Au fond, j’ai une très curieuse relation à Hannah Arendt.
J’ai lu son livre sur le totalitarisme il y a une dizaine d’années. Il ne
m’avait pas ému. Ce qu’il décrivait était ce que je voyais tous les jours.
L’entreprise fonctionne comme une meute, soumise au bon vouloir de son patron,
qui la restructure à sa guise. J’avais déjà noté le phénomène à mon entrée au
cours préparatoire (CP). La classe avait déjà un leader, un petit bonhomme
hyperactif, qui en faisait ce qu’il voulait.
Peu après le livre sur le totalitarisme, j’ai acheté la Condition de l’homme moderne. Mais je me suis vite arrêté. Car j’y ai perçu un grave danger. J’y ai vu un raisonnement
extraordinairement élégant. C’était le signe certain des menaces du jeu de l’esprit
qui se perd dans les plaisirs gratuits de son propre fonctionnement. Ce que les
démonstrations de mathématique et les raisonnements philosophiques ont en
commun. Je gardais donc le livre pour le jour où mon corps m’aura trahi.
Ce qu’il y a d’extraordinairement étrange dans cette
affaire, c’est que je viens de découvrir que je rejetais l’œuvre d’Hannah
Arendt au nom d’un des principes qui lui tiennent à cœur. Elle s’est
toujours battue contre le mal absolu de l’introspection !
En y réfléchissant, il me semble que c’est la maladie professionnelle de la philosophie, et, plus généralement, de la pensée. Pour parvenir à penser, il faut se retirer du monde. Il faut le voir de l’extérieur. Il faut s’abstraire de ses règles, qui contraignent notre esprit. (Rien de neuf : les Grecs disaient comme moi, il y a 2500 ans, au moins.) Mais, alors, il y a le risque de se faire piéger par les délices de l’abstraction, de la « raison pure ». Il faut être capable de s’en tirer pour revenir au monde. Et ce va et vient est douloureux. Avant de rencontrer Hannah Arendt, je le représentais comme le bond du dauphin, qui passe de l’eau froide et sombre à l’air brûlant et lumineux. Ou encore comme ma difficulté à m’y retrouver entre les personnalités de mes parents, l’un étant penseur contemplatif, et l’autre être d’action. Et moi l’un ou l’autre, alternativement.
En y réfléchissant, il me semble que c’est la maladie professionnelle de la philosophie, et, plus généralement, de la pensée. Pour parvenir à penser, il faut se retirer du monde. Il faut le voir de l’extérieur. Il faut s’abstraire de ses règles, qui contraignent notre esprit. (Rien de neuf : les Grecs disaient comme moi, il y a 2500 ans, au moins.) Mais, alors, il y a le risque de se faire piéger par les délices de l’abstraction, de la « raison pure ». Il faut être capable de s’en tirer pour revenir au monde. Et ce va et vient est douloureux. Avant de rencontrer Hannah Arendt, je le représentais comme le bond du dauphin, qui passe de l’eau froide et sombre à l’air brûlant et lumineux. Ou encore comme ma difficulté à m’y retrouver entre les personnalités de mes parents, l’un étant penseur contemplatif, et l’autre être d’action. Et moi l’un ou l’autre, alternativement.
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