« La principale
caractéristique de l’Etat français (…) réside d’abord dans la tâche inédite d’ordre
sociologique et culturel pour produire la nation, combler le vide provoqué par
l’effondrement des structures corporatives. » Livre de Pierre
Rosanvallon, Seuil, 1993.
« L’Etat, instituteur du social ».
1789 a
bâti la France sur une fiction, celle d’une société d’individus. Pour cela elle
a éliminé toutes les structures intermédiaires (les corporations, forme de
privilèges), qui sont le ciment d’une société. Il a donc fallu les remplacer. L’Etat
a dû assumer ce rôle. Par conséquent, il a une place centrale dans notre identité.
C'est pour cela que nos grands bonheurs collectifs, comme en
1789 ou en 1945, surviennent lorsqu'il prend en main la société et la propulse dans une croisade pour le progrès. C’est un « retour à l’origine de la culture politique
française ». Nous conservons toujours la « nostalgie » de ce « consensus
fondateur ». Nos divergences se transcendent dans une flambée
théorique !
Car, le moteur du pays semble l’utopie. Il se nourrit de magnifiques idées, totalement irréalistes. Elles mènent à l’impasse. Et il est bien obligé de s’adapter à la réalité. Mais il le fait à condition qu’on lui conserve ses illusions. En quelque sorte sa main droite ne veut pas savoir ce que fait sa main gauche.
Car, le moteur du pays semble l’utopie. Il se nourrit de magnifiques idées, totalement irréalistes. Elles mènent à l’impasse. Et il est bien obligé de s’adapter à la réalité. Mais il le fait à condition qu’on lui conserve ses illusions. En quelque sorte sa main droite ne veut pas savoir ce que fait sa main gauche.
Quelques exemples. Parmi les fictions qui l’ont nourri, il y
a l’ultra libéralisme des révolutionnaires de 89, et l’idée que le gouvernement
doit être l’émanation de la volonté du peuple. D’où le refus, longtemps, de l’existence
d’une administration, mais aussi la « tendance
permanente à gouverner en légiférant », la croyance en la puissance du décret supposé se
réaliser par sa seule promulgation.
L’histoire de l’Etat
est donc une suite d’ajustements apportés à un modèle théorique. L’Etat a d’abord
voulu modeler l’individu et le territoire. Mais la révolution pastorienne lui révèle
« que les individus ne peuvent plus être
appréhendés comme des monades isolées ». L’Etat devient « hygiéniste ». Sa tâche est
désormais la « protection de la
santé publique ». Il devient aussi « solidariste ». « Les
modes de régulation (…) ne peuvent plus simplement reposer sur le principe de
la responsabilité individuelle ». Le Français se protège de l’aléa en
adhérant à des mutuelles. Après guerre, Keynes lui révèle que l’économie n’est
pas une loi de la nature, qu’il faut subir. On peut la manipuler. « Etat keynésien ». Il installe la
sécurité sociale. Reconnaissance d’une promesse faite (partout en Occident) à
la société : « reformulation
symbolique du contrat social (qui donne) un sens au combat en préparant un nouvel ordre social ». C’est une « dette morale de guerre ». Cet Etat
est, surtout, « modernisateur ».
« Exorcisme global et sans nuance du
passé », tentative de refondation de la nation ?
Dans cette histoire,
les phases non démocratiques (Royauté, Empire, Vichy) semblent nécessaires.
Ne sont-elles pas la reconnaissance que la théorie est dans un cul de sac ?
Sans utopies pour les faire oublier, leurs régimes doivent corriger les
dysfonctionnements du pays. On reconstitue alors des corps intermédiaires (les
instituteurs, par exemple, ou les « conseils
supérieurs ») ; sous Vichy apparaît l’Etat planificateur. Ces
structures sont alors le véhicule d’une nouvelle flambée théorique. Les corps
intermédiaires se transforment en missionnaires. Instituteurs, polytechniciens
ou énarques d’après guerre.
Depuis la crise, nous sommes en panne d’utopie. Gueule de
bois.
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