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dimanche 31 août 2008

Obama ou McCain ?

Phyrezo m’expédie une phrase d’Obama qui illustre les idées fixes de ce blog. Ça m’amène à me poser la question : que penser de ces élections ; pour qui voter ? Ce qui ressort d’un bien mince vernis culturel :
  • Aucun parti n’a la « bonne solution », ce qui fait qu’une démocratie fonctionne, c’est une confrontation d’idées. Un mauvais choix peut être corrigé par l’alternance des partis. Ou parce que l’un tend à emprunter à l’autre. De toute manière le pouvoir présidentiel est beaucoup plus faible aux USA qu’en France. Et le Président, souvent choisi pour son rayonnement, y écoute ses conseillers, choisis pour leurs compétences.
    Certes, mais pour beaucoup le précédent choix était une erreur, et il serait bien de ne pas persévérer…
  • L’image traditionnelle des partis américains : d’un côté le démocrate est un grand bourgeois, un intellectuel pétri de bons sentiments, mais coupé de la réalité ; de l’autre le Républicain, même s’il est riche, est proche des valeurs de l’Amérique profonde (c’est typiquement Clint Eastwood).
  • Obama est la caricature du démocrate. Sa force, évidemment, c'est son charisme. Il parle bien. Mais est-ce suffisant pour bien diriger un pays ? On lui reproche son inexpérience et son arrogance. Et s’il se mettait à penser qu’il est le seul à avoir raison ? Va-t-il avoir la souplesse et la diplomatie qui sont l’essence de la politique ? Il semblerait qu’il soit considéré comme une « start up » par la Silicon Valey : de grosses chances d’échec, mais s’il réussit ce sera énorme ?
  • Quant à McCain, il était originellement très à gauche des Républicains. Depuis il est parti à l’extrême droite. En reniant beaucoup de ce qu’il avait dit avant. Son image d’homme droit et intègre a été écornée. The Economist, pourtant fervent supporter, est inquiet : « Tout cela sonne trop comme Bush 3 ». McCain rappelle George Bush, la détermination en plus. Il semble disposé à régler les différends internationaux par la force (l’Iran) ; il va certainement creuser un déficit déjà très préoccupant ; ses positions morales sont extrêmes.
Conclusion ? On juge l’ouvrier au pied du mur. Il est impossible de savoir ce que peut donner un homme dans une situation qu’il n’a pas rencontrée. Rien de ce qui arrive dans un changement ne peut être prévu.
Par contre, il semble probable que la conjoncture internationale ne va pas s’apaiser. Plus que jamais, je crois que le Français doit prendre son sort en main. (Martin Hirsch : leçon de changement)

Compléments :

Au secours, mon patron est un fonds d’investissement

Article du Monde du 5 octobre 2006 : Mon patron est un fonds d’investissement. « Les salariés commencent à se mobiliser contre ce nouveau patronat sans visage ». Il conclut « Mais (les fonds d’investissement), nouveaux maîtres du capitalisme mondialisé, pourront-ils se soustraire longtemps à leurs responsabilités sociales ? ». Avant d’avoir peur d’un fonds d’investissement, il faut comprendre comment il fonctionne.
  • Pour qu’un fonds veuille acheter une société, il doit repérer une grosse plus value. En général, il cherche du simple et de l’évident : par exemple un groupe constitué de PME qui n’ont pas fusionné (pas d’exploitation de synergies, d’ailleurs elles se concurrencent !). Pourquoi en est-on là ? L’ancien management n’a pas fait son travail. C’est l’incapacité au changement de l’entreprise française qui la rend une cible idéale pour l’investisseur.
  • Pour que le fonds achète une société, il faut qu’on la lui vende. Et on la lui vend, plus souvent qu’on ne le croit, parce qu’on ne sait pas la réformer. On demande au fonds de faire « le sale boulot ».
  • À ce point le fonds nomme un dirigeant, et lui demande d’obtenir la rentabilité calculée. Or, faute de pratique des réorganisations, le dirigeant français est maladroit (Pourquoi le changement peut tuer).
  • Et, alors qu’il a besoin d’aide pour ne pas commettre l’irréparable, que font les syndicats et le personnel ? Comme dans l’article du Monde : résistance. Bain de sang assuré.
Une autre solution.
  • Les calculs du fonds sont justes, car grossiers : l’entreprise est évidemment sous efficace. Ce qui signifie que si elle ne se réforme pas, elle va disparaître à court ou moyen terme.
  • Les gains et les intérêts étant colossaux, le fonds est prêt à beaucoup pour que tout se passe bien. Or, par rapport à ces enjeux, ce qui rend les salariés heureux, y compris les licenciés, est petit.
  • Dans ces conditions le rôle du syndicat est de faire réussir le plan, en échange du maximum qu’il peut obtenir pour les salariés. Or, c’est des employés que dépend la réussite de l’opération. En effet, le dirigeant, et surtout le financier, n’ont qu’une idée abstraite des réformes à effectuer. Sans le personnel, ils ne peuvent pas faire du très subtil. Mieux : le personnel a souvent repéré des dysfonctionnements majeurs, que personne n’a vus. Il est en position de force. Pourquoi ne se sert-il pas de sa force, pour en tirer des avantages ? Bizarrement ça rassurerait le fonds : il y trouverait des interlocuteurs qui parlent sa langue. Devise du syndicat d’une entreprise italienne rencontrée il y a quelques années : « flexibilité oui, licenciement non ». L’entreprise était redoutablement performante. Pourtant son personnel était bien payé. Pourtant son marché était un « coupe gorge ».
L’arrivée d’un fonds d’investissement peut être une chance. Il y a beaucoup d’argent à gagner. Il ne peut être gagné sans le secours de ceux dont dépend la vie de l'entreprise (les salariés), et il ira à ceux qui auront su démontrer leur utilité et monnayer leur aide.

La Chine a le vent en poupe

Arvind Subramanian compare les modèles chinois et indiens. Tous les deux sont partis pour une croissance soutenue : ils exploitent un filon qui n’est pas prêt de s’épuiser.

La réussite internationale du capitalisme indien (très supérieure à celle du capitalisme chinois) masque une dégradation catastrophique des institutions du pays. Construire des institutions est long et difficile ; développer l’entrepreneuriat n’est qu’encourager un penchant naturel.
Arvind Subramanian est inquiet pour l’Inde. Il est confiant en l’avenir chinois.

Compléments :
  • La démocratie est en péril.
  • Malheureuse Inde cite un article faisant un constat similaire : l’Inde est dans une situation dramatique en dépit d’une démocratie exemplaire.
  • Ce débat démocratie / dictature me semble bizarre : que ce soit la France, l’Allemagne ou le Japon, chacun de ces pays a transformé d’une manière dirigiste sa culture pour l’amener où elle se trouve aujourd’hui. L’Angleterre, qui a été le moteur de cette transformation mondiale, et donc nous a imposé sa culture, ne me semble pas faire exception (elle a été « mercantiliste »). L’Amérique, l’Australie, le Canada… n’ont pas eu à opérer de transformation culturelle. D’ailleurs, en période de changements accélérés (guerres), ils sont dirigistes. La question est plutôt de savoir à quoi ressemblera une Chine triomphante.

Comment être condamné à mort?

Aux USA des chercheurs ont assemblé toute l’information qu’ils pouvaient trouver sur les caractéristiques des condamnés à mort. De là ils ont déduit des règles expliquant ce qui faisait que certains d’entre eux étaient exécutés, d’autres non. Puis ils ont fait des prévisions concernant la population en attente d’exécution. Précision de la prévision : 92%. Meilleur facteur d’explication : le niveau d’études. La gravité du crime ne semble pas entrer en jeu.

Pour trouver ces règles, ces chercheurs ont probablement employé des « algorithmes neuronaux ». Ce type d’algorithmes commence à être utilisé de manière usuelle par l’industrie, notamment pour la mise au point de processus de production. Appliqués au comportement humain ils donnent des résultats inattendus. Par exemple Augustin Huret, fondateur de Pertinence, a fait une étude sur ce qui expliquait les fermetures de centrales nucléaires. Facteur principal : présence d’écologistes à proximité. (PS. Depuis, j'ai appris que l'algorithme de Pertinence n'était pas de type réseau neuronal. En tout cas, il produit des règles.)

Ne pourrions-nous pas utiliser ces techniques pour vérifier, systématiquement, l’efficacité de nos institutions ?

Compléments :
  • John Kerry, ancien candidat à la présidence des USA, a fait remarquer à des lycéens que s’ils ne travaillaient pas bien, ils finiraient en Irak. Sa remarque a offusqué. Elle pêchait surtout par optimisme.
  • GREENEMEIER, Larry, Who Will Die, Scientific American, Septembre 2008.
  • Sur les premières applications des algorithmes neuronaux, dans les années 80 : WALDROP, Mitchell M., Complexity: The Emerging Science at the Edge of Order and Chaos, Simon and Schuster, 1992.
  • Augustin Huret a quitté Pertinence, maintenant dirigée par Amélie Faure. La société a été acquise par un éditeur américain il y a peu. Amélie Faure, France et innovation.

samedi 30 août 2008

Dictature du dirigeant inquiet

La note précédente me rappelle un article (KANTER, Rosabeth Moss, Power failure in management circuits, McKinsey Quaterly, été 1980) que j’avais utilisé, dans les années 90, pour sensibiliser la direction de Dassault Systèmes à un mal qui semblait la menacer. Voici, en gros, ce que dit l’article. Le pouvoir n'est pas inné, il résulte de plusieurs facteurs :
  1. organisationnels (capacité à obtenir de l'extérieur ce dont a besoin une organisation, accès à l'information, soutien par l'organisation) ;
  2. productifs (position stratégique dans l'entreprise, alliances…).

