Une raison en est qu'il a été reconstitué après la mort de Proust. Si bien que certains passages n'ont pu être décryptés, et que l'enchaînement entre passages prête à confusion. Il me semble qu'il y a des incohérences et des répétitions.
Mais, après tout, Proust ne disait-il pas qu'il connaissait la fin de son livre, avant de se mettre à l'écrire ? Eh bien, je ne suis pas convaincu que ses idées n'aient pas changé en cours de route. Car elles me semblent confuses. Or, ce qui se conçoit bien...
De quoi s'agit-il ? En gros, le narrateur retrouve la société qu'il a décrite jusque-là, après une longue absence. Tout a changé. La vieillesse a fait des ravages. Et l'ordre social est sens dessus dessous. Les escrocs d'hier sont les gloires d'aujourd'hui, et les personnalités qui dominaient, hier, la haute société, sont oubliées, ou ridiculisées. Lui-même est un raté, ce qui n'a pas changé. Mais il a une illumination : il porte une oeuvre. Et cette oeuvre, c'est la madeleine. Dans ce qui semble une récupération de la pensée grecque (pour les nuls ?), Proust estime qu'il existe des vérités immanentes, les "idées", et que ces idées, d'ailleurs, sont matérialisées par les dieux antiques. Le rôle de l'artiste est de les révéler. Ce faisant il révèle, aussi, la réelle nature du "temps", que nous masque les artifices de la société et de la raison. Ce qui semble être, cette fois, la théorie de Bergson, son cousin. C'est ainsi, probablement, qu'il faut interpréter "temps", dans "temps perdu" et "temps retrouvé" : la véritable nature du "temps". Malheureusement, toute son oeuvre dépend de sa mémoire, et, comme moi, il la perd. Et la mort s'approche, qui pourrait l'empêcher de mener à bien sa mission.
Malheureusement, aussi, ses vérités éternelles me semblent un tissu de banalités. Ce qui me plaît, ce sont des phrases comme : "ces vieux archevêques sur lesquels il n’y a de solide que leur croix métallique et vers lesquels s’empressent les jeunes séminaristes". C'est brillant, élégant, léger, impertinent. De même son analyse de la guerre de 14, dont il voit l'arrière, est remarquable. Mais ces moments de grâce sont rares.
Pour moi, Proust est un anthropologue. Il a le talent de faire revivre une époque. Il pratique la "thick description" de l'anthropologue Clifford Geertz. Et, probablement, pour peu qu'il s'en donne la peine, d'en voir les dessous avec une surprenante honnêteté intellectuelle. L'innocence de celui qui voit le roi nu.
Le plus curieux dans cette oeuvre est sa séduction. Quand on la compare à celle de Tolstoï, de Joyce ou de Virginia Woolf, qui traitent, eux aussi, du temps et de l'instant, elle paraît extraordinairement mal construite. Ce sont eux les artistes, pas lui. Et pourtant quand on a lu Proust, tout semble faux. Une idée de Bergson : l'artiste ne peint pas le monde, il en change notre perception ?
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