1630, un jeune rônin frappe à la porte d’un clan de samouraïs. Il demande l’hospitalité. Il veut mettre un terme honorable à une vie de pauvreté. Le clan sait que de nombreux autres clans ont été dissouts, leurs membres cherchent des moyens de survivre : le chantage au suicide en est un. Il décide de prendre le jeune homme au mot. Celui-ci se trouble et demande un délai. On lui répond que son honneur exige un suicide sur l’heure. On découvre que ses armes sont en bambou. Honte. Il doit se suicider avec. Ce qu’il fait, dans des souffrances atroces. Quel manque de distinction.
Peu après, un autre rônin fait la même demande au clan. Au cours de la cérémonie du hara-kiri, il lui compte son histoire. On découvre qu’il est le beau-père du précédent. Que celui-ci avait vendu ses armes pour acheter de quoi soigner sa femme et son enfant, sur le point de mourir ; qu’en dernier recours il était venu demander de l’argent au chef du clan ; et que, forcé de se suicider, il avait voulu dire adieu à sa famille, pas informée de son projet. Le clan aurait pu connaître la vérité s’il s’était enquis de la raison de la demande. Le samouraï rétablit l’honneur de son gendre en faisant un grand carnage. Il se suicide. Tout revient dans l’ordre. L’hypocrisie reprend ses droits.
Exemple du phénomène de prédiction auto-réalisatrice. Le clan a une hypothèse en tête, il interprète les réactions de sa victime comme justifiant cette hypothèse.
Il est possible que son interprétation soit tirée de ses propres tentations : la vengeance du rônin révèle beaucoup de lâcheté chez les membres du clan. S’ils avaient été au chômage, n’auraient-ils pas joué au chantage du hara-kiri ? Pourquoi n’ont-ils pu prêter à un homme que des intentions sordides ?
J’ai consacré une partie de « les gestes qui sauvent » à ce problème. L’échec du changement, et d’une manière bien plus générale de beaucoup d’actions de notre vie, vient des hypothèses que nous portons en tête. Ces hypothèses nous font agir d’une manière dont les conséquences renforcent nos certitudes. Nous sommes dans un cercle vicieux.
Comment s’en tirer ? En ne nous environnant pas de personnes qui nous ressemblent ; en étant à l’affut de ce qui peut contredire notre opinion, le paradoxe ; en vérifiant nos certitudes, ce qui, comme ici, ne coûte généralement rien.
Bibliographie :
- Pour une évocation de la prédiction auto-réalisatrice : MERTON, Robert K., On Social Structure and Science, The university of Chicago press, 1996.
- Sur nos modes de décodage de la réalité, les dépressions dans lesquelles ils peuvent nous entraîner quand ils nous font prendre des décisions erronnées, et comment en sortir : SELIGMAN, Martin, Learned Optimism: How to Change Your Mind and Your Life, Free Press, 1998.
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