes banques américaines pour alimenter l’économie. Il donne aussi une liste d’économistes contestataires.

jeudi 23 avril 2009

Changement en Amérique (suite)

Les événements semblent confirmer ce que disait Changement : apprendre avec Obama.

Le gouvernement américain a sauvé ses grandes banques, maintenant elles utilisent leur formidable pouvoir pour bloquer ses réformes.

Ce qui est peut-être paradoxal, c’est qu’alors qu’il semble tout faire pour contourner les lois de la démocratie, en évitant toute confrontation avec le congrès, ce qui pourrait signifier des tendances dictatoriales, il semble aussi tout faire pour ne pas prendre le pouvoir sur les banques, ses aides n’étant pas assorties de contreparties qui lui permettent de leur imposer ses volontés. Occasion d'appliquer une technique importante en conduite du changement ?

  • Il y a contradiction entre les proclamations de foi en la démocratie et les actes (court-circuitage du congrès). La démocratie est une « valeur officielle », on se réclame d’elle, mais, au fond, elle ne signifie rien. C’est un rite.
  • Les actes suivent en fait des « hypothèses fondamentales » inconscients. Le refus de prendre le pouvoir dans les banques indique peut-être que ce dont le gouvernement américain est convaincu c’est de l’efficacité du marché, et de l’inefficacité de l’action d’un état dirigiste.

La technique en détails : SCHEIN, Edgar H., The Corporate Culture Survival Guide, Jossey-Bass publishers, 1999.

Changement et université

Marcel Gauchet juge la réforme de l’université

Je suis d’accord avec sa vision du changement que doit traverser la France et, accessoirement l’Université (son « stretch goal ») :

Le problème universitaire est un bon exemple du problème général posé à la société française, celui d'assurer l'adéquation à la marche du monde de notre modèle hérité de l'histoire et organisé autour de l'idée de République. Toute la difficulté est de faire évoluer ce modèle sans brader notre héritage dit républicain. Nous ne verserons pas d'un seul coup dans un modèle compétitif et privé qui n'a jamais été dans notre histoire. Comment intégrer davantage de décentralisation et d'initiative, tout en maintenant un Etat garant de l'intérêt général et de l'égalité des services ? C'est ce point d'équilibre entre les mutations nécessaires et la persistance de son identité historique que le pays recherche. Il n'est pas conservateur : il est réactif. Mais pour conduire ce genre d'évolutions, il faut procéder à découvert, oser le débat public.

Ensuite, je vois dans ces propos le scénario usuel du passage en force : méconnaissance du terrain, idéologie directrice rudimentaire :

Toute la philosophie de la loi se ramène à la seule idée de la droite en matière d'éducation, qui est de créer des patrons de PME à tous les niveaux, de la maternelle à l'université. Il paraît que c'est le secret de l'efficacité.

Le gouvernement a fait le choix d'une offensive éclair, sur la base d'une grande méconnaissance du terrain universitaire. Probablement, ce sentiment d'urgence a-t-il été multiplié par le choc du classement mondial des universités fait par l'université de Shanghaï, qui a secoué nos élites dirigeantes, sans leur inspirer, hélas, le souci de se mettre au courant. Si vous ajoutez à cela une image d'Epinal de ce qu'est le système universitaire américain, aussi typique du sarkozysme que largement fausse, plus l'idée que n'importe quelle stratégie de communication bien menée vient à bout de tous les problèmes, vous avez les principaux ingrédients de la crise actuelle.

D’ailleurs (Logique des universités) l’Université est remarquablement efficace :

On pourrait même soutenir, de manière provocatrice, qu'il est l'un des plus compétitifs du monde, dans la mesure où il est l'un de ceux qui font le mieux avec le moins d'argent. C'est bien la définition de la compétitivité, non ? Dans beaucoup de disciplines, nous sommes loin d'être ridicules par rapport à nos collègues américains, avec des moyens dix fois moindres.

Et le résultat que l’on va obtenir est celui que produit le passage en force qui réussit : ce que François Fillon pensait la grande réforme du quinquennat n’aura fait que démolir un peu mieux ce qu'il voulait améliorer.

Quelle que soit l'issue du mouvement, le problème de l'université ne sera pas réglé. Le pourrissement est (...) fatal, mais la question restera béante et resurgira. Si le gouvernement croit que parce qu'il a gagné une bataille, il a gagné la guerre, il se trompe. La conséquence la plus grave sera sans doute une détérioration supplémentaire de l'image de l'université, ce qui entraînera la fuite des étudiants qui ont le choix vers d'autres formes d'enseignement supérieur et ne laissera plus à l'université que les étudiants non sélectionnés ailleurs. De quoi rendre le problème encore un peu plus difficile.

