Mes réflexions de la semaine sous une forme que je tente de
rendre un peu plus fluide que celle de la précédente édition. Pour faciliter la lecture de la personne pressée, les thèmes apparaissent en gras.
Un des événements marquants de cette semaine aura été le transfert de ma ligne téléphonique mobile.
J’y travaille depuis janvier. À l’origine de l’histoire se trouve une
malheureuse proposition de joindre ma ligne à celle d’un partenaire. Mais le
rapprochement n’ayant as été durable, j’ai voulu reprendre mon numéro. Une
première tentative échoue, pour un motif incompréhensible à l’époque (mon
partenaire n’a pas payé sa facture et apparemment cela bloque le système
d’information de l’opérateur). Nouvelle tentative en avril. À chaque fois il
faut reconstituer un dossier. Pas de nouvelles. J’appelle le centre de
renseignement à plusieurs reprises. Les premiers épisodes m’apprennent que ma
ligne est identifiée par le système d’information comme celle d’un particulier,
ce qui me vaut d’être aiguillé vers une personne qui n’a pas accès à mon
dossier, puis un transfert au service « professionnels » - avec
toutes les explications et attentes que cela signifie. Après plusieurs
discussions (d’une vingtaine de minutes), je finis par croire que mon cas est
en passe d’être réglé. Mais, toujours rien. Nouvel appel. On me dit que l’on me
rappellera. Encore rien. Je rappelle – après passage de conseiller en
conseiller, je découvre que le système d’information de la société refuse le
transfert. On va me rappeler. Rien encore. Nouveau coup de fil. Nouveau
téléopérateur à qui j’explique une fois de plus mon cas. Transfert à une
instance supérieure. Effectivement, on a consulté la direction technique de ma
part, qui s’est montrée impuissante. Cette fois-ci, je suis jugé digne
d’urgence. Une solution est trouvée : créer une nouvelle ligne et lui
donner mon numéro. Je reçois donc une nouvelle carte SIM, qui remplace
l’ancienne. Je remercie la charmante opératrice qui m’a guidé pas à pas dans
l’opération, en m’appelant à chaque étape. Dans l’affaire j’ai perdu ma connexion
Internet. C’est apparemment normal, il faut attendre deux jours au moins pour
qu’elle soit rétablie. Mais c’est un bien petit tracas par rapport à celui qui
aurait résulté de la disparition de ma ligne professionnelle…
Curieuse affaire tout de même. Elle ressemble beaucoup à ce
que je vis dans mon métier (animation du changement), d’abord. Surtout, elle paraît révélatrice des
évolutions de notre société. Comme dans les
contes du lundi de Daudet, on y voit des téléopérateurs charmants se
débattre avec un système d’information et une organisation dysfonctionnels.
Alors que cet opérateur télécom parle de licenciements, n’a-t-il pas plus
urgent à faire ? Ses processus internes ne mériteraient-ils pas de
sérieuses améliorations ? Ne serait-il pas judicieux, aussi, qu’il se
préoccupe de ses clients ? Peut-être que s’il avait fait tout ceci, ce que
l’on serait tenté d’appeler son métier, il aurait trouvé des moyens efficaces
de développer sa rentabilité et de se mettre hors de portée de l’attaque de
Free ? Encore une entreprise qui a vendu son âme et le salut de ses
clients aux séductions trompeuses de la gestion financière et de
l’enrichissement facile ?
Mais, je reconnais être un triste sire, qui n’est pas adapté
au progrès. Je suis d’une génération marquée par le service public. J’ai, en
effet, aussi mal pris l’annonce, la semaine dernière, de la suppression par Google d’iGoogle. Nième
application tuée par son créateur. Mais comment avoir confiance en une telle
société ? En fait, ce comportement est typiquement américain. La croyance au pouvoir du marché,
capable de sélectionner, à la Darwin, les meilleurs produits.
Dans un sens le marché américain est effectivement
intelligent. Par exemple, les commentaires d’Amazon.com sont excellents, ainsi
que les articles de Wikipedia anglais. Cela tient, probablement, à ce que les
Américains se spécialisent et se taisent quand ils ne savent pas. Mais ce n’est
pas le cas en France. Le Français croit qu’il a tous les talents, et il jalouse
ceux qu’on lui dit admirables (journalistes, scientifiques, etc.). Du coup, ce
qu’il produit sur internet est prétentieux et sans intérêt. (Un jugement qui
s’applique à ce blog, et dont j’essaie de tenir compte.)