Celui qui a ce pouvoir est efficace, celui qui en est dépourvu devient un oppresseur.

Ainsi les managers de première ligne sont souvent privés de pouvoir du fait de leur position dans la hiérarchie. Ils deviennent tatillons, gardent le savoir pour eux. De mêmes les consultants internes de l'état major se trouvent parfois dans un cul-de-sac. Leur réaction ? S’isoler encore plus, créer des poches de conservatisme.

Un dirigeant peut aussi être impuissant. Exemples : une crise économique le montre incapable de réaliser ses promesses ; son isolement (souvent dû à un management qui fait écran aux mauvaises nouvelles) le coupe de l'information et des préoccupations de la société ; l’entreprise, influencée par d'autres acteurs (syndicats...), combat ses décisions. Alors, il tend à s'agripper à tous les lambeaux de pouvoir qu'il peut trouver, ne s'occupant plus que de tâches de routine à court terme. Il transforme ainsi ses subordonnés en pions. Au lieu de chercher à innover, on réduit les coûts. La vie de l'entreprise s'arrête : c'est la dictature.

Le seul moyen d'éviter la corruption de l'absence de pouvoir est de le partager, de déléguer des responsabilités à tous les membres de l'entreprise et de leur apprendre comment en faire bon usage. Peu d'entreprises choisissent cette solution. Elles sous-estiment les capacités de leurs employés.

Pyramide d’Hauser

François Hauser est directeur associé de Neoxia. Il a trouvé une image frappante pour parler d’un des maux de l’entreprise.

Il compare la hiérarchie d’une entreprise à une pyramide. Le haut de la hiérarchie est surchargé de travail opérationnel.

Résultat : les niveaux inférieurs ne peuvent plus faire que de l’opérationnel, l'exemple vient d'en haut. Plus personne n’a de recul. L’entreprise vit au jour le jour. Elle se laisse surprendre par le moindre aléa. Exemple : départ inattendu d’un cadre important. On n’avait pas vu enfler son mécontentement.

La solution ? Donner des responsabilités aux niveaux inférieurs de la hiérarchie. Créer, par exemple, des business units autonomes. De ce fait, le top management serait ridicule s’il ne voyait pas plus loin que ses équipes. Il se dégage de l’opérationnel.

De l’égalité des revenus

L'avenir du monde est-il à l'égalité des revenus ?

Governing the commons me pose une question. Elinor Ostrom observe qu’une bonne gestion des biens publics tend à faire que ceux qui y participent retirent du bien en proportion de ce qu’ils apportent à son entretien. Si l’entreprise est administrée comme un bien commun, cela signifie-t-il que les écarts actuels entre salaires sont condamnés à se comprimer massivement ?

Chaque homme doit recevoir un prix juste pour ses efforts

Adam Smith semblait pencher pour quelque chose de ressemblant. Pour lui chaque ressource, et le travail de l’homme en premier lieu, avait un « prix naturel » (plus exactement, peut être, un prix juste). Pour l’homme il dépendait notamment de ses compétences. Le marché tendait à établir naturellement ce prix, puisque celui qui n’était pas content du traitement qu’on lui réservait pouvait aller chercher ailleurs.

C’était utopique : le samouraï au chômage n’a rien de mieux à faire que se suicider (Hara-kiri), l’artiste en surnombre devient un « intermittent du spectacle »… On a observé que les Européens de l’Est partis en Angleterre reviennent chez eux dès qu’ils peuvent y obtenir un salaire qu'ils jugent correct. Or il est largement inférieur à celui reçu en Angleterre. Par un facteur 4 ou 5 ! Notre formation (Thorstein Veblen parlait de « trained incapacity »), les structures de la société (la langue que l’on parle, etc.), nos préférences (qui résultent de notre culture)… font mentir Adam Smith. Au moins à court terme.

Les bas salaires de l'entreprise performante sont élevés, les écarts se compriment

Je passe beaucoup de temps avec des entreprises qui ont trop tardé à changer. Généralement elles doivent gagner de l’ordre de 20% en productivité (produire autant avec 20% d’effectifs en moins), parfois 50%. Et elles ont quelques semaines pour trouver une solution convaincante. Mes observations :
  • Une fois la phase de résistance passée (« c’est impossible »), chacun « dénonce » son collègue : c'est lui l'inefficace. La critique donne de sérieuses pistes.
  • Puis on découvre que, telle que, l’organisation ne peut pas faire ce qu’on lui demande. Il faut la transformer. On fusionne des services. On combine des fonctions. Par exemple, une entreprise donne à ses veilleurs de nuit la supervision de ses réseaux (jusque-là réalisée par des prestataires) ; une autre utilise pour certains achats ses commerciaux (plus besoin d’acheteurs). On élimine au maximum le haut de la hiérarchie, très coûteuse (en faisant diriger deux usines proches par un seul management...). On y parvient en donnant aux opérationnels des tâches fonctionnelles : management, contrôle de gestion, qualité… Ceci est facilité par ce que le nombre de niveaux hiérarchiques est énormément réduit : le management voit le détail de l’organisation.
On aboutit finalement à des organisations à faible nombre de niveaux hiérarchiques, ayant des personnels très qualifiés, et relativement bien payés. Par exemple, un groupe étranger qu’une concurrence féroce a amené à ce modèle, voulait recruter des Bac+4 pour ses usines. Ça n’a pas marché, non à cause du salaire, mais parce que cette population ne pouvait accepter un travail d’ouvrier. La société a embauché des personnels peu formés, qu’à l'époque où je l'ai rencontrée, elle avait du mal à faire progresser.

Dans l'entreprise performante la répartition de revenus paraît juste

Une mission : 
  • Une restructuration après l’euphorie de la bulle Internet. Elle semblait impossible. La transformation était tellement énorme (inconcevable avant que je la chiffre), que chacun a compris qu'il n'était plus question de défendre son intérêt personnel, qu'il n'y avait pas d'issue sans travail de groupe.
  • J’ai utilisé, pour guider le travail de la société, un business plan détaillé de l’organisation. Du coup chaque unité s'est trouvée sous le regard des autres.
  • À la fin de l’opération l’entreprise était méconnaissable. Surtout, ses « organes » paraissaient sous une pression uniforme. Il n’était pas possible de chiffrer les contributions individuelles pour connaître leur efficacité relative, mais il me semblait qu'il y avait quelque chose de « juste » ici. L’entreprise me faisait penser à une équipe de football. Mesurer quantitativement la contribution d’un joueur à son succès est illusoire, cependant l’équipe « sait » si un de ses joueurs est faible ou non, s'il donne tout ce qu'il a ou non. Je crois qu’il en est de même pour une entreprise efficace.

Quant aux revenus, je ne crois pas qu'il y ait de pression à la baisse, ou à l'égalisation : on s'assure simplement qu'il n'y a pas d'excès flagrant par rapport à ce qui se pratique ailleurs, ou, plus exactement, de déséquilibre entre les rémunérations des uns et des autres, par rapport aux prix du marché. Les revenus générés par l'entreprise sont répartis d'une manière qui paraît juste, eu égard à ce qui se pratique ailleurs.

Références :

  • GROSSACK, Irvin M., Adam Smith : His Times and Work, Business Horizons, Août 1976.
  • Les immigrés de l’est : A turning tide?, The Economist, 26 juin 2008.

vendredi 29 août 2008

Martin Hirsch : leçon de changement

La chronique de Favilla des Echos d’aujourd’hui admire les talents de manœuvrier de Martin Hirsch, homme de gauche entré dans un gouvernement de droite pour y promouvoir une loi de gauche.
  • La technique utilisée est fondamentale dans tout changement : le comportement d’un groupe est dirigé par des « hypothèses fondamentales », inconscientes. Pour changer, il faut éviter celles qui sont inamicales et se faire propulser par les favorables.
  • Ici, il fallait installer un revenu minimal pour quelques millions de pauvres. Martin Hirsch a montré, semble-t-il, l’intérêt de la mesure comme encouragement à la reprise du travail. Comme moyen de « gagner plus pour travailler plus », selon l’expression de notre Président.
Attention. Ce n’est pas une anecdote innocente. C’est un tremblement de terre. C’est une rupture avec nos usages les plus exaspérants. Jusqu’ici le Français « dénonçait », il insultait ses adversaires, donnait des ordres à l’Etat. Bien sûr, rien ne se passait. Résistance au changement. Complot de la médiocrité. « Ah si l’on tuait tous les cons ! ». Mais il avait fait son travail. Il pouvait dormir tranquillement. Et c'est pour cela que la France est immobile. Mais, comme la Chine, elle doit s'éveiller. Sinon s'en sera fini d'elle et de ce pourquoi elle a vécu. Eh bien, j’ai l’impression que Martin Hirsch est un mutant, ou plutôt un « hybride », selon la terminologie des sciences du changement. Il a compris que la France de l’assisté c’était fini ; que le Français devait arrêter de râler, et prendre son sort en main ; et qu’impossible n’est pas Français. J’espère qu’il sera imité.

Considérations annexes :

500 millions de pauvres en moins depuis 1981

La Tribune du 28 août (à laquelle j'ai emprunté mon titre) dit qu’entre 1981 et 2005 le nombre de pauvres dans le monde a baissé. Mais moins que prévu.
  • Mais en Asie du sud-est la proportion de pauvres est passée de près de 80 à 18% ! Chine : de 835 à 207m ! Ce qui signifie qu’ailleurs la pauvreté augmente fortement.
  • Et ces chiffres ne prennent en compte que la richesse économique, et non la détresse sociale (le petit trafiquant vit au dessus du seuil de pauvreté), dont parle la note précédente.
Justification de la thèse d’Harald Welzer (La démocratie est en péril) ?