Aide à l’innovation

Olivier Ezratty fait une analyse étonnante de l’aide à l'innovation en France. Il conclut :

  • Que les trois quarts du financement de l’innovation en France sont d’origine publique. Et dans ce financement public, les deux tiers au moins sont des dépenses fiscales, même si le CIR n’est pas à proprement parler une dépense fiscale et relève plutôt d’une subvention sur dépenses.
  • Plus de la moitié du financement de l’innovation est focalisé sur la R&D y compris pour les sociétés qui sont sorties du cadre de l’amorçage – cela comprend les grandes entreprises qui trustent environ les trois quarts du CIR. Ceci confirme une intuition que je relaye depuis quelque temps sur ce blog sur le poids trop élevé de la R&D dans les aides publiques. Sachant que les autres sources de financement couvrent aussi la R&D pour une part, mais de manière non exclusive.
  • Quand on ajoute l’impact de la loi TEPA-ISF, on s’aperçoit que l’Etat finance en fait directement ou indirectement la moitié du capital risque français ! Sans pour autant avoir réellement augmenté le poids des investissements dans le capital d’amorçage de la part des VCs.
  • Que le poids des investissements des business angels (estimé ici à la louche à moins de 250m€) est encore marginal par rapport à celui du capital risque.
  • Que les aides publiques sont des facto étalées dans l’ensemble du cycle de développement des PME innovantes : de l’incubation jusqu’au développement (late stage pour ce qui est du capital risque).
  • Que la part des aides spécifiques sur le développement du business et de l’export est ridicule.
  • Que la part des aides régionales est encore marginale par rapport au total de l’investissement public.
  • Qu’en amont de tout cela, les aides à l’incubation, notamment pour les jeunes qui sortent de l’enseignement supérieur, ne sont pas bien significatives.

Ce qui l’amène à s’interroger :

Ce schéma montre l’énorme poids du CIR et cela m’interpelle. Je me demande s’il n’y a pas une fuite dans le réservoir et qu’elle n’arrose pas au bon endroit pour faire éclore les innovations. Les innovations rappelons le, sont les nouvelles technologies qui trouvent leur marché et des clients – si possible à l’échelle mondiale, et pas des inventions qui sortent juste des laboratoires à l’état de produit plus ou moins fini… !

Il montre aussi l’effort qui reste à accomplir pour augmenter la part du financement d’amorçage via les business angels. Et aussi que le capital risque français n’est pas si “risque” que cela et fonctionne sous une sacrée perfusion du financement public. Sans compter qu’Oséo garanti les investissements dans les FCPI à hauteur de 70% ce qui limite les pertes des fonds à 30%.

Je n’avais jamais mis mes expériences en forme, mais, à la réflexion, elles semblent confirmer l’analyse d’Olivier Ezratty : pourquoi encourageons nous autant la recherche et développement ? D’autant plus que l’on m’a toujours dit que c’était une de nos forces ? Pourquoi ne pas subventionner plutôt nos faiblesses ?

Quant au secteur privé, comme je l’explique dans un autre billet, je pense que, paradoxalement, il a moins la culture de l’investissement qu’OSEO. C’est peut-être une question de changement : on ne peut pas transformer un capitalisme d’état en un capitalisme d’entrepreneurs en quelques années…

Compléments :

Trouble shooter

Émission de decideurstv (chaîne Internet de Thomas Blard). Le principe :

La conduite du changement par l’exemple.

Savoir conduire le changement est devenu impératif pour le manager. Cette série d’émissions est faite de « business cases », on y rencontre des problèmes (dilemmes) qui se posent à tout manager, et que généralement il traite mal (bricolage) ou pas du tout.

Nos invités, des dirigeants, des consultants, des cadres… ont su trouver à ces questions des solutions élégantes, souvent inattendues, mais qui ne demandent aucun moyen. En une dizaine de minutes, ils exposent un problème qui s’est posé à eux, la solution qu’ils ont trouvée, et ils la généralisent en quelques recommandations, ou « gestes qui sauvent ».

Les deux premiers invités :

  • Mickaël Maindron de Feeloë. Sa spécialité est la « boîte noire ». La direction des systèmes d’information qui bloque un changement : non seulement elle le refuse, mais elle est opaque, et parfois objectivement incompétente. L’enseignement du cas qu’il a choisi est un peu inattendu. Même quand on est sous une énorme pression, que l’on manque de temps, on doit commencer par souder la DSI, lui « apprendre » son métier (il appelle cela « l’auto-école »). Quand on s’y prend bien cette phase se déroule en même temps que la première étape du projet et peut aller relativement vite. À tel point qu’il n’y a pas d’impact visible sur la durée du projet. Et, une fois soudée, l’organisation est efficace et le projet est sur des rails.
  • Serge Delwasse. Son exemple est peut-être encore plus surprenant. Dans de nombreux cas, des problèmes qui semblent désespérés (ici une production qui n’arrive pas à répondre à ses commandes, d’où une entreprise très mal partie), résultent de dysfonctionnements internes mineurs et mêmes ridicules (a posteriori) : généralement de problèmes de communication ; mais que les techniques qui viennent à l’esprit quand on parle de communication ne marchent pas (organiser des réunions, jouer sur les organigrammes, essayer de « convaincre »…) ; et qu’il faille en utiliser à la fois de plus simples et de plus radicales (en tout cas de plus inattendues !).

mercredi 22 avril 2009

Changement en Afghanistan

Les talibans Afghans se seraient réfugiés au Pakistan. Ils sont poursuivis par les drones américains, qui semblent faire des carnages dans la population locale (un demi-millier de victimes). Drone Attacks on Pakistan's Indigenous Tribes :

alors que les attaques de drones continuent de tuer et de générer la fuite des populations locales, et que les militants entreprennent des mesures de représailles contre les principales villes (pakistanaises), il est prévisible que le Pakistan nucléaire plonge dans un chaos incontrôlable et dans un carnage menaçant la paix et la sécurité internationales.

