mardi 22 janvier 2008

William Johnston: Master class en conduite du changement

Ma réflexion sur la transformation de la France me ramène à William Johnston, qui a rendu visite l’an dernier au Club économie. William Johnston passe quelques années de son enfance en France. Il en tombe amoureux et décide d’y revenir. Mais il veut aussi faire fortune. Objectifs incompatibles. La passion l’emporte sur la raison. Il interrompt une carrière prometteuse, et s'installe en France.
  • Premier enseignement : la conduite du changement à l’américaine. Même s’il est victime de coups de cœur, l’Américain ne perd jamais le contact avec la rationalité économique. William Johnston procède par étapes. D’abord, il s’inscrit à l’Insead, ce qui lui permet d’être à pied d’œuvre, en France. Il s’interroge alors sur comment y faire fortune. Il cherche un moyen qui soit compatible avec ses compétences. Il en arrive, après pas mal de réflexions, à la vente d’immobilier. C’est un métier qu’il ne connaît pas. Il se fait embaucher par le meilleur spécialiste du secteur, et y « étudie » pendant 8 ans. C’est alors qu’il abandonne cette situation solide, et se jette à l’eau. Il s’est entouré des meilleurs avocats, experts…, un investissement incompréhensible pour un Français, mais qui lui semble d’un intérêt évident. Il investit, en fonds propres, sur de gros projets immobiliers. Mais soit qu’il avait mal estimé le marché, soit qu’il ait été victime d’un dédit, il n’arrive pas à placer ces affaires. La peur ne le paralyse pas, au contraire elle semble le stimuler. Par exemple, il comprend qu’il faut équiper un appartement qu’il a acheté. Et ça marche. Et il finit par réussir. Plus tard, la crise immobilière ne le touche pas : il sait prendre des risques calculés, ce qui n’était pas le cas de ses collègues français qui ont joué au tout ou rien. Intéressante étude ethnologique. L’Américain calcule mieux ses risques que le Français, il sait évaluer les moyens dont il a besoin, et investir ce qu’il faut, notamment le temps, pour se les donner. Nous en sommes incapables. La transformation actuelle de la France va-t-elle amener nos descendants à acquérir quelques-uns des talents de William Johnston ?
  • Deuxième enseignement : le potentiel de la France. Dans l’annonce de l’événement, j’avais laissé entendre que la France était un Eldorado. Publicité mensongère ! s’exclame un participant. Pas du tout répond William Johnston : aux USA, il y a une telle concurrence que le moindre avantage concurrentiel est balayé immédiatement. La France est d’une irrationalité culturelle (et réglementaire) irritante, mais une fois que l’on y a un petit avantage on le garde longtemps, sans grands efforts. La France de demain sera-t-elle plus rationnelle ?

mercredi 16 janvier 2008

Origines des techniques de conduite du changement

2 écoles inspirent les techniques de conduite du changement :
  • Celle des grands cabinets de conseil anglo-saxons. Elle a pour origine Frederick Taylor, dont le travail a consisté à déterminer les procédures (suites de mouvements) que devaient faire les membres d’une entreprise pour travailler le plus vite possible.
    C’est de cette idée que viennent des expressions qui nous sont familières : « meilleure pratique » (= meilleur procédure), « benchmarking » (recherche des meilleures pratiques), « reengineering » (reconstruction de l’entreprise autour des « meilleures pratiques »), « knowledge management » (enregistrement des « meilleures pratiques »), progiciels de gestion (qui aident l’entreprise à suivre les « meilleures pratiques »)…
    Les techniques de changement qui en sont déduites sont du type « big bang ». Un « schéma directeur » détaillé explique à chacun ce qu’il doit faire. Elles sont programmatiques.
    Cette approche a une faiblesse : elle veut piloter l’homme par des « programmes ». Cela demande que l’entreprise ait une structure simple, hiérarchique (celle de l’armée). Mais, cette structure n’est pas efficace, parce qu’elle ne réagit pas vite : il est très difficile de prévoir l’avenir et d’en déduire un programme pour des milliers de personnes.
  • Celle des sciences humaines, que l’on appelle souvent « systémique » (cf. les techniques de coachs). Elle apporte au changement les acquis de psychologie : elle ne considère pas l’homme comme une machine (défaut de l’école précédente), mais comme un être humain.
    Elle provient, aussi, d’un très important mouvement scientifique de l’après seconde guerre mondiale, qui a découvert que le groupe humain n’était pas une collection d’individus, mais une sorte « d’être », qui avait ses propres règles. Connaître ces règles permettait de faire évoluer le groupe sans en programmer chaque individu, sans moyen (« effet de levier »). On parle plus volontiers aujourd’hui de « théorie de la complexité » (un de ses axes est la modélisation mathématique des phénomènes sociaux).

