lundi 1 février 2021

La phénoménologie de Husserl pour les nuls


Phénoménologie ? On n'évoque jamais ce mot sans stupeur et tremblements. La seule chose que l'on sache est que c'est incompréhensible. Dans ces conditions, il n'y a probablement pas grand risque à en parler. 

Vocabulaire

Comme la philosophie, la phénoménologie utilise un vocabulaire qu'elle ne définit pas. En partant du sens commun de ce vocabulaire, on est certain de se tromper. Paradoxalement, le sens commun est bien présent, mais on ne le retrouve qu'une fois que l'on a compris le sens que lui attribue le philosophe. 

Voici une tentative de décryptage que je fais de quelques mots importants à partir de leur contexte :

  • Quel est l'objet de la phénoménologie ? Paradoxalement, l'incompréhensible phénoménologie a pour objet la véritable compréhension du monde !
  • Phénoménologie : étude des phénomènes. 
  • Les phénomènes sont ce qui constitue notre réalité, ce que nous manipulons : poire, masse, attraction terrestre, etc.
  • Ces phénomènes sont le fruit de "l'intersubjectivité transcendantale". 
    • Subjectivité s'oppose à objectivité. Subjectivité = sujet = nous. Sans un travail fait par l'esprit de l'individu, à partir de l'information qu'il capte ("l'apparence"), il n'y a pas de phénomène. 
    • Transcendantal s'oppose à immanent. Le phénomène résulte de l'interprétation que fait l'individu de ce qui lui apparaît.
    • Intersubjectivité : le travail d'interprétation est collectif (entre sujets), de même que la société définit des codes de lois qui s'appliquent à tous, leurs concepts et leur vocabulaire. 
  • La question que traite la phénoménologie consiste à appréhender correctement les phénomènes. La "réalité" est un phénomène interprété de manière optimale. Ce qui est effectivement une question cruciale. Notre jugement fait l'objet de biais. Par exemple, une photo d'une mine à ciel ouvert aurait été interprétée comme le triomphe du progrès, après guerre, alors que maintenant on la voit comme un désastre écologique ; écouter une voix à la radio donne une image (fausse) de l'animateur...
  • La technique qui permet de combattre ces biais est la "suspension" (époché). On suspend son jugement pour éviter le préjugé, et on cherche à capter le maximum d'informations. Ce n'est qu'alors que le phénomène apparaît sous son "véritable" aspect. Cette appréhension optimale est "l'intuition". C'est ainsi que le juge d'instruction instruit un dossier.
  • "Intentionnalité". La théorie de Husserl est une théorie de l'intentionnalité. L'intentionnalité, propre de l'homme, semble être ce qui nous permet de mettre en branle le mécanisme qui aboutit au phénomène. "L'intentionnalité" est ce qui transforme "l'apparence" en "phénomène".
Application

Il y a différentes techniques de "suspension", dont celle de Descartes, qui consiste à douter de tout, afin de voir ce qui surnage. Husserl les applique à plusieurs questions.  

  • Le temps. Son analyse fait penser à celle de Bergson (en beaucoup moins évoluée ?). Notre temps n'est pas celui des horloges. Je découvre avec surprise qu'il m'a fallu une demi heure pour lire une page de ce livre. 
  • Le corps. Le rôle du corps dans la subjectivité. Où l'on voit que Lévinas a peut-être beaucoup emprunté à Husserl. 
  • L'intersubjectivité. Réflexion sur l'intersubjectivité transcendantale, et comment elle se produit.
  • Le "monde de la vie". Cela semble être ce que les anthropologues appellent "culture". C'est le savoir commun, les vérités acceptées. Husserl attaque la science sans conscience moderne. La science se croit "objective". En réalité elle ressemble à Binet qui disait que l'intelligence était ce que mesurait son test. Elle définit ce qui est réel par ce qu'elle sait manipuler et comprendre ! Ce faisant, elle passe à côté de la vie. "On ne voit qu'avec le coeur, l'essentiel est invisible pour les yeux" dit Saint Exupéry. En fait, la science est elle-même une construction. Les mathématiques, par exemple, ne sont pas une vérité révélée, mais le fruit d'une très longue évolution. 
Observation 

Je n'ai sûrement pas fait un travail de suspension suffisant pour parvenir à la vérité concernant la pensée de Husserl. En tout cas, il touche à un point fondamental. Notre jugement, individuel ou collectif, tend à être gravement biaisé. Ce qui est extraordinairement dangereux. Il est probable que l'épidémie de coronavirus nous révèle, justement, que nous vivions jusque-là dans une inquiétante illusion. Il nous faudrait une science de la "suspension" (l'esprit critique des Lumières ?).

En revanche, je soupçonne que Husserl aurait pu profiter d'un cours de physique. En effet, derrière l'abstraction du propos, sa théorie semble résulter d'une simple observation de la vie courante. Or, l'étude de la physique laisse penser que cela ne mène nulle part. Pour expliquer les "phénomènes naturels" nous devons inventer de "l'inconcevable" (les atomes, la mécanique quantique, la relativité...). Peut-être, lui aussi, n'a-t-il pas fait une suffisante "suspension" ?

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