Ignorant la simple vérité, les responsables politiques américains mus par la certitude d’être porteurs du bien continuent à imposer une solution militaire sanglante à un problème géopolitique complexe.

Voici, à l’échelle d’un pays, l’exemple d’un changement mal mené. On tente le passage en force, et on fait des entorses aux principes auxquels ont croit le plus (droits de l’homme, et indépendance du Pakistan). Selon mon expérience du changement par la force, de deux choses l’une :

  1. Le passage en force réussit, il détruira une partie de ce qu’est l’Afghanistan et en fera un pays zombie.
  2. Le passage en force rate. Et alors ?

mardi 21 avril 2009

Changement à Effet de serre

Ce que toute personne qui s’intéresse au changement apprend en premier, c’est qu’il n’y a pas de changement sans crise violente. L’Effet de serre semble ne pas devoir échapper à cette règle.

Les calculs semblent converger : les énergies renouvelables ne résoudront pas la question de l’effet de serre. Elles ne peuvent qu’apporter une petite partie de nos besoins.

Et elles peuvent être pires que le mal. Une enquête menée en Californie semblerait montrer que les biocarburants issus du blé pourraient avoir des effets plus néfastes que ceux du pétrole : augmentation du prix du blé, transformation accélérée de la forêt humide et des terres protégées en terres cultivables, émissions de gaz à effet de serre et diminution des pièges à carbone.

Il va donc falloir probablement modifier notre mode de vie, qui conduit à un gaspillage immense.

Il semblerait que les peuples « primitifs » aient des choses à nous enseigner dans ce domaine. Ils seraient déjà touchés par le réchauffement climatique et obligés de faire évoluer leurs modes de vie. Vivant plus près que nous de la nature, ils auraient pris l’habitude de s’adapter fréquemment à ses changements. Les Inuits d’Alaska, par exemple, reviendraient au traineau à chiens : le chien a le double intérêt de ne pas consommer d’essence et d’éviter les plaques de glace fragiles, qui sont de plus en plus fréquentes.

Le nucléaire : ne pas se précipiter.

L’école du crime

Voilà ce que donne à voir un universitaire canadien de l’école américaine :

Des gamins de sept ou huit ans menottés et plaqués face au sol pendant une heure par des policiers ; des écoles qui font l’objet de descentes de police de routine, mais avec un déploiement de forces digne d’une arrestation d’un réseau mafieux ; des écoles qui ont leur propre poste de police et qui ressemblent à des centres de détention… 8.000 arrestations d’élèves pour la seule ville de Chicago, en 2003, des expulsions qui y sont passées, de 95 à 2003-4, de 32 à 3000.

Qu’est-ce qui peut advenir d’une jeunesse qui reçoit une telle éducation ? N’est-elle pas formée pour le crime ? D’ailleurs, comment, même, un bon élève peut-il apprendre quoi que ce soit dans ces conditions ?

Il est étrange qu’en si peu de temps il y ait une un tel basculement dans les mentalités. Il y a quelques décennies, la jeunesse c’était l’espoir, mais aussi la non responsabilité. Aujourd’hui, c’est le mal, le risque. De la formation de citoyens, la mission de l’école est devenue punition de criminels.

Qu’est-ce qui fait qu’une société se retourne violemment contre sa jeunesse ?

De l’inefficacité de la répression

lundi 20 avril 2009

Comptabilité créative

La solution que les Américains ont trouvée à la crise ?

La moisson de résultats bancaires inattendus devient de plus en plus une question de manipulation des conventions comptables. Ça l’était déjà pas mal pour Goldman Sachs, ça l’est colossalement pour Citigroup (New Day, New Bank, Worse Story) : 3,5 milliards de création pour 1,6 de bénéfices annoncés ?

La comptabilité créative est une maladie endémique de l’entreprise américaine. Ce qu’il y a de nouveau est qu’elle gagne l’État. Il vient d’annoncer qu’en changeant le nom des actions qu’il détenait dans l’industrie financière, il lui apportait 100 md$ supplémentaires (More Accounting Games).

Soit ces Américains sont stupides et pensent qu’exploiter l’irrationalité des règles comptables trompe les lois de la nature, soit ils essaient d’embrouiller leur opinion publique en espérant qu’ainsi ils susciteront un miracle sans en payer le prix. Ce qui revient au même ?

La créature du dr Geithner.

Anglais et changement

J’écoute la fin d’une émission de RFI, on y parle des dégâts que fait la pratique de l’Anglais en France, que certaines entreprises ont décrété langue de travail alors qu’elle n’est pas connue. Ce qui aurait fait 5 morts à l’hôpital d’Épinal, en 2007.

