Je dis dans ce blog que l’économie américaine va vers le service, qu’elle est en grand péril. Je parle aussi de la bataille entre dirigisme et démocratie. D’où cela vient-il ?
L’économie américaine est dirigée par une petite élite, que l’on peut approximer grossièrement par les diplômés des plus prestigieuses universités. Elle ne se voit pas comme américaine, mais comme internationale. La pensée de cette élite s’est matérialisée dans la société Enron.
Enron « était tenu comme le symbole de la responsabilité et de l’éthique, performant, déterminé, concentré sur son objectif, philanthrope et respectueux de l’environnement. ENRON apparaissait comme ce que le 21ème siècle avait de mieux à offrir, économiquement et éthiquement ».
Pendant 10 ans la société a connu un prodigieux développement : quand elle a disparu, elle visait la première place mondiale. Ses dirigeants pensaient que sous l’action de la déréglementation, les entreprises se dissoudraient. Le monde se diviserait entre un marché et une offre également éparpillés. Enron serait l’agent du changement. Il y gagnerait une place d’intermédiaire entre offre et demande. Ses dirigeants avaient construit la société pour que son fonctionnement interne obéisse aux lois du marché, les plus efficaces selon eux. Voila l’image que cette élite a de son rôle et de l’avenir. Elle gérera un monde qui se comportera comme un marché de biens de grande consommation. Vous et moi bougeant au gré de l’offre et de la demande. Pour elle ce modèle est la démocratie même, et il apporte le summum de l’efficacité économique. C’est la réalisation de la vision d’Adam Smith. La main invisible du marché fait le bonheur mondial. C’est pour cela que l’élite américaine a dissout les structures de production dont elle avait la responsabilité, et que l’Amérique n’a plus d’industrie.
Or, elle découvre que le modèle dirigiste chinois est plus efficace que le sien, et que de plus en plus de voix s’élèvent contre la « démocratie ». Celles des pauvres. Pourquoi ?
- Ce qui est en cause n’est pas la démocratie, mais la définition qu’en donne cette élite. Et nous sommes tous d’accord avec ceux qui la rejettent : nous ne sommes pas des biens de consommation.
- Le modèle d’Adam Smith est inefficace parce qu’il reproduit un biais de l’idéologie anglo-saxonne. Elle croit que le monde est fait d’individus ; que l’individu n’est contraint par rien sinon sa volonté. Or une entreprise est beaucoup plus que les individus qui la constituent. Ce beaucoup plus, le capital social (les règles explicites ou implicites partagées par tous – la culture des ethnologues), s’enrichit sans arrêt. Un avantage initial est amplifié. Il n’y a donc jamais de concurrence parfaite, la condition nécessaire du modèle d’Adam Smith.
L’élite américaine a bradé les biens familiaux, son industrie, pour aller dans le grand monde. Or celui-ci est hostile. Elle va devoir redécouvrir sa famille. Qui n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Quelques compléments :
- La citation provient de : SIMS, Ronald R., BRINKMANN, Johannes, Enron ethics (Or : Culture matters more than codes), Journal of business ethics 45, 2003.
- Sur l’histoire d’Enron et l’idéologie qui guidait ses dirigeants : EICHENWALD, Kurt, Conspiracy of Fools: A True Story, Broadway Books, 2005.
- D’une manière générale, ces théories ont été celles de la Nouvelle économie des années 90. Elle disait que le monde ayant été gagné par le capitalisme, Internet enlevant tout avantage à l’entreprise (élimination du coût de transaction), il n’y aurait plus de crises et la croissance serait sans précédent. Un exemple : les espoirs dans la Nouvelle économie de Business week : SHEPARD, Stephen B., The New Economy : What It Really Means, Business Week, 17 Novembre 1997.
- Sur l’application du modèle dont il est question ici à la réforme des pays émergents (Russie, Amérique latine, Asie du sud est), dans les années 90 : Consensus de Washington
- Sur les attaques contre la démocratie : La démocratie est en péril
- Sur la prise de conscience des dangers que fait courir l’idéologie de l’élite américaine au pays : Péril jaune, L’Amérique victime de la globalisation ?
- Sur l’état de l’Amérique : Le Mal américain.
- Sur la mutation de l’économie américaine : Dell, vie et mort (et ses références).
- Sur les problèmes de compétitivité d’une économie de service : Alcatel, notre Dell.
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