Utilité économique de la famille

L’efficacité économique de l’homme est fonction de l’environnement social de sa petite enfance. Voici ce que dit un article de James J. Heckman :
  • Pour que l’homme réussisse dans la vie il ne doit pas avoir que des capacités intellectuelles, il doit avoir des aptitudes sociales. L’explosion du tissu social (et de la famille) dont les USA ont été le théâtre a produit un très grand nombre d’inadaptés. Des gens parfois supérieurement intelligents, mais incapables de terminer leurs études, de trouver un emploi, de vivre en famille… Coût économique énorme pour la société.
  • Paradoxalement, éviter le plus gros des dégâts demande un faible accompagnement, mais il doit arriver tôt dans l’histoire de l’enfant.
Compléments :
  • À rapprocher d’un article sur l’Angleterre (Island savages, The Economist, 10 juillet 2008) ? Le nombre d’agressions par personne y est 3 fois celui de la France, et plus de 6 fois celui de l’Italie, mais avec un nombre de meurtres dans la moyenne européenne (moins du tiers de celui des USA). Explication : les agresseurs sont des « amateurs », ils ratent leur coup.
  • Un jeune dirigeant de cabinet de conseil est issu du neuf trois. Il m’a raconté l’histoire d’un de ses amis qui répondait à la description de l’article : quelqu’un d’exceptionnellement intelligent, mais qui rate tout. Inexplicablement. Nouvel appui à la thèse d’Harald Welzer (La démocratie est en péril? Face à un régime démocratique qui ne s’occupe pas bien d’elles, les communautés les plus menacées sont en droit de chercher un secours ailleurs ?…

Le talent de GM : la communication

Hervé Kabla admire le blog de crise de GM. Je le trouve aussi intéressant :
  • L’entreprise a le choix entre deux possibilités : soit elle va vers le marché, soit elle amène le marché à elle. General Motors a beaucoup de mal avec la première. Elle a donc choisi la seconde. Ce qui explique peut-être pourquoi elle demande de l’argent à l’Etat plutôt qu’au marché (Cinquante milliards pour GM, Ford et Chrysler) : ce dernier en est resté aux bons vieux business plans qui parlent d’innovation technologique.
  • On a là la raison pour laquelle les universitaires anglo-saxons parlent autant de changement. Avec autant de désespoir dans la voix. Et depuis aussi longtemps. L’entreprise américaine est bureaucratique (Faisons danser les dinosaures), elle est incapable d’évoluer, de s’adapter à la transformation qui est le propre de notre monde : la « destruction créatrice » de l’économiste Schumpeter (Amazon et Destruction Créatrice).
  • Comme le disait Schumpeter, cette transformation est une force de remise en cause tout aussi efficace que la concurrence directe, fondement de la théorie économique classique. D’autant plus que, comme GM, l’entreprise finit toujours par se soustraire à la concurrence.
On a aussi là la raison de l’excellence américaine en communication : une bonne propagande, rien de mieux pour rendre prévisible le marché.

jeudi 28 août 2008

Dilapidation de rente

Governing the commons dit que la « tragedy of the commons » conduit à une « dilapidation de la rente » que fournissait le bien commun. Rente ? Cela signifie monopole ? J’ai assimilé l’entreprise à un bien commun, l’entreprise serait-elle en monopole ? Oui.
  1. La concurrence réduit les entreprises d'un secteur à un oligopole.
  2. Le même mécanisme qui conduit à une saine gestion des biens communs amène les entreprises de l'oligopole à élaborer des règles de bonne compagnie. Résultat : pas de concurrence. Et ce sans avoir à se parler (ce que la loi réprouve) !
Bizarre ? Non : si des milliers d’individus arrivent à s'entendre (Governing the commons), ce doit être vraiment facile pour 3 ou 4 sociétés ! Ces sociétés se partagent donc un « bien commun », un monopole. Autre moyen de vous en rendre compte : si vous êtes à l’intérieur de ces entreprises vous recevrez un gros salaire, si vous êtes à l’extérieur vous crèverez de faim. Et ce indépendamment de votre talent. L’employé est un rentier.

Jacques Delpla : la rente est le mal absolu, elle vient d’un « privilège » ; tout privilège doit être éradiqué. Mais en a-t-il contre une rente qui rapporterait équitablement à l’humanité? Ou contre ceux qui exploitent leur possession en égoïstes et sans considération pour la société ? D'où la question : que faire avec une rente gênante ?

Stratégie 1 : « tragedy of the commons »

Exemple de la Révolution industrielle, en Angleterre.
  1. Les biens communaux sont transformés en biens privés (enclosures). C’est de là que vient « tragedy of the commons », qui signifie « tragédie des biens communaux » plutôt que des « biens communs ».
  2. Les corporations qui formaient les artisans et défendaient leurs droits sont interdites.
Ces deux manœuvres produisent une main d’œuvre non qualifiée, et affamée, la « classe ouvrière », nécessaire au fonctionnement des machines qui apparaissent à cette époque. On a dissout la communauté qui gère le bien commun, en désorganisant les règles qui la maintiennent ensemble. Jacques Delpla n’aimerait pas cette stratégie : la dissolution d’une rente en a nourri une autre, et a fait perdre à la société une partie de sa richesse, le savoir-faire des artisans, accumulé depuis des siècles. Un « capital social », selon l’expression d’Elinor Ostrom.

Stratégie 2 : faire grossir le bien commun pour inclure deux populations de rentiers

Une autre possibilité est d'agrandir le gâteau, pour en faire profiter ceux qui ne pouvaient y goûter. Comment ? Négociation. Principe : passer « du face à face au côte à côte ». Chaque négociateur dit ce qu’il cherche, et l’autre essaie de l’aider en lui apportant ce qu’il est seul à posséder, mais qui lui coûte le moins possible. Ce qui est inattendu est qu'à la fin chacun a beaucoup plus qu’avant, mais sans avoir donné quoi que ce soit d’important : c’est le principe de l’échange : vous donnez ce qui ne vous sert à rien contre ce qui vous est utile. Ceux qui sont en dehors du gâteau ne viennent pas les mains vides : ils apportent de nouveaux ingrédients. Ainsi on constitue un nouveau groupe « s'auto-administrant », par des règles acceptées par tous, un bien commun élargi.

Sur ce sujet :
  • Portrait du Français en privilégié et Jacques Delpla et la Commission Attali
  • THOMPSON, E.P., The Making of the English Working Class, Vintage Books USA, 1966.
  • Dans mon dernier livre (transformer les organisations…), j’explique le mécanisme de la négociation, et le prend comme exemple d’ordinateur social élémentaire (puisqu’il ne touche que deux personnes). La théorie générale de la négociation (d'où je tire le face à face et le côte à côte) : FISHER, Roger, URY, William L., Getting to Yes: Negotiating Agreement Without Giving In, Penguin, 1991.
  • Dans mon premier livre (L’effet de levier) se trouve une technique, rustique et efficace, que j’ai utilisée plusieurs fois pour faciliter la fusion d’entreprises. Elle fonctionne suivant le principe précédent (sans que l’on s’en rende compte : elle marie les processus des deux sociétés).

Sécurité 2.0 ?

Daniel Cohen fait une synthèse des causes de la crise actuelle. Et nous donne rendez-vous à la prochaine. C'est inquiétant. Que faire pour que ce soit la der des der ?

La crise est une question d’aléa moral. D’hommes isolés, qui ne savent pas comment traiter les questions auxquelles ils sont confrontés. Le meilleur choix qu’ils aient alors est de « jouer perso ». C’est mauvais pour la société. Et finalement pour eux.

Bel et bon. Mais comment retaper le tissu social, dans la situation actuelle ? Des idées (question du contrôle des financiers) :
  1. Contraindre par la loi ne marche pas. C’est ce qu’Henri Bouquin, patron du CREFIGE de Dauphine, appelle le « paradoxe du contrôle de gestion » : vous imposez des règles, votre organisation va exactement à l’envers de leur esprit. Tout en les appliquant à la lettre.
  2. Le contrôle informel est le seul efficace. Ce n’est pas du flicage. C’est trouver un moyen qui permette à chacun de s’assurer, sans rien faire de particulier, par les hasards du cours naturel de sa vie, que le financier n’est pas pris de folie. Je pense qu’il y a quelque chose à creuser dans l'idée « d’Institut Pasteur du risque financier ». Il faut que des personnes décodent ce que font les organismes financiers, et expliquent simplement leurs découvertes. (Ce qui n’est pas impossible: certains experts ont vu apparaître les deux bulles à temps.) Puis, il faut que l’information frappe suffisamment de monde pour qu’il y ait contre-poids. Ma découverte récente des blogs me donne une idée : les experts sont devenus facilement accessibles, ils sont en réseau ; ils veulent atteindre un public étendu : ils ne parlent plus en équations (ou moins), mais en en Anglais. Un nouveau pouvoir ?
  3. Ce qui crée le risque, c’est l’homme isolé. S'il se trouve seul face à un problème complexe, il a la tentation de tricher. Non parce qu’il est malhonnête, mais parce que la question dépasse ses capacités. Rien ne peut le contrôler, sinon la collectivité. Il doit travailler en groupe. Les organismes financiers doivent combattre l’isolement.
Compléments :
  • Sur les crises et l’aléa moral : Crises et risque
  • Institut Pasteur : Institut Pasteur du risque financier
  • Quelqu’un qui a vu apparaître les bulles : SHILLER, Robert J., Irrational Exuberance, Princeton University Press, 2005.
  • Sur Henri Bouquin et le contrôle de gestion : Références en contrôle de gestion
  • Sur les techniques de contournement des règles : Perfide Albion
  • Sur les techniques d’auto-contrôle des communautés : Governing the commons
  • Sur l’importance que le financier ne soit pas isolé : Société Générale et contrôle culturel
  • L’homme seul souffre de biais systématiques dans son jugement. C’est ce qu’ont montré une série d’expériences de Tversky et Kahneman. Une introduction très bien faite : MYERS, David G., Intuition: Its Powers and Perils, Yale University Press, 2004. Le cas particulier du dirigeant : LOVALLO, Dan, KAHNEMAN, Daniel, Delusions of Success, Harvard Business Review, Juillet 2003.