Je n’avais jamais réfléchi aux coûts que pouvait avoir cette mesure, qui est prise par toutes les multinationales. Décider que tout le monde doit dorénavant parler Anglais, comme un Anglais, est l’exemple même d’une conduite du changement telle qu’on l’a pratique en entreprise. Une décision qui nie la réalité, par paresse intellectuelle.

C’est aussi un bon exemple de ce que signifie une mise en œuvre du changement : si vous voulez que toute votre société parle une même langue, il faut la lui apprendre, ou renouveler votre personnel. L’effet de levier consiste à éviter ces coûts inacceptables en utilisant les mécanismes dont dispose la société pour se transformer, sans demander l’impossible à l’homme. Dans ce cas, la question est de faire que les membres d’une multinationale se comprennent, pas qu’ils parlent tous l’Anglais.

Carlos Ghosn explique qu’il a rencontré cette question chez Renault Nissan. Plutôt que de supposer que Japonais et Français parlaient Anglais, il a demandé à ce que ceux qui avaient l’absolue nécessité de travailler avec des ressortissants de l’autre entreprise apprennent sa langue (les Japonais le Français et les Français le Japonais). Pour le reste des échanges critiques, il fait appel à des traducteurs.

Compléments :

Morne élection

Toujours pas le moindre signe de vie de la campagne des Européennes. Seule surprise : la droite semble devoir gagner, pas de rejet. La conclusion in extenso de Européennes : l’UMP pourrait rafler la mise :

Je trouve particulièrement intéressante la forte résistance de la droite, tant en France que dans les autres pays européens. En puisant largement dans les idées de la gauche pour contrer la crise bancaire et économique, elle l’a privé d’oxygène. Surtout, dans aucun pays, la crise actuelle n’est perçue comme une crise du système dans son ensemble appelant des solutions plus radicales que celles qui sont mises en œuvre actuellement. En clair, le « grand soir » espéré par certains et craint par d’autres ne semble décidément pas pour demain. L’effet, sur le Parlement européen, est largement prévisible : la droite y sera, encore une fois, largement majoritaire. Quant aux antieuropéens, leur discours dans la tempête actuelle est inaudible. Même si l’Europe telle qu’elle est ne plait pas à tout le monde, chacun a pris conscience que sans elle, la crise aurait été bien pire. Bref, même si les antieuropéens réunissent beaucoup de voix — surtout en France, à vrai dire —, c’est surtout en raison d’un vote protestataire perçu comme sans risque.

Interrogations :

  • Cette crise ne semble susciter aucune réaction à gauche. Bizarre. Plus de convictions, juste quelques réflexes pavloviens de bien pensance qui en font office, seule cause : gagner les élections ? Aurions-nous une élite uniforme ?
  • N’y a-t-il pas de remise en cause du modèle dominant, ou pas de modèle alternatif ? Dans ces conditions, les meilleurs pour gérer la crise ne sont-ils pas ceux qui l’ont créée : au moins ils parlent de ce qu’ils connaissent ?
  • Que signifie la modestie du vote protestataire français, alors que le Français séquestre et manifeste ferme ? Il n’est pas fondamentalement mécontent de son gouvernement, mais, faute d’intermédiaires qui le représentent, le peuple doit faire ses affaires en direct avec le président de la nation, et ses revendications violentes sont le moyen d’attirer son attention ? Aussi de lui dire qu’il n’approuve pas le cours que pourrait prendre son action s’il se laissait aller à son naturel ? Qu’il n’est jamais aussi admirable que lorsqu’il est réactif ?

Dégradation

Il y a deux jours RFI parlait de la commission Stiglitz voulue par le Président de la République. Elle cherche des indicateurs de progrès qui soient moins sommaires que le simple PIB.

Amusant. Nous en sommes venus à ne plus être pilotés que par des chiffres. Pour savoir si nous sommes heureux, nous avons besoin d’un compteur.

Il est d’ailleurs surprenant de voir que l’on peut facilement trouver des indicateurs préoccupants de la dégradation de nos conditions de vie.

  • Dans un billet traitant d’études du CREDOC (Inégalités françaises ?) j’avais découvert que l’accession à la propriété était en net recul pour 80% de la population française, et que quasiment l’essentiel de cette population, non fonctionnaire, avait connu le chômage, et tout ce que cela peut véhiculer d’angoisses, dans son existence.
  • Jean-Paul Fitoussi, membre de la commission Stiglitz et interviewé de l'émission, remarquait qu’en quelques années l’asthme a gagné massivement notre population (un tiers de malades). Probablement notre environnement n’est pas aussi sain qu’il l’était (La survenue des allergies s'explique d'abord par le mode de vie).
  • Quid de la croissance de l'exclusion sociale (cf. le SDF) ?