Au sujet de l'Amérique et de sa dernière tuerie, Paul Krugman publie un curieux graphique sur son blog. Il s'agit du nombre de morts par arme à feu. Ce qu'il y a de bizarre n'est pas que la courbe américaine soit très au dessus de celle des pays civilisés, mais qu'elle soit en cloche, avec un pic dans les années 70. On tue moins aujourd'hui que jadis. Mais surtout, je me demande si, en prolongeant cette courbe vers les années 50, elle ne rejoindrait pas les nôtres. Ce qui m'a amené à faire un parallèle avec la libération de la sexualité, qui démarre aussi dans les années 50 : et si, aux USA, l'individu libéré s'était affirmé dans le maniement des armes ? Jusque-là ses instincts étaient contenus par les règles sociales ? L'usage des armes droit fondamental à l'égal de la liberté sexuelle ?
On a beaucoup parlé, cette semaine, de PSA et de la fermeture de ses usines. Que penser de la réaction du
gouvernement ?
La presse anglo-saxonne affirme que le marché européen est
dramatiquement surcapacitaire, et qu’il faut fermer un grand nombre d’usines.
(C’était aussi l’opinion d’un syndicaliste de PSA entendu à la radio.) Sous cet
angle, l’annonce du gouvernement (vague prime écologique et encouragement à
l’innovation) a quelque chose d’extraterrestre. The Economist s’égosille,
d’ailleurs : le problème de l’Europe, c’est son manque de compétitivité.
Mais quand va-t-elle regarder les choses en face ? Sortez les clowns. C’est
d’autant plus coupable que l’Europe entraîne dans sa chute l'Angleterre, et peut-être aussi l’Amérique. (Sont-elles tirées par leurs vertus
propres où vivent-elles de l’exploitation des autres nations ?)
Je me demande s’il ne faut pas lire l’intervention de
François Hollande sous un tout autre angle. Depuis les origines de ce blog,
j’applique le modèle du dégel de Kurt Lewin. Ce modèle dit que, en crise, une
société remet progressivement en cause ce qu’elle croit. C’est ce qui me semble
arriver actuellement. Mme Merkel rejette le mythe du déficit permanent. Quant à
M.Hollande, il ne veut plus de licenciements. L’Europe a commencé à rejeter le modèle anglo-saxon, consommation,
compétitivité, vie à crédit, etc. Mais, c’est un acte de foi. En dehors de ce
refus, elle n’a rien à proposer.
Nos gouvernants doivent comprendre que tout n’est pas que
valeurs courageusement affirmées, que les miracles n’existent pas, qu’il faut
descendre du monde éthéré des idées de Platon et affronter l’inélégante réalité :
déficit de PSA, Espagne et Grèce en perdition, chômeurs, SDF ou employés de PME
dont la faillite ne fera aucune vague…
Quant à l’analyse de l’opposition, elle n’est pas plus
terrestre. Selon elle tout est une question de coût du travail. Pense-t-elle réellement qu’une différence de coût
du travail est ce qui explique les bénéfices faramineux des fabricants
automobiles allemands (19md pour VW).
Cette obsession du coût du travail est suspecte. Que
cache-t-elle ? Imaginons que l’on réduise les charges salariales,
qu’est-ce qui pourrait les remplacer ? Les impôts. Mais, comme le disait
un billet précédent, plus on est riche, plus l’assiette d’imposition régresse.
Donc, l’intention réelle de la mesure n’est-elle pas d’enrichir les
riches ? D’ailleurs, où iront les économies dégagées par les entreprises –
investissements ou dividendes ?
Procès d’intention ? Peut-être, mais pas d’une
intention coupable. Car elle fait l’hypothèse
que le riche est un créateur de valeur et donc d’emplois. Plus on lui donne
d’argent, plus nous en profitons. Malheureusement, comme le notait The
Economist la semaine dernière, ce n’est pas ce qui s’est passé. Le riche n’a
pas créé, il a consommé. Et il nous a appauvris.
Le mécanisme par lequel il y est parvenu est peut-être celui
du « low cost ».
J’entendais il y a quelques temps un invité de France Culture s’émouvoir de ce
que nos impôts locaux étaient versés aux compagnies low cost. Effectivement, le
low cost semble une bonne idée, localement. Sauf que tout est devenu low cost.
Avec deux conséquences : « low salary » et services dégradés. Exception :
pour une nouvelle classe d’oligarques : « high bonus ». Et pour
que le système fonctionne, malgré l’appauvrissement du marché : publicité
et endettement ?
Limits to growth
semble effectivement déboucher sur un processus de ce type. Ses auteurs
constatent que plus la croissance est
forte, plus il y a de pauvres. En effet, leur population et
l’enrichissement des riches vont plus vite que la croissance. La croissance
tire le pauvre de la pauvreté uniquement si elle est accompagnée d’un système
d’assurance sociale. Alors, comme le note Poor
Economics, le pauvre renonce à avoir des enfants en pagaille : plus
besoin de cette assurance pour ses vieux jours. À noter que l’Inde a peut-être
compris cela, qui parle de fournir de tels systèmes à son peuple (ce que
déplore The Economist de la semaine dernière, il voudrait des ponts et des
routes).