Comment faire payer le banquier ?

Monde injuste : la finance mondiale s’est comportée de manière objectivement malhonnête, or, ce sont des innocents (nous tous) qui risquons de payer, très cher, ses malversations.

Charles Wyplosz, professeur d’économie au Graduate Institute de Genève, se demande comment se tirer du dilemme qui frappe l'Amérique (et indirectement le monde) :
  • soit le contribuable renfloue les organismes financiers coupables, et les encourage à persévérer dans l’erreur.
  • Soit ils paient pour leurs crimes et nous entrainent par le fond.
Il existe des précédents : les Japonais et les Suédois ont connu des bulles. Les Suédois ont sévi, leurs banquiers ont appris la leçon. Et ils n’ont pas été victimes des subprimes. Les Japonais ont été faibles. La crise a traîné en longueur, interminablement. Les pratiques se sont détériorées.

Alors, frappons en priant pour qu’il n’y ait pas de crise? Non : entre le knout et le laisser-faire, il y a la méthode « Bagehot » (du nom d’un économiste) : la banque centrale reprend les principales banques en faillite, exproprie l’actionnariat, licencie le top management. Le contribuable subventionne l’opération, mais peut y gagner si l’affaire est redressée. Les coupables sont punis, les risques majeurs pour l’économie écartés.

Il est aussi possible que quelques sanctions exemplaires apprennent beaucoup à ceux qui ont senti passer le vent du boulet. Les romains ne décimaient-ils pas les armées qui avaient failli ? Utile apprentissage pour le survivant ?

Références :

Pourquoi le changement peut tuer

Jean-Pierre est professeur honoraire d’organisation au CNAM (entre autres). Je lui ai parlé de ma note Le changement peut tuer, la dénaturation du Toyota Production System. Il a connu un phénomène semblable.

Il a beaucoup travaillé sur la technologie de groupe. Elle semblait promise à un bel avenir : elle résout un problème complexe (la fabrication de composants pour petite et moyenne série), et elle apporte des gains de productivité difficilement imaginables. Il y a eu suffisamment d’exemples de réussite pour s’en convaincre. Pourquoi nos entreprises n’en profitent-elles pas ? Parce que celles qui ont utilisé la technologie de groupe ont voulu s’en servir pour réduire leurs effectifs. Or, elle demandait de créer des « équipes autonomes » dont l'initiative était essentielle pour s’adapter à des flux de production hautement variables.

Je tente une explication pour cet échec. L’hypothèse Crozier – Tocqueville.

  • Chaque Français est dans une cellule indépendante, qu’il administre selon son « bon plaisir ». L’autre, ne suivant pas sa logique, est un ennemi. N’avons-nous pas envie de détruire ceux qui ne pensent pas comme nous ? Même les meilleurs d’entre-nous, ceux qui défendent les déshérités, les sans-papiers… ne rêvent-ils pas, au fond, de liquider ceux qui leur font obstacle ?
  • Or, notre vie en cellule ne nous prépare pas à diriger nos semblables. Lorsque nous voulons leur faire faire quelque chose de neuf, ça échoue. Résistance au changement ! Si seulement nous pouvions les remplacer, par des machines ou des étrangers...
  • En général, ça ne prête pas à conséquence, parce que la France est faite d’influences qui s’opposent. Nous sommes impuissants. Mais il arrive qu'un individu soit sans défense. Alors il est écrasé. C’est de plus en plus le cas du salarié. Et aussi celui du dirigeant, s’il tombe sous le coup de la loi, qui le présume coupable.
Il y a quelque chose d’irrationnel dans notre caractère. Quelque chose qui effraie l’étranger. Un exemple en est l’Inquisition : elle touchait peu de gens, mais l’individu qui tombait dans ses griffes n’avait aucune chance de s’en tirer. Une sorte de crise de folie qui frappe au hasard, et détruit ce qu’elle touche. Une crise de folie dont les auteurs sont parfois, c'était le cas de l'Inquisition, des gens intelligents qui oeuvrent pour le bonheur collectif.

Références :

  • Sur le sentiment d’effroi qu’inspire l’Inquisition : LEVY, Leonard Williams, The Palladium of Justice: Origins of Trial by Jury, Ivan R. Dee Publisher, 2000. Une étude de l’histoire du système de jugement américain.
  • Sur l’homme d’affaire et le droit français qui le présume coupable : MIELLET, Dominique, RICHARD, Bertrand, Dirigeant de société : un métier à risques, Editions d'Organisation, 1995.
  • Sur le bon plaisir : Portrait du Français en privilégié, Le bon plaisir de Michel Crozier.

mercredi 27 août 2008

Ronald Berger-Lefébure, Animateur du changement

Ronald Berger-Lefébure illustre-t-il un des rôles fondamentaux du changement : l’animateur du changement, le « donneur d’aide » ? Ce que m’inspire notre discussion de midi :
  • Les universitaires anglo-saxons (Kotter) pensent qu’il faut être un surhomme pour transformer une entreprise (le « leader »). Faux. Pour faire bouger une entreprise, il faut trouver quelqu’un qui sait la faire bouger. L’animateur. Celui qui a une « vision stratégique » n’a donc pas besoin de savoir la mettre en œuvre. Il y a des gens dont c’est le talent. Le rôle d’un P-DG est de définir une stratégie à long terme (et l’animateur – électron libre nourrit de ce qu’il voit la réflexion de ce dernier). Il doit aussi être sur les « gros coups ». Pour le reste, il doit construire « l’infrastructure humaine » qui fasse que ses décisions sont appliquées vite et bien.
  • Le talent de l’animateur consiste à être un « donneur d’aide » : quelqu’un vers qui l’on se tourne en cas de difficulté. Ronald me semble s’être ainsi placé, par rapport à ses équipes.
  • Qu’est-ce qui donne son pouvoir au donneur d’aide ? Pour faire correctement notre travail, nous avons besoin de ressources que ne nous donne pas l’entreprise. Exemple. Un commercial a besoin d’une démonstration du produit qu’il doit vendre ; personne de disponible. Il voit un coupable évident. Dans son for intérieur il le condamne. Ça ne va pas plus loin : critiquer n’est pas permis. Il est malheureux et frustré. Survient le donneur d’aide. Il réunit l’équipe : voulons-nous ce client ? De quoi avons-nous besoin pour cela ? À la fin de la réunion, une procédure de demande de démonstration est en place, et les ressources nécessaires. Qu’a-t-il fait ? Transformé le problème humain (une personne est accusée) en un problème organisationnel (qui concerne la société, mais personne en particulier). Le pouvoir du donneur d’aide vient de ce qu’il sait agir sur l’organisation pour en éliminer les dysfonctionnements. Paradoxalement 1) moins l’entreprise est efficace, plus il est fort ; 2) ce qu’il donne ne lui coûte rien.
  • Mais un donneur d’aide n’est pas un faible. Il met ses collaborateurs en face de leurs responsabilités. S’il les aide, c’est un coup de pouce, il ne se substitue pas à eux. Surtout, il les rappelle, gentiment mais fermement, au sens de leur devoir quand ils se laissent aller (principe de l’honneur).

Références :

La démocratie est en péril

« Devenant le grand perdant de la mondialisation, l’Etat entraîne aussi la démocratie dans sa perte. » Pascale Henninot me transmet un article inquiétant d’Harald Welzer (La démocratie occidentale, un avenir incertain, Le Monde, 15 août 2008).
  • Même dans les pays où elle est le mieux implantée, la démocratie est en doute (Harald Welzer cite l’Allemagne). Pourquoi ? Parce qu'elle prétend nous « assister », et qu’elle ne peut, ou ne sait, pas le faire, et qu’en plus elle est « arrogante » : le sort des pauvres devient intolérable (pays pauvres et pauvres des pays riches).
  • Le danger ? Qu’ils appellent de leurs vœux des modèles moins démocratiques, mais tout aussi efficaces économiquement (la Chine nous en est un exemple). Alors le totalitarisme n’est pas loin.
  • Que faire ? Passer d’une République d’assistés, à une démocratie directe. Si le peuple s’identifie à la démocratie, le danger est écarté.

Il y a du juste là dedans. Mais, pour la France, j’irai plus loin. Le grand changement qu'elle subit est celui de l’économie. La prise en main de notre sort ne doit pas être que politique, elle doit être économique. Nous devons faire réussir les entreprises auxquelles nous appartenons ; nous devons être entreprenants dans notre vie, aller chercher notre emploi et non attendre qu’il nous trouve ; si nous sommes dirigeants, nous devons penser expansion, avant de penser licenciement. Je passe d’entreprise en difficulté en entreprise en difficulté. La raison de la difficulté ? On a trop attendu. L'entreprise française est immobile. Pourtant, à chaque fois ces sociétés découvrent des solutions intelligentes qui leur permettent soit de se développer soit de recouvrer la santé, tout en aidant leurs licenciés à retrouver un emploi. Et ce n’est pas difficile. Ça demande un peu de travail, mais pas beaucoup de génie. Camarades dirigeants essayez au moins. N’avez-vous pas été sélectionnés pour vos capacités supérieures ?