Le modèle de pensée dominant, qui nous vient des Anglo-saxons, veut que les inégalités de fortune soient une bonne chose. Plus le riche peut gagner d’argent, plus il est encouragé à innover et donc à faire le bien des paresseux que nous sommes tous. Les statistiques montrent que le riche s’est partout nettement plus enrichi que le reste de la population, ces dernières décennies. Or, outre une crise majeure, il semble bien que nos conditions de vie, et surtout l’innovation, n’en aient pas profité, contrairement à ce qui s’était passé lors de trente glorieuses égalitaires, quasi socialistes et extraordinairement créatives (Société d’abondance, Commentaires sur affluent society). Le riche s’est enrichi, c’est tout ce que l’on peut conclure avec certitude.

Bien sûr, tout n’est pas égal par ailleurs, et les dites 30 glorieuses ont pu commencer à creuser notre tombe, mais n’y a-t-il pas désormais un doute raisonnable quant à l’efficacité de l’enrichissement comme meilleur encouragement à l'innovation, et au bien social ?

800

Huit-centième billet. Toujours pas très facile de garder le rythme. Pourquoi ?

  • Parce que pour cela, je dois retrouver chaque jour un certain état d’esprit créatif. Or, l’écriture d’un billet vient en plus d’une journée qui me donne le sentiment de la mission accomplie, et d’un repos du héros mérité.
  • D’ailleurs, si j’écris mes idées au moment où je les ai, l’idée amenant l’idée, je ne fais plus que cela, au détriment du reste de la journée.
  • Le plus désagréable est peut-être « l’innutrition » nécessaire à l’écriture. Quelle plaie d’avoir à lire des blogs ou des articles. Qu’il est pénible de devoir cliquer sur des liens, d’attendre qu’ils s’ouvrent, de lire à l’écran. Imprimer le texte demande quelques manœuvres qui ne sont d’autant moins devenues des réflexes que, pour ménager la forêt, j’essaie d’imprimer aussi peu que possible… Le pire, c’est la publicité. Elle s’incruste dans le texte et nuit à la lecture. Je comprends pourquoi les annonceurs ne veulent pas payer pour elle : autant je la trouve agréable dans un magazine et mon attention est distraite par elle, autant elle est insupportable à l’écran.
  • Finalement le blog force à ne jamais laisser s’endormir sa raison, ce qui est fondamentalement contre nature. Heureux les philosophes des Lumières dont la pensée s’exprimait d’elle-même. C’est pourtant une jolie chose que de savoir écrire ce que l’on pense.

Discipline inutile me direz-vous ? Masochisme ?

  • C’est un exercice permanent de changement. Je fais des gammes. J’ai entendu un jour un mathématicien venant de recevoir la médaille Field répondre à un journaliste que la recette de son succès c’était de faire des exercices. Et bien, moi aussi j’en fais, et ils sont très utiles.
  • D’ailleurs, ce suivi régulier me permet de voir apparaître des tendances. Plus exactement, progressivement, se dégagent des « logiques ». Par exemple, il est possible que les USA obéissent au modèle de « l’oligarchie » du pays émergent. Ces modèles simplifient le décodage des événements, et permettent de faire des prévisions. Même faux ou approximatifs, ils font énormément gagner en efficacité. Il est plus facile de modifier un scénario que de garder en tête des dizaines d’informations déconnectées.
  • La construction de scénarios se fait dans le temps, en utilisant le paradoxe. Une information qui surprend, et que je ne comprends pas et, progressivement, d’autres apparemment sans rapport, qui viennent lui donner un sens inattendu. C’est pour cela que j’essaie de noter dans ce blog ce qui me frappe, quand ça me frappe, et avant que ça ne bascule dans mon inconscient (lutte de tous les instants contre la paresse intellectuelle). C’est aussi pour cela que mes billets ne paraissent, probablement, pas toujours d’un grand intérêt au non initié : ils me servent d’aide-mémoire.
  • Cet exercice me permet d’avoir de l’avance sur les journaux (en fait, les meilleures sources d’information sont les blogs d’experts), et surtout un niveau de compréhension qu’ils n’ont pas, ou qu’ils ne peuvent pas se permettre d’afficher. En outre ce qu’écrit le journaliste reflète la culture de son journal, ses biais, et il faut les identifier pour que l’information puisse être utile (cf. mes remarques sur The Economist).
  • J’en suis arrivé à penser qu’être citoyen, c’était justement faire ce travail de recherche et de compréhension. Mon hypothèse du moment est la suivante : nous avons deux rôles dans la vie : fonction propre (balayeur de déchets radioactifs, consultant, dirigeant, musicien…) + membre du groupe, c'est-à-dire « citoyen ». Pour être un bon citoyen, il faut comprendre les règles sociales pour ne pas les utiliser contre leur esprit (ou se faire manipuler). C’est ce travail permanent d’interrogation sur les mouvements de la société qui amène à s’interroger sur ce qui nous guide inconsciemment, et sur son bon usage. Être citoyen c’est donc, probablement, faire un effort permanent d’appropriation des règles sociales. En disant cela, je pense rejoindre John Stuart Mill.

Compléments :

dimanche 19 avril 2009

Brume électrique

Parenthèse dans ma rétrospective Rohmer, que d’ailleurs je ne veux pas épuiser prématurément. Je suis allé voir le dernier Tavernier.

