Voici un petit objet qui ressemble à livre de cours pour élève de quatrième, peu de pages, écrit gros, avec de belles couleurs, des encarts, tableaux et graphiques. Mais qui est peut-être beaucoup plus inquiet sur l'avenir de notre pays que ne le laisse paraître son titre.
"Combien de temps résistera le pacte social de notre pays avec des crises comme celles des Bonnets rouges ou des Gilets jaunes ? Quelles suites prendront elles, car suite, il y aura ? Sans doute avons nous une mandature, au maximum deux, avant que le fil ne se rompe. c'est le temps de l'accélération nécessaire de l'investissement productif, c'est le même temps dont nous disposons pour oeuvrer à l'attractivité de ces bassins de vie, c'est dire l'urgence."
Le changement qu'a subi l'humanité a un nom : "société post industrielle". Des penseurs formulent cette idée dès les années 50. Politiquement, elle devient réalité sous la présidence Giscard d'Estaing. Pour la doctrine "post industrielle" le tertiaire va remplacer l'industrie, de même que l'industrie a remplacé l'agriculture. Alors que la ligne gaullienne était celle de Colbert (la politique économique servait la souveraineté et l'indépendance du pays), l'économie, de marché, prend le pas sur la nation. Cela s'accompagne de la conviction que l'Occident aurait le monopole des activités intellectuelles, nobles et rémunératrices, alors que le reste de l'humanité en resterait à l'étape industrielle...
La transformation qui en résulte est extrêmement violente pour une grande partie de la population. Elle en porte toujours les stigmates. Et ce d'autant plus que, contrairement à ce qui s'est passé avec l'agriculture et la PAC, le changement ne fait pas l'objet de mesures d'accompagnement. D'où traumatismes, perte de "cohésion" de la société et "fractures territoriales", et crises politiques, qui ont pour noms Donald Trump ou le Brexit, à l'étranger, et les Gilets jaunes, en France.
Aujourd'hui, indépendance, souveraineté, industrie sont de retour. A l'image de la Chine, dont ça a toujours été la politique, les USA "réintègrent leurs filières". L'Europe est dangereusement à la traîne. Plus que quiconque, elle a cru à la société post industrielle et a voulu convaincre le monde par son exemple. En France, la question industrielle refait surface de temps à autres, particulièrement depuis 2008. Mais sous la forme d'initiatives sans lendemain, brouillonnes et contradictoires. En outre, le gouvernement tend à croire que tout se ramène à une question de technologie.
Quelle va être la société post post industrielle ? "hyper industrielle"...
Pendant des décennies, l'économie mondiale a été tirée par la croissance des échanges internationaux, et caractérisée par une "financiarisation" obnubilée par le court terme boursier. Certains, comme l'Angleterre et la France, ont délocalisé leur industrie et se sont spécialisés dans les services, ce qui a "induit de fortes fractures territoriales". D'autres, comme l'Allemagne, "ont fait un pari inverse". Parallèlement apparaît "l'open innovation". C'est le grand mouvement des "start up". Dans ce modèle, l'innovation ne provient plus des services de recherche de grandes entreprises mais est le fait de nouvelles sociétés.
Si les fonds d'investissement n'ont pas encore trouvé le chemin de la "start up industrielle", qui ne leur est pas familière (ce qui pourrait créer de sérieuses difficultés à la réindustrialisation du pays), des tendances de transformation de notre société, et de son industrie, apparaissent. Le propre de l'industrie, ce sont des processus extrêmement efficaces. Cette efficacité est la condition nécessaire de la transition climatique. Et elle utilise robots ou numérique, pour produire une "économie de la fonctionnalité" : le consommateur n'achète pas un produit, mais un usage. A côté des méga usines pourraient apparaître des unités de petite taille alimentant un marché de proximité, en quasi sur mesure. Dans ce monde de service, de haute technologie, d'innovation permanente, "univers de la donnée", "système productif collaboratif", où le client est quasiment intégré au fournisseur, l'entreprise est une "adhocracie" : une équipe d'égaux, hautement qualifiés, hautement outillés ("augmentés"), se re configurant sans cesse pour saisir des opportunités d'une société en changement permanent. En outre elle est un "lieu d'apprentissage", qui apporte la formation technique initiale et permanente que l'Education nationale ne sait pas fournir.
Oui, mais comment parvenir à cet idéal ? La France doit revenir de très loin : les prélèvements obligatoires sur la production sont de 27,9% en France, contre 17,2% en Allemagne ; l'entreprise française investit insuffisamment, et, surtout beaucoup trop peu dans son outil de production, vecteur de la compétitivité ; le tissu économique local est détruit ; l'Europe n'a pas encore compris qu'elle n'était pas un "marché" mais une "union" qui devait faire pièce aux stratégies chinoises et américaines, etc., etc. Dans un pays en crise, avec son Etat dysfonctionnel (marqué, par exemple, par sa "décentralisation (...) étonnant Janus avec ses deux faces et une sorte d'incomplétude malgré ses 40 ans"), les forces qui ont fracturé le pays ont plus de puissance que jamais. La métropole pourrait achever la désertification des campagnes, la robotisation détruire l'emploi, sans en créer à nouveau, etc. Le noeud du problème, c'est le territoire, et sa renaissance ("ancrer la richesse, dans les territoires y compris ruraux").
En fait, rien ne pourra se faire si l'on ne commence pas par se mettre d'accord sur un imaginaire commun. "il devra faire un lien entre une histoire et une vision. La nouvelle industrie, instrument de la cohésion nationale, sociale et territoriale, semble être la voie la plus prometteuse". Imaginaire qui doit s'illustrer à chaque niveau de la nation, en particulier à celui du territoire : "lorsqu'il existe le volet économique d'un projet de territoire est une référence puissante, mobilisatrice, et qui fait cohésion".
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