Sur le même thème : Démocratie et changement (la difficulté d'adaptation au changement des cultures non préparées), De la liberté (plaidoyer pour la liberté de l'individu, et la démocratie directe), Louis XVI en leader du changement (les origines du modèle tuteur-assisté français).

Faisons danser les dinosaures

Deux notes de ce blog se contredisent :
  1. Dans l’une (Mesurer la capacité au changement d’une entreprise), utilisant la théorie des leaders / managers de John Kotter, j’explique que l’adaptabilité se mesure au nombre de « leaders ».
  2. Dans l’autre (Entreprise, bien commun), je dis que l’entreprise tend à s’auto-organiser. Pas besoin de leaders. Peut-être d’une cellule d’animation du changement, verticale.

La contradiction n’est qu’apparente. L’organisation de l’entreprise française et américaine est dite « bureaucratique ». Ce n’est pas une insulte. C’est un type de fonctionnement qui consiste à décider en haut, et à exécuter en bas. La bureaucratie a été vue comme ce que le progrès avait de mieux à proposer au monde au 19ème et à plusieurs moments du 20ème siècle. Notamment pendant quelques décennies de l’après guerre. La bureaucratie, c’est la raison qui éclaire l'humanité.

Ce modèle demande à avoir une tête capable de voir loin, et d’en déduire un plan optimal exécuté par ceux dont c’est le rôle.

Les scientifiques ont constaté il y a longtemps que l’avenir était imprévisible (c’est notamment la théorie du chaos). Mais les économistes et les hommes d’affaires ne les croyaient pas. Jusqu’aux années 70.

On a donc dû faire évoluer des bureaucraties, des populations de personnes qui se considéraient comme des exécutants. Et c’est un travail de titan. Et c’est pour cela que l’on est content lorsque l’on rencontre un « leader », qui sait rendre flexible une portion, au moins, de ce mammouth. C’est de là, je soupçonne, que vient la théorie de John Kotter. Mon expérience me fait l’approuver.

Cependant, souvent lors d’un changement, les « exécutants » découvrent que leur management apprécie l'initiative. Ils constatent qu’ils peuvent sérieusement améliorer l'agrément de leur travail. En éliminer les dysfonctionnements. On les félicite : c’était de là que venaient les difficultés de l’entreprise.

Du coup, ils apprennent à « s’auto-organiser ». Degré ultime de l’adaptation au changement ?

Considérations annexes :

  • Sur la bureaucratie comme principe d'organisation de la société française : CROZIER, Michel, Le phénomène bureaucratique, Seuil, 1971.
  • Sur la théorie du chaos, un petit livre : EKELAND, Ivar, Le chaos, Flammarion, 2002.
  • L'intuition que la raison peut nous conduire de manière imparable trouvait un fort appui dans la mécanique newtonienne. Or, Poincaré a montré il y a plus d'un siècle que celle-ci demandait une connaissance de conditions initiales parfaites. Les petits écarts sont susceptibles d'amplifications quasi infinies. Conséquence concrète : impossible de savoir si le système solaire n'éjectera pas une de ses planètes d'ici quelques centaines de millions d'années. PETERSON, Ivars, Le chaos dans le système solaire, Pour la Science, 1995.
  • Friederich von Hayek voulait convaincre les économistes du désespoir de leur quête positiviste. Faible réussite. CALDWELL, Bruce, Hayek's Challenge: An Intellectual Biography of F.A. Hayek, University of Chicago Press, 2005.

mardi 26 août 2008

Bill Gates au secours des pauvres

Bill Gates invente le « capitalisme créatif ». Il veut amener les grandes entreprises à consacrer une partie significative de leurs talents et de leurs revenus aux besoins des plus pauvres.

L’origine de l’idée.

Bill Gates est à la tête d’un fond caritatif colossal. Pourtant ça ne suffit pas pour guérir les misères de la terre. Le problème : le monde invente beaucoup de belles choses mais elles vont où il y a de l’argent. Or ce n’est pas forcément là que l’on en a le plus besoin (cf. les vaccins). Solution : les multinationales mondiales doivent concevoir une offre adaptée aux conditions économiques des pays pauvres. Comment les convaincre de s'intéresser aux besoins des pauvres ? Les gens veulent un sens à leur vie, les consommateurs aiment les causes nobles : les entreprises qui le suivront attireront les meilleurs employés, et feront de meilleures affaires que les autres, qui devront les imiter. Pour discuter du sujet, il a créé un blog où quelques économistes et le public débattent de l'idée. De cette discussion va être tiré un livre.

0 - Un problème mal posé ?

Bill Gates s’inscrit dans la culture philanthropique anglo-saxonne. Une culture qui veut que celui qui a réussi ait une responsabilité sociale. Distribuer la quasi intégralité de sa fortune est fréquent (ce fut le cas de Carnegie au début du siècle dernier). L’intuition de Bill Gates selon laquelle le capitalisme n’est pas que maximisation à court terme paraît juste : l’homme est un mouton de Panurge (ou « animal social »). Mais attaque-t-il le problème correctement ? Il ne le pose pas, il part d’une solution « le capitalisme créatif ». Il demande son avis à une petite communauté de personnes, qui se connaissent toutes, ont fait les mêmes études, appartiennent à la même culture. À l’époque où j’organisais des focus groups créatifs, mes panels étaient infiniment plus diversifiés que le sien. Et les problèmes que j’avais à résoudre étaient, comparativement, modestes. Ma contribution :

I - Suggestions pour le panel d’un prochain livre

Première idée : un peu de diversité.

  • Des disciplines scientifiques autres que l’économie. Par exemple des ethnologues, des sociologues, ou des historiens (au moins pour s’assurer que ce que l’on tente n’a pas échoué dans le passé).
  • Des cultures qui ne partagent pas le point de vue occidental (le Marxisme, par exemple, a énormément en commun avec les théories économiques les plus classiques).
  • Les ressortissants des communautés auxquelles s’intéresse Bill Gates, afin de connaître leur point de vue sur leurs besoins, et sur ce qu’ils aimeraient en termes d’aide.

Mais, sans attendre l ces gens, les notes précédentes de ce blog ont des choses à dire à Bill Gates :

II – Un problème bien posé est à moitié résolu

  1. Faut-il qualifier les populations décrites par les ethnologues (ou les explorateurs) de « pauvres »? Elles semblent souvent plus heureuses que nous, avoir moins de problèmes, de « complexes » au sens psychanalytique du terme. La pauvreté des nations serait-elle une déchéance récente ? Cette déchéance serait-elle la disparition du lien social ? Sont-elles devenues individualistes, comme nous, mais sans avoir eu le temps de développer le cocon qui nous protège ?
  2. La « Tragedy of the commons » (Governing the commons) explique peut-être cette dissolution. Nous avons imposé nos usages à des communautés qui en suivaient d’autres. Résultat : elles ont perdu les leurs sans comprendre les nôtres. Plus de règles, plus de communauté, sur-exploitation des ressources qui les faisaient vivre, misère. Donc, attention Bill Gates : les communautés pauvres doivent reconstituer leur « auto-organisation », toute intervention externe est potentiellement un danger (pas obligatoirement).
  3. Herbert Simon observe que l’apprentissage de l’homme est souvent une répétition accélérée du chemin parcouru par l’histoire. Que peuvent tirer les pays pauvres de notre histoire ? Notre entrée dans le capitalisme s’est faite par étapes. Nous avons construit des infrastructures (notamment de transport), formé nos populations, construit des industries, à l’abri de barrières protectionnistes (ce qu’Adam Smith appelait « mercantilisme » voir aussi OMC et Responsabilité de la Presse). Puis, une fois sûrs que notre avantage était sans égal, nous avons commercé sans barrières. Les pays pauvres doivent probablement refaire ce chemin, au sprint.
  4. Problème signalé par Norbert Elias : une organisation à l’occidental demande que les populations se reconnaissent dans une « nation », alors qu’elles sont fidèles à des « clans ».

Remarque : ces observations tendent à montrer que la Grameen Bank de Muhammad Yunus est bien pensée. Elle aide une communauté « pauvre » à assimiler les concepts du capitalisme à son rythme, et selon ses moyens, à construire ses règles de gestion à sa guise, à apprendre à s'auto-administrer (Governing the commons).

Pour terminer. Les belles idées ne sont rien si l'on ne sait pas les mettre en oeuvre (thème majeur de ce blog) :

III - Le succès est dans l'exécution

Ce que me dit mon expérience :

  • On n’impose pas à une population le changement, on part de son besoin perçu. On n’intervient que si elle en exprime le besoin, et on l’aide jusqu’à ce qu’elle s’estime satisfaite (Process consultation d’Edgar Schein).
  • A moins d'y être contraint, on n’attaque pas un changement de manière frontale. Mais par un « projet périphérique ». C’est ce que j’appelle la « technique du vaccin ». On part d’un petit problème à la fois préoccupant et représentatif du problème global (par exemple une petite communauté et une question bien délimitée - épidémie de malaria, manque d'eau, etc.). Une fois résolu, on sait attaquer le cas général (Nettoyer le Gange).

Je crois que pour Bill Gates le principal intérêt de procéder par vaccin serait de l’amener à comprendre la nature réelle du sujet à traiter. Il pourrait alors mettre en œuvre ses formidables talents pour convaincre le reste de la planète de faire ce qu’elle doit.

Quelques références :

  • SIMON, Herbert A., The Sciences of the Artificial, MIT Press, 1996.
  • SCHEIN, Edgar H., Process Consultation Revisited: Building the Helping Relationship, Prentice Hall, 1999.
  • Les étapes de développement du capitalisme, et l'importance du protectionnisme : LIST, Friedrich, Système national d'économie politique, Gallimard, 1998.
  • Les complexes des sauvages : MALINOWSKI, Bronislaw, Sex and Repression in Savage Society, Routledge, 2001

lundi 25 août 2008

Le changement peut tuer

Un changement mal mis en œuvre peut tuer. C’est ce que montre un remarquable article de Sébastien Lechevalier (Suicides sur le lieu de travail : la faute du toyotisme ?, Le Monde du 22 avril 2008).