D’habitude je suis d’accord avec la critique intello. Pas cette fois. Ce film, dont elle dit uniformément beaucoup de bien, me semble conventionnel, peu attachant, et effroyablement bien pensant. Essayer de faire un film américain comme un américain n’a d’intérêt que pour le réalisateur français.

Seule utilité, c’est un avertissement aux USA : le spectacle que nous en donne Hollywood est tel que quand l’étranger veut réaliser un film sur ce qui s’y passe, il pense normal de décrire un état de non droit où le riche opprime le pauvre et le noir, et où le bon rend justice par la violence, et en violant la loi et les droits de l’homme les plus élémentaires.

Rohmer et Quartier Latin

Suite de la perspective Rohmer au Cinéma Quartier Latin.

Question du jour : faut-il écouter les dialogues de Rohmer ? J’ai l’impression que non. Rohmer observe avec affection ses personnages, leurs petites difficultés, leurs problèmes de conscience interminables, leurs incohérences. Ce qu’ils font est sans importance, ce qui compte est qu’ils soient ?

Depuis quelques temps j’observe que, contrairement à d’autres cinémas d’art et d’essai de Paris, le Quartier latin a vu brutalement augmenter le nombre de ses spectateurs. Je m’étais habitué à des salles vides, maintenant elles sont pleines. Est-ce la sélection de film qui a suffi à attirer tout ce monde ? Je soupçonne qu’il a dû aussi y avoir une action commerciale. Mais laquelle ?

Donc, bonne nouvelle, les cinémas d’art et d’essai ne sont pas condamnés. Et aussi probablement bonne nouvelle pour tous les commerces qui battent de l’aile (notamment les librairies), il n’y a pas de fatalité.

Chine et crise

Suite de la série sur la Chine : elle semblerait bien se tirer d’affaires.

Son économie n’est pas telle qu’on la croit. Tout d’abord, elle a ralenti avant crise, son gouvernement ayant augmenté le coût du crédit pour lutter contre un début de spéculation. Deuxièmement, elle n’est pas tant touchée par une panne d’exportation qu’on pourrait le penser, car, si elle exporte beaucoup, elle apporte peu de valeur ajoutée à ce qu’elle expédie (10% des Chinois travaillent pour l'exportation).

Le crédit étant à nouveau facile, l’immobilier devrait repartir en entraînant avec lui l’économie. À cela s’ajoute les investissements en infrastructure du gouvernement.

Va-t-on vers une Chine qui se replie sur un périmètre de sécurité, comme je l'ai dit ailleurs ?

Source : Bamboo shoots of recovery

Le savant et le politique de Max Weber

Le savant et le politique : une nouvelle traduction - Max WEBERUn livre court et facile à lire, ce qui n’est pas la caractéristique de l’œuvre de Weber (question de traduction ?). Surtout, c’est une plongée inattendue dans des idées oubliées, grâce auxquelles l’histoire européenne prend un sens.

L’esprit du temps
On y entraperçoit l’Allemagne du début du 20ème siècle, une Allemagne romantique, convaincue de son destin tragique. L’angoisse existentielle la parcourt, une angoisse de fin de millénaire : plus de certitudes, « désenchantement du monde ». On a compris que ni la science ni la religion ne peuvent montrer le sens de la vie. En parallèle on assiste à la montée irrésistible d’une bureaucratie déshumanisée de fonctionnaires rationalistes.
Mais la « jeunesse » pense avoir trouvé la réelle source de certitude. C’est dans la vie, dans l'être, qu'est la vérité (non dans les idées). Elle croit qu’elle va la découvrir par une « expérience vécue », une expérience exceptionnelle vécue en « communauté » sous la direction d’un chef visionnaire et providentiel. On demande au professeur d’être ce chef.
Weber n’est pas d’accord. C’est à chacun de chercher son dieu, sa vocation. Au mieux la communauté se transformera en secte. Mais il ne se distingue de la jeunesse que dans la nuance. Il pense que, au moins, quelques-uns ont reçu un destin, un don, une « vocation », qu’ils doivent assumer. En particulier le « chef », figure centrale du livre, possède charisme et vision dont a besoin la bureaucratie pour trouver une âme.

(Surprenant. N’a-t-on pas dans les thèses de la jeunesse celles du nazisme ? La guerre n’aurait-elle pas été « l’expérience vécue » par la communauté dirigée par un chef visionnaire, dans laquelle chacun devait découvrir la vérité ultime ? N’est-ce pas aussi une explication des thèses d’Heidegger, qui demande à la philosophie de chercher sa vérité dans l’expérience humaine ? Mais, il me semble parler d’expérience individuelle.)

Nationalisme
La traductrice soulève un autre problème fondamental pour l’histoire des idées. Celui du nationalisme.
Pour Weber, les grandes nations ne peuvent être que des bureaucraties, elles sont trop grosses pour être des démocraties. Par contre, c’est de l’affrontement de leurs cultures que naîtra la culture mondiale. Elles ont donc l’écrasante responsabilité de défendre au mieux leurs valeurs.

