A la suite des rapports des interpreneurs (billet d'hier même heure), un lecteur me demande : pourquoi serions-nous un cas à part ?
Voici ma réponse. Pour qu'elle soit facile à comprendre, j'ai "suspendu" les conventions qui veulent que l'on ne dise de mal de personne, sauf si l'on s'appelle Eric Zemmour. En effet, cela produit des formules ampoulées, incompréhensibles. Je prends le risque de la caricature.
Je n’ai pas de réponses certaines, bien sûr, mais en mettant ensemble les travaux des « autorités intellectuelles » (MM. Tocqueville, Rosanvallon, Crozier...) qui se sont penchées sur la question, et que je lis depuis une vingtaine d’années, en les rapprochant des informations que vient de m’apporter l’enquête interpreneurs, j’arrive à une hypothèse assez cohérente.
1) Ce qui fait que la France est unique est qu’elle est la seule au monde à reposer sur un montage théorique. Et cela remonte à l’ancien régime, selon Tocqueville. En France, on pense l'idéal. On bâtit de zéro. Ailleurs, on fait évoluer l'existant.
2) La théorie a subi beaucoup d'avatars. Depuis Vichy, ce montage théorique se traduit, en particulier, par un « modèle économique » fait de « champions nationaux » dirigés par des hauts fonctionnaires, supposés faire la prospérité nationale.
3) C’est ce modèle, unique au monde, qui a été porté à l’absurde durant ces trente dernières années.
4) Une première raison vient de ce qu’il était « théorique ». L’Etat, génétiquement impécunieux, n’a pas pu le financer correctement. Nos « champions » sont donc possédés par l’étranger. Mais, paradoxalement, ce n’est pas ce qui fait le problème.
5) Le problème, c’est le haut fonctionnaire. Il a oublié sa mission et a expliqué que, pour faire le bien de la nation, son entreprise devait jouer selon les règles du marché, donc être indépendante de la contrainte étatique. Cela l’arrangeait bien : il a pu jouer ainsi au grand patron. Il est devenu un « oligarque ».
6) Cela aurait encore pu marcher. Mais, le haut fonctionnaire n'est pas un homme d'entreprise, il est incapable d’innover, moteur du capitalisme. Il n’a qu’une stratégie : leader par les coûts, être le plus gros. Il ne jure que par les acquisitions. Or, comme il n'a aucune expérience, il achète trop cher. Nos multinationales se sont donc couvertes de dettes. Ce n’est pas les actionnaires qui doivent les rembourser, mais l’Etat. (Sous peine de voir disparaître le champion.)
7) Il y a pire. Toutes les entreprises occidentales se sont portées à l’Est, pour profiter de bas salaires, qui leur permettaient de ne pas avoir à innover. Les étrangers ont emmené avec eux leurs sous-traitants. Pas les Français. Ce serait plus une question d’incompétence que de mauvaise volonté. Une entreprise dirigée par un haut fonctionnaire, personne d'idées et pas de pratique, est une sorte de chaos (une administration ?) où tout le monde essaie de se débrouiller. L’accompagnement qu’aurait demandé le déplacement de la sous-traitance était au dessus des forces d’une telle organisation.
8) En conclusion, nos « champions » achètent maintenant leurs composants à l’étranger (d’où déficit des échanges internationaux) et nous exportent ce qu’ils ont produit ailleurs. Car, faute d’être innovants, ils demeurent très dépendants du marché national. Et notre tissu de PME, fait de bric et de broc, « variable d’ajustement », qui apportait à l'édifice bureaucratique la souplesse qu'il n'a pas, selon Michel Crozier, s’est retrouvé abandonné, privé de son marché. Cela, d’ailleurs, pourrait expliquer pourquoi il y a quelques décennies nous avions autant d’ETI que les Allemands. Des ETI comme Heuliez et Matra étaient des sous-traitants de l’automobile, que leurs donneurs d’ordre ont abandonné.
Est-ce exagéré ?
Prochain billet : après le bilan, la solution.
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