Arnaud Loulier, qui me le signale en réaction à ma note Management fad, ajoute :
les modes managériales rapportent beaucoup d’argent en effet, la mise en œuvre, elle, laisse quand même à désirer …
Je répète que le Français est maladroit dans la mise en œuvre de ses décisions. Mais je ne pensais pas que ça pouvait être aussi dramatique. L’industrie française a transposé les principes du Toyota Production System (TPS) sans en comprendre l'esprit. Alors que son idée est de mettre l’homme (et non la machine) au cœur du dispositif industriel, donc d’en faire une pièce clé, ici l’homme est un pion, gênant. Alors que dans le système japonais l’information est partout, ici on ne sait rien. Alors que chez Toyota l’emploi est garanti, l’employé fait carrière et que les gains de productivité permanents (ce que cherche le TPS) se traduisent par des changements de mission (un enrichissement du travail), en France le Toyotisme est utilisé comme un moyen de dégraissage continu de personnels sans avenir.

Cela donne envie de se suicider. C'est stupide : si l'employé est au centre du TPS, c'est parce qu'il est le mieux placé pour trouver des gains de productivité ! Si on le malmène, le TPS est mort !

Voir aussi : Toyota ou l’anti-risque et ses commentaires.

Cinquante milliards pour GM, Ford et Chrysler

Voilà ce que nous dit la Tribune d’aujourd'hui (Les "big three" appellent Washington à l'aide).
les "Big Three" de Detroit souhaitent un déblocage avant les élections présidentielles de novembre des 25 milliards de dollars de prêts à taux préférentiel votés par le Congrès lors d'une loi sur l'énergie en décembre dernier, et destinés à soutenir le secteur dans la transformation de la production vers plus de modèles économes en carburant.
La somme de 25 milliards de dollars n'est pas jugée suffisante par GM, Ford et Chrysler, croit pour sa part savoir le Wall Street Journal, selon qui les trois constructeurs cherchent à faire passer l'enveloppe de financements alloués au secteur à 40-50 milliards de dollars.
Surprenant. Je pensais que le businessman anglo-saxon ne voulait pas de l’intervention de l’Etat. Que, d’ailleurs, il ne serait pas contre gérer l’Etat à la place de l’Etat. Et Chrysler n’est-il pas le plus pur de ces exemples : il est la possession d’un fonds d’investissement ?

Mais où est la fameuse capacité d’innovation anglo-saxonne ? Où est la « destruction créatrice » dont on nous a rebattu les oreilles il y a quelques années ? Celle qui élimine les dinosaures (les big three) et fait triompher ceux qui savent s’adapter au marché (Toyota) ? Si elle ne donne pas raison à l’Amérique, c’est la manifestation d'une déficience du marché ? L’exception qui confirme la règle ?

D’ailleurs les nouveaux modèles que possèdent sûrement dans leurs cartons nos trois constructeurs vont rapporter beaucoup. Pourquoi ne construisent-ils pas un business plan et ne font-ils pas appel au marché financier ? N’est-ce pas ce qu’enseignent les MBA ?

Sur ce sujet : GM et Alfred Sloan et surtout GM et Lean manufacturing.

Récession

Nos craintes de récession illustrent un principe important. Une société est guidée par des règles. De temps en temps, elles suscitent un cercle vicieux. Conduire le changement, c'est soit prendre ce cercle à l'envers, soit compléter nos règles directrices.

Il est fréquent, en Allemagne, que lorsque les résultats d’une entreprise sont mauvais, son personnel, cadres supérieurs en tête, acceptent une diminution de salaire. Pas de licenciement. Il semblerait aussi que la Russie (Changement en Russie) ait survécu à la crise des années 90 (PIB divisé par 2) par le troc et la solidarité, les entreprises ayant conservé leur rôle social soviétique. Les communautés dites « primitives » sont bâties sur le principe de la solidarité : elles absorbent les chocs en bloc.

En termes de conduite du changement voici quelque chose de fondamental :

Le comportement des membres de toute communauté humaine est guidé par des règles. Elles sont principalement implicites, inconscientes. Généralement, elles sont efficaces. Mais les événements peuvent les prendre en défaut. D'où cercle vicieux parfois fatal.

Première technique de conduite du changement : transformer un cercle vicieux en cercle vertueux

Tocqueville : « Chaque gouvernement porte en lui-même un vice naturel qui semble attaché au principe naturel de sa vie ; le génie du législateur consiste à bien le discerner ». Le génie du législateur c’est de prendre le cercle vicieux à contre. Keynes : relancer la croissance par la dépense de l’État. Le Brain trust de Roosevelt : organiser des ententes entre oligopoles dominant l’économie ; leur demander d’augmenter leurs prix en échange de l’embauche de personnels.

Mais, dans certains cas, ce n’est pas possible : les règles existantes ne permettent pas la survie. Il faut les compléter. Coup d’œil aux nôtres :

Seconde technique : faire évoluer la culture du groupe

La parole est à Adam Smith. Pour lui Richesse des nations égale biens matériels qu’elles produisent. Progrès ? Produire de plus en plus. En 1776, il avait déjà formulé notre conception du monde (PIB et croissance). Or, elle ne va pas de soi.

  • D’ordinaire, nous pensons que notre richesse est notre possession pas notre production. C’est pour cela que l’économie se comporte étrangement. La destruction lui fait du bien : reconstruire, c’est produire. Elle est peu attachée au « capital », même s’il est productif.
  • Ce qui n’a pas été touché par l’homme n’a pas de « valeur ». Une étendue de terre ne vaut rien, jusqu’à ce qu’elle soit transformée en dépôt d’ordures.
  • Le « capital social », l’ensemble du savoir-faire accumulé par une communauté, ne vaut rien. Toutes les cultures qui ne sont pas assez résistantes sont mises à sac, pour en extirper quelques biens (l’or du Pérou ou les esclaves d’Afrique). Celles qui survivent ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes (la Chine).
Personne n’est épargné. Eamonn Fingleton a montré que l’industrie ne fait que développer son avantage concurrentiel (lié à ce capital social). Bien gérée, elle est quasiment indestructible. L’économie américaine ne l’a pas compris et l'a sacrifiée aux services, qui ne présentent pas de telle barrière à l’entrée. On est au cœur du débat sur la durabilité. La terre n’est pas gérée comme un « bien commun », dont la capacité est limitée ; dont on ne tire pas plus qu’il ne peut donner ; et que l’on entretient. Nous pensons la ressource illimitée. Ou, comme le disaient les philosophes anglais du 18ème siècle (Droit naturel et histoire), que l’homme est à l’image de Dieu : il crée du néant.

Si l’on voulait faire évoluer les règles qui nous guident, comment s’y prendre ?

  • Impossible de les éliminer purement et simplement, elles sont dépendantes les unes des autres, et imbriquées dans notre comportement collectif. Les détruire, c’est nous tuer.
  • Rester dans leur logique. C’est ainsi que l’on a commencé à donner une « valeur » à ce qui n’en avait pas auparavant (cf. les échanges de « droits à polluer »). Il n’est pas inimaginable de faire cohabiter une croissance échevelée et l’entretien d’un capital partagé.
  • Nécessaire consensus global. Ce consensus est possible parce que l’humanité, comme l’entreprise, présente des mécanismes qui permettent à la fois la modification des codes de lois globaux, et la diffusion des nouvelles lois (c’est ce que j’appelle « ordinateur social »).

Sur ces sujets :

  • GROSSACK, Irvin M., Adam Smith : His Times and Work, Business Horizons, Août 1976.
  • FINGLETON, Eamonn, Unsustainable: How Economic Dogma Is Destroying U.S. Prosperity, Nation Books, 2003.
  • Capital social et bien commun : Governing the commons.
  • Brain trust et crise des années 30 : GALBRAITH, John Kenneth, L'économie en perspective, Seuil, 1989.
  • Une double remarque : 1) une théorie de Richard Dawkins : les règles d’Adam Smith avaient un avantage compétitif sur les règles qui leur préexistaient, elles les ont balayées (DAWKINS, Richard, The Selfish Gene, Oxford University Press, 2006) ? 2) illustration de la théorie selon laquelle la marche du monde ne va pas systématiquement vers une complexité croissante (la richesse culturelle a été remplacée par quelques biens matériels à faible QI) ? (Les changements du vivant.)

dimanche 24 août 2008

Management fad

Annonce d’une Master Class de Jean-Claude Larréché, important professeur de l’Insead (Pas de Momentum pour Microsoft). Il testera les recommandations de son dernier livre sur le P-DG d’Aprimo (Aprimo et People Express). Je m'interroge : qu’est-ce qui fait le succès d'un livre de management ?

