mercredi 20 février 2008

Urgences, entreprise, changement

Urgences d’un hôpital de banlieue. On y entend beaucoup crier. Mère bohémienne qui ne veut pas être séparée de son fils ; accidenté qui a peur pour sa vie ; parents qui s’impatientent de voir que l’on ne s’occupe pas de leur enfant ; paumés qui prennent les urgences pour un asile de nuit et réclament leur repas.

Dans l’entreprise, le changement révèle des tentions de même nature, mais plus complexes à déchiffrer, plus insidieuses, et plus redoutables. On ne craint pas pour sa vie, ou pour celle des siens, mais, bien plus souvent pour son confort. On s’est trop souvent enfoncé dans une sorte de paresse intellectuelle, et on a, inconsciemment, peur de ne pas être capable de faire face aux responsabilités de sa position, dont on se fait une idée erronée. Pour ne pas révéler ces « déchets toxiques » (une expression de psychologue), on est prêt à toutes les bassesses, et on peut compter sur l’appui implicite de ses pairs, tous dans la même situation.

Comment naviguer dans cette irrationalité ? Le spécialiste de conduite du changement ne sauve pas des vies, il « sauve des faces ».

lundi 18 février 2008

L'éventail du vivant, de Jay Gould

GOULD, Stephen, Jay, L'Eventail du vivant, Seuil 2001.

La nature a une tendance à la complexité « à la marge », mais pas « en moyenne ». Le monde pris dans sa globalité ne devient pas de plus en plus complexe : à chaque étape de sa progression, la nature tente, en même temps, des versions complexes et simplifiées des modèles existants, et le hasard retient celui qui continuera sa carrière. De temps à autre une catastrophe balaie les modèles les moins rustiques, qui sont les plus fragiles. La complexité n’a donc pas de véritable avantage concurrentiel. L’évolution ne tend pas vers l’homme, qui serait son couronnement, elle l’a plutôt laissé apparaître par distraction. D’ailleurs s'il disparaissait elle lui substituerait sûrement un autre être complexe, mais qui ne lui ressemblerait en rien.

mardi 5 février 2008

Chester Barnard juge le dirigeant

Suite du billet précédent : dès qu’un scandale touche une entreprise, invariablement se pose la question de la responsabilité de son dirigeant.

Chester Barnard, théoricien de l’organisation et patron, a proposé un modèle du rôle du dirigeant qui peut faire office de grille d’évaluation :
  • Le dirigeant est le gardien des règles de la société (de sa culture, au sens ethnologique du terme) : il ne tolère pas la transgression, les « tricheries », les facilités douteuses, les bricolages… 
  • Face à un choix complexe, qui semble appeler à une innovation malsaine, il sait faire émerger une solution conforme. Plus exactement, il sait utiliser son organisation pour trouver cette solution.
  • Mieux, il sait comme personne motiver ses équipes. Il crée la « foi », en faisant évoluer les règles de la société, en donnant de nouvelles ambitions à l’entreprise, en transformant son identité.

Pour en savoir plus :

  • BARNARD, Chester,  The Functions of the Executive, Harvard University Press, 2005.

vendredi 1 février 2008

Société Générale et contrôle culturel

Les malheurs de la Société générale (sur lesquels je n’ai aucune idée) s’associent bizarrement dans mon esprit à un certain nombre d’enquêtes qui ont eu lieu aux USA : sur Enron, sur l’explosion d’une raffinerie de BP, sur la chute de la navette Columbia…

  • À chaque fois elles ont conclu à un problème culturel : la culture de l’entreprise donnait de mauvais conseils à ses employés (généralement elle leur faisait prendre des décisions exclusivement en termes économiques). Le mot « culture » est ici employé dans le sens que lui donnent les ethnologues : ce sont les règles (essentiellement implicites), qui guident le comportement des membres du groupe.
  • J’ai rencontré récemment plusieurs gestionnaires de portefeuilles. Tous étaient conscients des risques qu’ils courraient (certains géraient des portefeuilles plus gros que celui de Jérôme Kerviel), et de la possibilité de l’erreur humaine. Tous étaient émus des malheurs de la Société Générale. Tous ne pouvaient pas s'empêcher de parler de leur expérience. Sans exception, eux et leurs collègues avaient commis ou failli commettre une grave erreur au début de leur carrière (des pertes de dizaines de millions d’euros semblent courantes). À chaque fois c’était un supérieur hiérarchique, un « ancien » respecté, qui avait détecté l’erreur et l’avait utilisée comme apprentissage. Ça semblait presque un rite de passage. Par exemple, on m’a raconté l’histoire d’un dirigeant qui observait en permanence l'attitude de ses collaborateurs : s’il les voyait préoccupés, il les convoquait dans son bureau. À chaque fois il avait vu juste : ils étaient en passe de faire une erreur grave.
Bref, une culture fiable est le fait d’une relation étroite entre hommes, d’une entraide permanente, mais aussi d’un renforcement régulier de ses principes fondateurs. Quel est le rôle du dirigeant dans la construction d’une telle culture ?
  • D'après certains observateurs, le dirigeant compétent qui prend la direction d’une société bâtit son contrôle de gestion. Il met en place les mécanismes qui lui permettent de s’assurer que ses personnels réagiront comme ils doivent le faire en face d’un aléa. Qu’il le veuille ou non, le dirigeant crée une culture à son image.
  • Le Dr Chatman, de l’Université de Californie à Berkeley, observe au sujet de la faillite de la société Enron :
Si la culture de la société accepte la tricherie comme un moyen d’avancement, elle tendra à conserver des employés qui sont à l’aise avec l’idée de tricher, y compris vis-à-vis de leur société.