Tout ceci m’amène à une conclusion inattendue : le
modèle libéral fondé sur la croissance est un mécanisme de désocialisation. Et
c’est pour cela qu’il génère la pauvreté, par sa nature même. Car la pauvreté n’est
pas ce que je croyais, un manque de richesse. Être pauvre c’est être aux marges de l’organisation sociale, dans
une zone d’anomie, de non droit et de non entraide, propice à la dépression et
au suicide (Durkheim).
En attendant un rétablissement d’un semblant de solidarité
sociale, comment blinder l’homme pour qu’il résiste au mauvais temps ?
Grande discussion avec Dominique sur les
mérites de la méditation. Je le choque en trouvant suspects ceux qui la
pratiquent (cf. mon billet sur Votre
cerveau n’a pas fini de vous étonner). Mes arguments. Ce sont des
privilégiés - qui ne subissent pas d’agression sociale sérieuse. Et surtout, je
ne trouve rien d’admirable aux moines de différentes tendances. Qu’ont-ils
apporté au monde ? Il me semble qu’il faut extraire de la méditation ce
qu’elle a de bon pour la santé et l’injecter dans la vie telle qu’elle est. Pas
besoin de retraite dans un monastère pour Bobo. Que nous apporte donc la
méditation ? Pour le moment, je vois deux choses : 1) donner de
multiples intérêts au cerveau, ce qui met en minorité et en relatif nos
préoccupations centrées sur notre nombril, et qui nous pourrissent la
vie ; 2) enraciner dans notre être les effets bénéfiques de nos petits
bonheurs quotidiens. Ce qui sous-entend qu’il faut se donner de telles
satisfactions.
Pour finir, et pour poursuivre « changement et culture »,
un des feuilletons de ce blog, voici le changement
chez les Grecs anciens et en physique. Etienne Klein traitait de la
question sur France Culture, samedi dernier. Parménide pense que l’être ne
change pas. Pour Héraclite, la seule permanence est le changement. La physique les
met ex aequo : la particule ne
change pas, mais les lois physiques non plus. Mais qui a été le premier :
les lois ou les particules ? Comment y a-t-il pu y avoir origine du monde
et néant ? Je me suis demandé s’il y avait nécessité de l’un et de
l’autre. J’ai remarqué que le changement servait avant tout à préciser ce que
l’on est. On change pour être encore plus soi ?
The Economist, pour sa part, consacrait un dossier à Israël. Les Juifs orthodoxes représentent
maintenant 26% de la population des enfants entrant l'école primaire. Afin de calmer leurs ardeurs belliqueuses, The
Economist suggère qu’ils ne soient plus exemptés de service militaire.
The Economist s’attaque aussi à la question de savoir ce
qu’est être juif. Un peu décevant. Il n’avance que des arguments génétiques ou
juridiques. Pas de trace de ma définition favorite : « être juif, c’est avoir des enfants juifs ».
Et si être juif était culturel ? Et si, mieux, c’était appartenir à un
« système » au sens systémique du terme (cf. ce que ce blog dit des
travaux de Paul Watzlawick) : un système vous amène à adopter le
comportement qui lui est nécessaire. Autrement dit, si vous épousez un Juif,
vous devenez une mère juive. Mais peut-être suis-je déformé par mon métier, et
vois-je des systèmes partout ?
3 commentaires:
Billet très dense, qui en vaudrait bien trois ou quatre distincts.
Sur la dernière question, il y a deux réponses principalement:
- celle de la Halakha, très rigide: enfant issu de mère juive
- celle des Nazis, beaucoup plus vaste: un des quatre grands-parents juifs
Celle que tu proposes, paradoxalement, est la seconde.
Je ne crois pas trop au 26% proposé par The Economist. Israel est un pays profondément laïc, malgré les apparences. Et si on était à 26% de religieux, ils dépasseraient sans doute la dizaine de députés actuellement ne poste à la Knesset...
En fait, ce billet est la somme de tous mes billets de la semaine. Au lieu d'en faire une vingtaine comme avant, je n'en fais plus qu'un. Gain de productivité.
Ma définition du Juif ne repose pas sur la génétique, mais sur le comportement. D'ailleurs, je pense que la phrase que je cite vient d'un rabbin. Mais je m'aventure sur un terrain que je ne connais pas!
Pour les proportions de religieux: juste: il s'agit de 26% des enfants (http://www.economist.com/node/21559616)
J'ai corrigé le billet pour tenir compte de ma dernière remarque.
Enregistrer un commentaire