Pas la France. Ce doit être le pays qui consomme le moins dans ce domaine, par habitant (y compris la Palestine, l’Irak et le Sri Lanka). Tout se joue aux USA. On y aime les nouvelles idées, que l’on appelle d’ailleurs « modes de management » (« management fads »), parce qu’elles disparaissent aussi vite que leur succès a été grand. Recette de la management fad :
  • Un nom qui frappe : reengineering, momentum effect, blue ocean, six sigma, balanced scorecards...
  • Un auteur prestigieux (professeur de MBA, associé de McKinsey…).
  • Une idée à la fois simple à comprendre et qui promet de faire gagner beaucoup, généralement sans grands efforts. Et une méthode, qu’il suffit d’appliquer pour en récolter les bénéfices.
  • Nombreux exemples aussi, qui rendent le livre facile à lire.
  • La justification de l’efficacité du concept se construit sur les « meilleures pratiques » des « meilleures entreprises ». Celles qui réussissent à l’instant où le livre est écrit : Enron, Worldcom, les champions de la Bulle Internet ; auparavant IBM, GM…
  • Puis publicité massive, comme savent l’organiser les maisons d’édition américaines. D’ailleurs le professeur américain est un champion de la présentation de ses œuvres : il met longtemps à la préparer, mais une fois au point, elle est parfaite. Et à son centième discours il est aussi enthousiasmant qu’au premier. Il ne se lasse jamais.

C'est tout? Tirer de concepts simplistes et éculés 400 pages de schéma directeur détaillé ?
Non. Pour l’Américain la richesse est la juste récompense d’un talent exceptionnel. Les auteurs de ces livres croient aux idées qu’ils promeuvent. Ils possèdent la martingale gagnante. Ils en sont sûrs. Et ils veulent en persuader leur prochain. C’est pour cela qu'ils écrivent avec tant de soin ; c’est pour cela qu’ils en parlent inlassablement. Ils ont le feu sacré.

Je suis persuadé que le public américain sait détecter celui qui n’est pas sincère, qui veut l’abuser, ou, simplement, qui n’est pas porté par la grâce.

Complément :

samedi 23 août 2008

Entreprise auto adaptable

Troisième note sur Governing the commons, et sa confrontation avec mon expérience.

Governing the commons ne parle pas de techniques de conduite du changement (à une exception près). Pourquoi? Pour commencer, une brève introduction au contenu de mes livres : 

Tir au journal

Voici ce que j’ai appelé les « gestes qui sauvent » dans mon second livre :

  • Une idée clé : le mal actuel des entreprises est que leurs dirigeants prennent des décisions et ne s’inquiètent pas de leur mise en œuvre. Il arrive ce qui arrive aux satellites qu’on ne contrôle pas : d’infimes écarts initiaux non corrigés s’amplifient, quasi infiniment. 
  • La solution ? Tir au journal : une fois la stratégie lancée, expédier un « électron libre » dresser un bilan de ses résultats. Modifier le cap en fonction de ce qu’il a constaté. En fait, le changement est une question de contrôle, pas de direction. Si vous savez contrôler la mise en œuvre de votre stratégie, elle peut-être stupide, vous vous en rendrez-compte, vous comprendrez votre erreur, et vous prendrez des mesures appropriées.

Ce contrôle doit être permanent. Dans sa forme la plus simple, il demande essentiellement qu’une personne prête un peu d’attention à la réalité humaine de l’entreprise : des dysfonctionnements ne seraient-ils pas en train d’apparaître ? Une technique un peu plus systématique : faire parler ses collègues de leurs mécontentements.

Cellules d'Animation du changement

Le Tir au journal ? On peut rêver mieux. Ne pourrait-on pas faire juste du premier coup ? Une suggestion : « cellules d’animation du changement ». De quoi s’agit-il ? 

De repérer les personnes qui savent faciliter le travail de leurs collègues (animation du changement), et de les constituer en une équipe informelle qui va être responsable de construire le savoir-faire en conduite du changement de la société. Le mécanisme est simple : elle apprend des changements auxquels elle participe. Plus il y a de changements, plus elle est compétente.

J’ai observé que les techniques fondamentales sont très vite assimilées par ceux qui participent à un changement. Plus exactement, j’ai remarqué qu’ils en retirent l’idée que, s’ils sont confrontés à une difficulté, ils doivent la traiter en groupe. (Jusque-là l’individualisme régnait.) Il n’en faut pas beaucoup plus pour les rendre autonomes. Ils sont ensuite capables de mener des changements dans leur environnement immédiat, apparemment impossibles jusque-là.

Cercle vertueux : changement après changement, l’entreprise devient de plus en plus flexible, et les changements de plus en plus rapides et faciles.

L'entreprise : bien public à changement rapide ?

Governing the commons ne parle pas de la nécessité d’équipes de conduite du changement qui puissent intervenir à tous les niveaux de gestion d’un bien commun. Les structures d’administration qu’il décrit sont hiérarchiques, chaque niveau de la hiérarchie semblant évoluer de manière relativement autonome. 

Je crois qu'il n'en parle pas parce que l’entreprise est un bien commun qu'il n'étudie pas. 

Une nappe phréatique n'évolue pas rapidement. L'entreprise, elle, doit subir très fréquemment des changements qui en modifient la nature (par exemple installation de nouveaux procédés de fabrication).  D’où besoin de techniques de changement rapides, qui fassent bouger l'ensemble de l'édifice comme un seul homme.

Compléments : 

  • Les techniques nécessaires aux cellules d'animation sont le sujet de mon livre Conduire le changement: transformer les organisations sans bouleverser les hommes.
  • Je me demande si le résultat d'un changement réussi, le fait que ceux qui y ont participé s'approprient les techniques utilisées et s'en servent n'est pas un exemple du phénomène d’auto organisation décrit par Elinor Ostrom (Governing the commons).

Annexe : comment éviter le piège de l'attaque personnelle

Le Tir au journal résulte souvent en des critiques: « Les commerciaux vendent n’importe quoi », « l’usine a une politique de zéro stock stupide »… Danger : une attaque personnelle n’a aucune chance d’aboutir. Surtout, les problèmes de l’entreprise ne sont presque jamais humains (les employés incompétents sont rapidement éliminés), mais organisationnels ! 

Le dysfonctionnement organisationnel se manifeste dans l'incapacité des membres de l'entreprise à faire correctement leur travail. Et on prend la conséquence pour la cause, la victime pour le coupable. Si vous dérapez dans un virage, n’accusez pas vos pneus, mais votre conduite. 

Une technique pour éviter ce piège :

  1. Ne censurez pas les critiques personnelles : c’est le moyen le plus efficace que l’homme a trouvé pour parler de ses problèmes. Pour vous c'est la façon la plus rapide de savoir que quelque chose ne va pas.
  2. Mais traduisez-les avant de les évoquer dans votre diagnostic. « Feedback neutre » : présentez le problème à résoudre à partir d’observations incontestables : « nous avons un problème avec notre processus logistique, nous avons eu trois réclamations cette semaine, le P-DG de la société X menace de changer de fournisseur ».
  3. Puis « mathématisez » la question à résoudre : description du processus logistique afin de voir ce qui doit être amélioré. Question à vos collègues : que peut-on améliorer pour éliminer notre problème ? 
Au lieu d'accuser, à tort, telle ou telle personne, et de susciter une réaction de (légitime) défense, vous avez fait de la question un problème organisationnel d'élimination d'un danger collectif. 

vendredi 22 août 2008

Entreprise, bien commun

La note précédente a un intérêt évident pour l’entreprise. Si l’organisation qu’elle décrit peut y être mise en place, alors l’entreprise s’auto-contrôle, ce qui réduit massivement ses coûts (aujourd'hui le contrôle est le rôle des très coûteux « cols blancs » et des non moins coûteux progiciels de gestion). Mieux : elle s’auto adapte au changement. Il devient, même, une sorte de moteur.

Premier point, l’entreprise répond à la définition de « bien commun » d’Elinor Ostrom (pas détaillée dans la note précédente) :

  1. ses limites sont bien définies,
  2. ceux qui « s’approprient » ce qu’elle produit (un flux financier) sont ses employés et ses actionnaires : ils en tirent un revenu,
  3. en échange, ils l’entretiennent de façon à ce qu’elle renouvelle son potentiel.

Deuxième point, la menace qui pèse sur sa tête est la « tragédie du bien commun ». J’observe régulièrement dans mes missions deux mécanismes :

  1. Un phénomène spectaculaire, souvent suscité par des réorganisations pleines de bonnes intentions. Les nouvelles unités créées, au lieu de jouer le jeu de l’équipe, se mettent, immédiatement, à défendre leurs intérêts. Plus rien ne fonctionne dans l’entreprise. La réorganisation a cassé les règles qui faisaient de l’entreprise une équipe.
  2. Plus subtile : on fait des économies sur l’entretien. Autrement dit, on n’investit que dans ce qui donne des résultats à court terme. Moins de recherche et développement ; on licencie les personnels les plus expérimentés, car les plus chers ; on ne s’intéresse plus aux clients et à l’image de marque de la société… Au bout de quelques années l’entreprise s’enfonce dans le rouge, mais on ne sait pas pourquoi. On accuse la conjoncture, qui présente toujours quelque chose de défavorable. Et on crêve (ou on est acheté).

Une idée revient obstinément dans mes 3 livres. Ils affirment à répétition que, pour lutter contre cette tragédie, il ne faut pas faire ce que nous faisons tous : vouloir imposer le changement par la force, et considérer les membres de l’entreprise comme des « assistés ». Mais faire qu’ils soient responsables de la mise en œuvre du changement. « Donner les clés de la maison au petit personnel » dis-je dans un article.

Attention : pas de carte blanche. On leur fournit un cadre qui leur permet de mener à bien leur mission. Ce cadre est « l'ordinateur social » (un terme générique qui regroupe une catégorie de techniques aussi vieilles que le monde). En décrire les caractéristiques est l’objet de mes livres.
Justement, l’exemple du Sri Lanka (note précédente) montre un tel type d’ordinateur social. Bizarrement, ses « animateurs du changement » sont appelés « catalyseurs » comme dans mes livres.