(Bizarrement, on retrouve cette théorie chez de Gaulle, ce qui laisse penser qu’elle était largement partagée.
La guerre aurait-elle été vue comme une sorte de jugement de Dieu, devant créer la culture mondiale, à partir des cultures les plus valeureuses, comme dans la mythologie germanique ? Cette civilisation avait un ennemi : le monde slave. Le texte ne dit pas pourquoi.)

Le scientifique et le politique
Le thème du livre, brièvement.
  1. La science fournit des solutions à des problèmes bien posés, elle parle de moyens, pas de fins. C’est à l’homme de trouver ce qui doit le guider. Une fois qu’il l’aura trouvé, la science lui dira comment l’atteindre.
  2. La question du politique c’est l’Etat, qui est un « groupement de domination », qui a « le monopole de la violence ». D’où le problème éthique du politique : son moyen d’action est la violence. Deux modèles possibles : une démocratie avec chef ou sans chef. La première est inspirée par un dirigeant « charismatique », la seconde est purement mécanique. Pour être un « chef » (donc un homme politique), il faut avoir de la volonté, savoir parler au peuple, posséder une « cause », et le sens des responsabilités par rapport à cette cause, mais aussi une capacité de recul et de prise de décision judicieuse. Il faut aussi combiner éthique de la conviction, l’éthique des valeurs, qui pave l’enfer de bonnes intentions, et éthique de la responsabilité, qui est naturelle au politique et qui justifie le moyen par la fin. Enfin, le « chef », le « héros », doit pouvoir « supporter l’échec de toutes les espérances ».
Comment voyait-il l’avenir, en 1918 ? « d’abord une nuit polaire »…

Max Weber, Le savant et le politique, La Découverte, 2003.

Compléments :

samedi 18 avril 2009

Changement : apprendre avec Obama

Depuis quelques semaines je commente des sources d’informations américaines, qui paraissent inquiètes quant à l’avenir des USA. J’étais curieux de savoir ce qu’en pensait The Economist.

Il y a accord. Oui, le gouvernement américain imprime de l’argent, oui les récents résultats « exceptionnels » des grandes banques sont conjoncturels et non récurrents ; oui, elles sont shootées au bonus et veulent rembourser l’aide de l’état pour pouvoir les toucher à nouveau ; Non, ce serait une mauvaise idée de le faire : elles ne sont pas guéries, et croire en leur bonne santé pousserait dans la tombe leur concurrentes. Mais on n’en tire aucune conséquence, seulement que la reprise sera longue et douloureuse.

À quelque chose malheur est bon. Je dis souvent qu’apprendre la conduite du changement c’est principalement apprendre à connaître les erreurs qui tuent le changement. Le gouvernement Obama nous donne une leçon :

La réforme des banques : l’exemple type du changement

Le problème qui se pose aujourd’hui au gouvernement américain (et au monde), c’est que l’économie des USA est aux mains de grandes banques qui sont en faillite inavouée, qui ont un comportement extrêmement dangereux (il est à l’origine de la crise), et qui ne cessent de grossir, rendant leur faillite inacceptable.

Le gouvernement doit donc réformer cette culture. Il pouvait le faire par la force, par nationalisation, et en remplaçant leur personnel (« nettoyage ethnique »), ou en les aidant à trouver un nouveau comportement qui ne compromette pas l’avenir de la planète. Ce comportement, évidemment, ne peut être imposé. C’est cela que l’on appelle un « changement ».

Bush et Paulson : l’erreur du débutant

Devant l’ampleur des dégâts qui s’annoncent, le précédent gouvernement décide de sauver son système financier. Avant qu’il le lui demande. Erreur : sauver quelqu’un contre son gré fait de lui un ennemi mortel. Leçon que la vie nous apprend.

Mais l’erreur est plus grave. Il a raté la possibilité de changer les banques. Une culture ne peut changer que si elle est soumise à une « anxiété de survie », et si on l’aide à combattre son « anxiété d’apprentissage ». Autrement dit sans crise, il n’y a pas de changement, c’est une leçon essentielle. Dès que la culture à réformer perçoit une crise, elle est ouverte à l’aide extérieure et prête à suivre ses recommandations pour peu qu’elles sachent le faire, et qu’elles ne lui soient pas inacceptables.

Obama et Geithner : on persévère

Le gouvernement Obama hérite de banques dangereusement fragiles, mais sur lesquelles il n’a plus aucun pouvoir. Nouvelle erreur de débutant : le passage en force. Pour satisfaire l’opinion, il s’en prend aux bonus des banquiers. Or, le bonus est, comme le rappelle The Economist, le principe même sur lequel une société comme Goldman Sachs s’est construite. C’est comme si on privait l’homme d’air. Et alors se passe ce qu’il se passe toujours dans ce cas : Goldman fait dire à la loi l’exact opposé de son esprit.

Quand on est face à plus fort que soi, on n’a qu’une solution : le judo. Entrer dans sa logique (celle du bonus), pour l’amener à réaliser le bien collectif. Ce qui n’est pas facile, je le concède.

