Marc Rousset, qui a mené une carrière de dirigeant international et a écrit plusieurs livres de géopolitique, a présenté son dernier ouvrage au club économie de l’Association des anciens élèves de l’Insead. C’est une réflexion sur la stratégie que devrait suivre l’Europe. Ce que j’en ai retenu :
- Il semblerait que parce qu’un de ses chapitres parle des problèmes que posera l’immigration en 2050 (50% des naissances proviendront d’immigrants non européens), il fait peur aux éditeurs et aux journalistes. La liberté d’expression serait-elle une illusion ?
- Si je comprends bien, il nous dit que notre monde, que nous croyons calme et paisible pour l’éternité va exploser. 1) L’illusion anglo-saxonne d’une « globalisation », dirigée par la religion des droits de l’homme se dissipe et laisse apercevoir partout la force centrifuge de cultures hostiles les unes aux autres. Avec l’effacement de la puissance américaine, ces tensions s’exacerbent dangereusement. 2) La disparition de la population russe (un tiers de population en moins d’ici 40 ans) laisse un vide que la Chine veut combler, d’abord en entrant en Mongolie puis en saisissant la Sibérie. Le Japon devient un satellite chinois. L’Allemagne pourrait être tentée de prendre sous sa coupe l’Europe centrale. La Turquie est elle-aussi attirée par ses anciennes zones d’influence, en Asie. La France, victime des illusions du libre échange a laissé s’installer chez elle le modèle américain. D’où, comme aux USA, forte immigration économique, qui ne partage pas les valeurs culturelles des indigènes (en déclin démographique accéléré), et risques de conflits violents lorsque cette population immigrée sera majoritaire ; disparition de l’industrie au profit de pays émergents et perte de savoir-faire. Quant à l’UE, l’Amérique l’a voulue faible pour pouvoir la manipuler. Comment peut-elle ne pas se disloquer ?
- Solution ? Reformer l’Europe de Charlemagne, principalement en quasi fusionnant France et Allemagne, établir des liens égaux avec Russie (qui absorbe Ukraine et Biélorussie) et USA. Éviter que l’Anglais ne devienne une langue universelle et ne détruise les langues, donc les cultures, nationales, en adoptant l’Esperanto.
Qu’en dis-je ? Diagnostic hautement vraisemblable : la tentative anglo-saxonne d’établir un ordre mondial a-culturel et a-social a échoué, et on est menacé d’un retour à la case départ, c'est-à-dire à un « choc des cultures » (propice à des guerres civiles plus qu’à des affrontements entre blocs). Mais la solution proposée n’est pas compatible avec mon expérience du changement (pas plus qu’avec celle du Marc Rousset redresseur d’entreprises, je soupçonne), trop théorique, rationnelle, « passage en force ». Mais le scénario est extrêmement intéressant, en particulier parce qu’il nous fait voir la Russie avec des yeux russes, et que cela donne un résultat bien différent de l'opinion anglo-saxonne.
L’intérêt du travail de Marc Rousset est considérable. Le monde affronte un énorme changement. C’est probablement dans l’ordre des choses : le changement est permanent. Mais le résultat de ce changement dépendra des mesures prises pour l’aborder. Si nous nous bouchons les yeux, comme nous le faisons aujourd’hui, le désastre est certain. Mais si nous regardons la question en face, et que nous envisageons les solutions possibles, il n’y a pas de raison que ce changement ne soit pas heureux.
Compléments :
- ROUSSET, Marc, La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou, Godefroy de Bouillon, 2009.
- Un complément à ce billet.
- Sur l’illusion américaine : Grande illusion. Avec un nouveau désaccord avec Marc Rousset : les délocalisations et la disparition de l’industrie occidentale ne s’expliquent pas en raison de coûts humains – ils ne jouent qu’un rôle infime dans la compétitivité d’une entreprise (essentiellement déterminée par son « capital social », ses compétences clés), mais dans la volonté d’une élite dirigeante, apatride, désireuse de mettre le reste de la population en concurrence parfaite.
- Sur l’histoire de Russie : Histoire de la Russie / Heller. Sur le rôle de l’Amérique dans la gestion du monde : Reluctant crusaders / Dueck ; et la création de l’UE, American visions of Europe. Tous ces travaux sont en accord avec M.Rousset.
- La disparition de la puissance américaine, garante de la survie de son modèle d’organisation de la planète, devrait conduire aux phénomènes qui ont été observés dans les révolutions, c'est-à-dire à la montée en puissance de forces jusque-là invisibles (c’est le résultat normal d’un changement non contrôlé). Exemple : Changement en Russie.
- Exemple possible des turbulences qui s’annoncent : Changement au Japon (suite).
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