Une différence cependant : la communauté opérationnelle ne doit pas être laissée à elle-même. Elle doit faire évoluer les lois de son organisation en tenant compte de l’ensemble des intérêts de la société. C’est pourquoi « l’ordinateur social » ne peut fonctionner sans avoir des représentants de ces intérêts. Une participation (indirecte) du dirigeant est impérative. C’est l’animation du changement qui lui permet de faire entrer ses préoccupation dans l’ordinateur social, et de s’assurer qu’il leur trouve une solution satisfaisante.

La force de rappel de l’ensemble, le fait que chacun s’observe pour savoir si la communauté suit bien les règles du groupe, est aussi probablement de mise dans l'entreprise. J’observe dans mon dernier livre qu’au démarrage d’un changement chacun veut s’assurer qu’il ne va pas profiter plus à certains qu’à d’autres. Si c’est le cas, il y a une sorte de « désolidarisation » du groupe. D’où l’importance des phases d’intégration des nouveaux employés, qui leur inculquent les règles communes.

Une comparaison faite entre organisation allemande, à forte intégration initiale, et anglaise, qui forme peu ses employés, montre d’énormes différences en termes de structures de contrôle : très grande liberté dans l’entreprise allemande (faible encadrement), coûteux mécanisme coercitif dans l’entreprise anglaise.

Je souscris aussi à la vision du changement d’Elinor Ostrom. Une des idées finales de mon premier livre est qu’après un premier changement, généralement difficile, l’entreprise acquiert une compétence d’adaptation, elle a appris à changer. Et le changement devient stimulant : l’entreprise a envie de changer.

Surtout, son tissu opérationnel prend en main la résolution des dysfonctionnements qui l’affectent directement (jusque là il se serait lamenté de l’incompétence de son management).

Les structures d’administration du bien commun dont parle Elinor Ostrom ressemblent aux comités transversaux qu’utilisait Alfred Sloan pour gérer GM. Je suis de plus en plus convaincu que ce qui rend une entreprise efficace, c'est-à-dire « auto adaptable » au changement (donc durable), est de disposer de telles unités, en permanence en veille quant à la moindre émergence d’un dysfonctionnement interne. En même temps, je crois que l’entreprise a besoin d’une capacité centralisée à mener le changement, la « cellule d’animation du changement » de mon premier livre. Elinor Ostrom ne semble pas voir le besoin d’une telle structure. Je reviendrai sur ce sujet dans une prochaine note.

En relation avec ces sujets :

jeudi 21 août 2008

Governing the commons, d'Elinor Ostrom

Les communautés humaines s'auto-organisent. Et c'est exceptionnellement efficace. OSTROM, Elinor, Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge University Press, 1990.

Imposer à un système une loi extérieure provoque victoire de l’égoïsme et destruction du bien. C’est la « tragédie du bien commun » (plus connue sous le nom Tragedy of the commons). Sans code de bonne conduite partagé, chaque acteur a intérêt à tirer le maximum du bien. Ce faisant il l’épuise, et se ruine. Ce livre montre comment les communautés humaines s’auto-organisent pour entretenir les biens qui leur sont communs (systèmes d’irrigation, pâturages…).

Règles d'administration d'un bien commun
Pour que le « bien commun » soit correctement géré, il faut suivre quelques règles :
  1. Les frontières du bien doivent être clairement définies (on doit savoir qui a des droits sur lui).
  2. Ce que l’on apporte et ce que l’on en retire sont équilibrés.
  3. Ceux à qui s’appliquent ses règles opérationnelles peuvent les modifier.
  4. Ceux qui surveillent le respect de ces règles sont ceux qui les subissent ou des personnes qui leur répondent.
  5. Les sanctions sont graduelles (et faibles).
  6. Un système de résolution de conflit est facilement accessible.
  7. Les gouvernements externes ne s’immiscent pas dans cette juridiction.
  8. Si le système est de grande taille, il est géré par des niveaux hiérarchiques cohérents d’organisation fonctionnant sur le même principe.
Un système exceptionnellement efficace et robuste
Étonnant : ce qui fait tenir ensemble l’édifice est la règle « Je ne suis les lois que si tous les suivent ». Une fois le système en place se produit un cercle vertueux. Pour que chacun soit rassuré sur le suivi des lois par les autres, il faut que chacun connaisse les agissements des autres. Ce qui conduit à un système de supervision peu coûteux. Et au choix de règles faciles à appliquer. D'où coûts de coercition quasi nuls. (Il sont très importants dans le cas d'un Etat ou d'une entreprise.)
En situation difficile, l’individu peut faire une entorse au règlement sans subir de sanction grave. En fait, le système semble faire tout ce qu’il peut pour ne pas provoquer l’éclatement de la communauté (ce que produirait une punition sévère).

L’intérêt de laisser à ceux qui les subissent la responsabilité de définir les règles qu’ils suivent est de leur permettre de les adapter à leur contexte particulier. Ils les modifient d’ailleurs régulièrement, pour faire face aux évolutions de leur environnement. Ces règles sont un « capital social » : un savoir-faire accumulé d’une immense valeur. (Avantage par rapport aux us de l’État ou de l’entreprise, qui créent des règles sans connaissance précise des réalités opérationnelles.)
Dans ce système les conflits sont bénéfiques : ils permettent d’interpréter les règles. C'est pourquoi ils sont facilités (nombreux espaces d’arbitrage).

Plus cette population pratique le changement, plus il devient facile et plus elle peut trouver dans le changement un bénéfice immédiat (ce qui élimine donc la résistance au changement), d’où accélération des changements…

Au préalable, la population doit avoir une même « modélisation » du problème : par exemple des zones de pêche qu’il s’agit de se répartir. Ceci demande une longue expérience : diviser une étendue d’eau en « zones » n’a rien d’évident.

Le démarrage : la communauté doit décider de prendre son sort en main
Comment démarrer ce cercle vertueux ? Deux exemples.
  • Gestion des nappes phréatiques californiennes, la menace de leur épuisement amène les acteurs concernés à s’entendre après de longues tractations.
  • Sri Lanka. Des « catalyseurs » sont envoyés encourager de petites communautés de paysans à collaborer à la gestion de leur système d’irrigation. Chaque communauté définit ses règles de cohabitation. Un système de gestion imbriqué se bâtit ensuite au dessus de ces communautés pour permettre une cohabitation générale. Bénéfice : les Cingalais et les Tamouls locaux apprennent à vivre en bonne intelligence.
Il faut probablement une prise de conscience que l'on a un "bien en commun", et qu'il est essentiel pour chaque individu, et que sa pérennité ne peut être assurée sans l'ensemble de la communauté. 
Une solution aux problèmes les plus graves
Ce texte est important parce que nous sommes face à des problèmes graves (effet de serre, épuisement des ressources naturelles…) qui sont de son ressort. Et qu’il nous dit que nous ne cherchons pas au bon endroit : pas besoin de messie, il faut apprendre à créer les conditions qui feront que l’humanité prendra son sort en main et trouvera une organisation qui lui permettra une gestion durable de la planète.

Sur le même sujet :

mercredi 20 août 2008

Hara-kiri

1630, un jeune rônin frappe à la porte d’un clan de samouraïs. Il demande l’hospitalité. Il veut mettre un terme honorable à une vie de pauvreté. Le clan sait que de nombreux autres clans ont été dissouts, leurs membres cherchent des moyens de survivre : le chantage au suicide en est un. Il décide de prendre le jeune homme au mot. Celui-ci se trouble et demande un délai. On lui répond que son honneur exige un suicide sur l’heure. On découvre que ses armes sont en bambou. Honte. Il doit se suicider avec. Ce qu’il fait, dans des souffrances atroces. Quel manque de distinction.

Peu après, un autre rônin fait la même demande au clan. Au cours de la cérémonie du hara-kiri, il lui compte son histoire. On découvre qu’il est le beau-père du précédent. Que celui-ci avait vendu ses armes pour acheter de quoi soigner sa femme et son enfant, sur le point de mourir ; qu’en dernier recours il était venu demander de l’argent au chef du clan ; et que, forcé de se suicider, il avait voulu dire adieu à sa famille, pas informée de son projet. Le clan aurait pu connaître la vérité s’il s’était enquis de la raison de la demande. Le samouraï rétablit l’honneur de son gendre en faisant un grand carnage. Il se suicide. Tout revient dans l’ordre. L’hypocrisie reprend ses droits.

Exemple du phénomène de prédiction auto-réalisatrice. Le clan a une hypothèse en tête, il interprète les réactions de sa victime comme justifiant cette hypothèse.

Il est possible que son interprétation soit tirée de ses propres tentations : la vengeance du rônin révèle beaucoup de lâcheté chez les membres du clan. S’ils avaient été au chômage, n’auraient-ils pas joué au chantage du hara-kiri ? Pourquoi n’ont-ils pu prêter à un homme que des intentions sordides ?

J’ai consacré une partie de « les gestes qui sauvent » à ce problème. L’échec du changement, et d’une manière bien plus générale de beaucoup d’actions de notre vie, vient des hypothèses que nous portons en tête. Ces hypothèses nous font agir d’une manière dont les conséquences renforcent nos certitudes. Nous sommes dans un cercle vicieux.

Comment s’en tirer ? En ne nous environnant pas de personnes qui nous ressemblent ; en étant à l’affut de ce qui peut contredire notre opinion, le paradoxe ; en vérifiant nos certitudes, ce qui, comme ici, ne coûte généralement rien.

Bibliographie :

  • Pour une évocation de la prédiction auto-réalisatrice : MERTON, Robert K., On Social Structure and Science, The university of Chicago press, 1996.
  • Sur nos modes de décodage de la réalité, les dépressions dans lesquelles ils peuvent nous entraîner quand ils nous font prendre des décisions erronnées, et comment en sortir : SELIGMAN, Martin, Learned Optimism: How to Change Your Mind and Your Life, Free Press, 1998.