KEAY, John, India, a history, Grove Press, 2001.
Gros livre sympathique, facile à lire, agréable. Il fait une étude chronologique de l’histoire indienne, sans prétention de décrire la culture indienne ou son âme. Ce que j’ai retenu :
Les origines
L’histoire de l’Inde commence par la civilisation de l’Indus, dont on ne sait pas grand-chose, et encore moins pourquoi elle a disparu. Elle semble ne pas avoir de lien avec l’étape suivante qui est celle de « l’aryanisation ».
Là encore, il n’est pas très facile de savoir ce qui s’est passé. Il est possible qu’une fine couche dirigeante indienne ait été gagnée à la culture aryenne par un mélange de conquête et d’admiration.
Un pays malléable et résistant
L’Inde paraît un curieux pays. Loin d’être la nation dénuée de courage et de valeurs que pensait Tocqueville, elle semble non seulement impossible à conquérir durablement, mais encore avoir réussi à forcer ses conquérants à entrer dans sa logique constitutive, féodale.
Conquérir, c’est exiger du conquis un tribut et une soumission. De ce fait, les empires se constituent rapidement, mais demeurent peu : les guerres de succession ou la faiblesse des successeurs permet aux inféodés de reprendre leur liberté.
Par ailleurs, non seulement les conquêtes arabes et mongoles ont suivi ce schéma de pénétration superficielle, mais il leur a fallu des siècles pour atteindre un zénith sans lendemain. Ce qui s'est fait au hasard de talents de quelques hommes, non du fait de la marche inéluctable d’une civilisation supérieurement organisée. Quant à Alexandre, ses exploits n’ont même pas égratigné l’indifférence collective.
J’ai aussi noté que :
- Au 15ème / 16ème, il semblerait que les régions indiennes aient développé une identité culturelle, linguistique et politique très similaire à celle des futures nations européennes.
- Les castes n’auraient pas toujours été les ghettos qu’elles sont devenues : initialement, elles semblent ne pas avoir été très étanches, et surtout avoir été une sorte de droit / devoir associé à la participation à la vie politique. En supprimant cette vie politique, les Musulmans ont fait de la caste un carcan, dont le seul espoir de sortie est la réincarnation.
La colonisation anglaise
La colonisation anglaise a connu trois étapes :
- Tout d’abord, l’exploitation des richesses de l’Inde est une question commerciale. Elle est confiée à la Compagnie des Indes. Seulement intéressée par commerce et comptoirs, et ayant un devoir de rentabilité, elle semble avoir été entraînée dans une conquête indienne sans vraiment l’avoir voulu. Elle s’est laissée gagner par l’esprit d’aventure qui régnait en Inde à l’époque et a profité de la disponibilité de troupes locales pour se mêler aux luttes internes. Ses victoires sur les Français, puis son organisation et sa détermination supérieures à celles des autres groupes indiens, les fonds tirés des territoires conquis... ont alimenté une sorte de cercle vertueux expansionniste. D’ailleurs c’était une conquête qui n’avait rien d’hostile. Les Anglais avaient une grande admiration pour la culture locale, d’une certaine façon, ils conquéraient pour le bien commun, ou pour réparer l’anarchie qu’ils avaient créée par inadvertance.
- À cette phase bonhomme succède une époque de conversion. La compagnie des Indes est plus ou moins nationalisée, et l’Angleterre se donne pour mission d’apporter la civilisation au pays : utilitarisme, libre-échange, et christianisme. Anglais et Indien vivent désormais dans des espaces séparés. L’exploitation économique du pays, qui avait commencé à l’étape précédente (notamment déforestation systématique), se poursuit avec un caractère implacable que n’avait jamais eu aucune domination précédente.
- La rébellion des Cipayes de 1857-58 est l’amorce d’une dernière phase. L’Inde devient un empire, et l’Angleterre s’engage à mettre un terme à son zèle réformiste, et à ne plus se mêler des croyances de ses administrés.
L’indépendance
C’est alors que démarre le mouvement indien pour l’indépendance. La question se pose vite de savoir la forme que devrait prendre le pays qui en résulterait. Il y avait d’une part les territoires administrés par l’Angleterre, en partie indous, en partie musulmans ; de l’autre une nuée de principautés ; plus deux forces dominantes : le Parti du congrès, de Nehru, laïc, et la Ligue musulmane de Jinnah. La solution logique à tout ceci semble avoir été une fédération.
Parvenir à constituer cette fédération était certainement difficile. Mais la conduite du changement fut pleine de maladresses, pas forcément d’ailleurs du fait de mauvaises intentions. D’où une partition dramatique Pakistan / Inde, puis Bangladesh, et des années de turbulence, de guerres (cf. Kashmir), et de nouvelles maladresses (gestion des castes en Inde, par exemple).
L’Inde est aujourd’hui une fédération de fait, les régions se sont multipliées. Son intégrité n’est plus menacée. Bizarrement son régime politique paraît peu stable, et pourtant ce n’est peut-être pas un danger : son étonnant attachement à la démocratie assurerait sa solidité.
Compléments :
- Sur Tocqueville : Notes sur le Coran et autres textes sur les religions, Bayard Centurion, 2007 (textes rassemblés par Jean-Louis Benoît).
- De la démocratie en Inde : Inde : équilibre miraculeux ?