Obama, Geithner et Bernanke : on s’enfonce

Que faire lorsque l’on n’a pas ce talent ? « Innover » selon la définition de Robert K.Merton. Tricher avec ce en quoi on croît le plus. Dans ce cas la victime est la démocratie. Sachant que sauver les banques est impopulaire, le patron de la Réserve fédérale et le ministre des finances font appel aux ressources de leur génie pour trouver de l’argent qui ne demande pas l’approbation du congrès.

Cela peut bien signifier violer quelques principes économiques. Généralement les économistes préfèrent les subventions publiques aux subventions cachées. M. Swagel dit que le Trésor en est venu à réaliser que sous-évaluer l’assurance des actifs bancaires soulevait moins d’opposition politique que surpayer ces actifs, justement parce que l’assurance est moins transparente. Le trésor se repose aussi sur la Réserve fédérale pour financer les actifs non liquides en imprimant de l’argent, parce que cela ne demande pas l’approbation du congrès (même si cela compromet l’indépendance de la Réserve fédérale).

Ils font ce que l’on reproche aux banques et à Enron : ils détournent l’esprit des règles de la démocratie pour faire ce qu’ils croient bon. Plus exactement, ils ne savent pas si c’est bon, mais ils ne voient pas comment faire autrement. C’est exactement pour cela qu’il n’est pas intelligent d’avoir débranché les mécanismes démocratiques : l’homme seul est idiot, le groupe est intelligent.

En tout cas, je me perds en conjectures quant à la probité intellectuelle d’un Obama, qui n’a que « démocratie » à la bouche et qui la trompe à la première occasion.

Et nous là dedans ?

Jean-Noël Cassan avait exhumé les travaux d’un « think tank » qui estimait que l’on allait vers des émeutes armées (ce qui avait été repris par le Monde). J’en doutais. Une fois de plus il est possible que j’aie eu tort. Dominique Moïsi, de Harvard, fait un parallèle entre la France de 89, et les USA d’aujourd’hui. La situation n’est peut-être pas aussi explosive, mais les paysans français n’étaient pas équipés de fusils d’assaut…

Si je suis cohérent avec moi-même, je crois que la seule option que nous ayons est de laisser l’Amérique apprendre de ses erreurs. Le jour où elle y sera disposée nous pourrons peut-être lui donner quelques conseils. En attendant, il faut les chercher, et, surtout, réfléchir à comment ne pas être entraîné par elle. (à suivre)

Compléments :

Capitalisme de Berlusconi

RFI, hier : M.Berlusconi, pour encourager la croissance italienne voulait encourager le permis de construire devant le fait accompli (une coutume locale), et relâcher les normes de construction, notamment antisismiques. Un tremblement de terre le force à modifier la loi.

Notre capitalisme appelle « innovation » l’ignorance des lois de la société ou de la nature. 2 autres exemples :

  • Lait frelaté chinois. L’offre ne peut suivre la demande. Pour y parvenir on met des additifs divers dans le lait. Mort d'un nombre inavouable de nourrissons.
  • Bulle financière. Afflux d’investissements des pays émergents en Amérique. Les placements sont épuisés, on invente du « placement sûr ».

Le capitalisme a un étrange effet sur l’homme. Non seulement il nous fait perdre tout sens commun, mais il nous pousse à tuer père, mère, enfant, science et société pour la gloire d’indicateurs stupides tels que « taux de croissance ». Pourquoi nous être donné des dieux aussi ridicules ?

Compléments :

Google trends

Google trends donne le graphique du nombre de recherches portant sur un mot donné, au cours du temps. Je fais une recherche sur 4 mots, aux USA :

  • Deflation : pic fin 2008, Depression, un peu plus fort ces derniers temps, Recession beaucoup plus fort depuis 2 ans.
  • Hyperinflation : apparition récente.

Pas de tendance très nette sur ces dernier mois.

Qu’en déduire ?

vendredi 17 avril 2009

Langage de la raison

Heidegger semble avoir pensé que le grec originel était le langage de la raison, ou de l’être, de la vérité ultime en tout cas, et qu’il fallait le recréer en Allemand. Et si le langage de la raison avait été le français des Lumières ?

Je lis Rousseau et je suis frappé par l’élégance de ses démonstrations, la vérité sort de la plus naturelle des conversations. Même impression chez Madame de Sévigné, le duc de Saint Simon, le cardinal de Retz, Montesquieu. Le français a-t-il atteint, aux 17 et 18ème siècles, une forme qui a fait croire que l’on pouvait résoudre les problèmes les plus difficiles par son simple usage ? Son exercice permettait-il de penser par l’écriture ?

Le miracle s'est évaporé avec le 19ème siècle. Tocqueville me semble avoir perdu l’élégance de la technique, et Chateaubriand avoir puisé sa gloire dans sa vulgarisation. De moyen d’introspection, la langue est devenue moyen de briller ?

C’est pourtant une jolie chose que de savoir écrire ce que l’on pense.

Heidegger pour les nuls