Dans les faits, il y a interpénétration des deux courants. En théorie, le second est beaucoup plus efficace parce que basé sur les avancées scientifiques les plus modernes. Cependant, il ne « parle pas » le langage de l’entreprise (qui veut réduire ses coûts, augmenter la productivité de ses bureaux d’études, mesurer la rentabilité de ses investissements…), ce qu’a appris à faire le premier depuis plus d’un siècle.

mardi 15 janvier 2008

Christian Kozar et le Reengineering de l’économie française

J’ai invité Christian Kozar à venir parler au Club économie de son expérience du changement en France.
  • Cet ancien officier supérieur a non seulement été le premier préfet des banlieues, mais aussi au cœur des réorganisations d’Air France (hub) et du courrier de la Poste (il a fermé tous ses centres de tri, pour les ouvrir ailleurs). Nous croyons tous que la France est irréformable, or, il s’est attaqué aux bastions mêmes de ce que l’on dit être la résistance au changement, et rien ne s’est passé. (D’ailleurs les menaces étaient bien plus nombreuses qu’on serait tenté de le croire : qui soupçonnerait, par exemple, les élus locaux ? Et pourtant ils avaient une raison extrêmement forte : ils craignaient que leurs bureaux de poste communaux soient victimes des réformes de la Poste.)
  • Le changement a réussi, sans même que l’on en parle ! Dans un certain sens les potentiels résistants ont été les meilleurs alliés du changement. Secret de Christian Kozar ? Probablement ce que j’appelle la technique du « Feedback de groupe » : il a su mettre au jour les « questions qui fâchent », ce que certains nomment les « déchets toxiques », et de faire de leur résolution la responsabilité de tous. 
  • Ce qui rend le déchet toxique dangereux est que l’on croit à tort que le dysfonctionnement de l’organisation qu’il représente est dû à une ou des personnes (les élus, les employés des centres de tri…). Se sentant menacées, elles bloquent le changement. Le Feedback de groupe montre que les problèmes à résoudre concernent l’organisation et non l’individu (par exemple l’emplacement des centres de tris ne correspondait plus aux modes de transport modernes). Du coup, chacun participe à leur résolution avec enthousiasme.
  • Pour repérer ces déchets toxiques et guider le processus de réorganisation de l’entreprise, il faut une bonne connaissance de l’homme et du groupe humain, notamment pour entendre ce qu’il ne veut pas dire… Interrogé sur la question, Christian Kozar m'a dit que c'était sa principale qualité.
Sur la manipulation des déchets toxiques : FROST, Peter, ROBINSON, Sandra, The Toxic Handler: Organisational Hero and Casualty, Harvard Business Review, Juillet-Août 1999.

vendredi 11 janvier 2008

Amazon et Destruction Créatrice

Il y a quelques temps j’ai été sollicité pour signer une pétition en faveur d’Amazon. Son activité de vente de livres sur Internet avait été condamnée par la justice française pour ne pas faire payer les frais de livraison à ses clients. (Je n'ai probablement pas bien compris : ses concurrents semblent avoir les mêmes pratiques, mais n’intéressent pas la justice…) Amazon ayant été attaqué par le syndicat des libraires, j’en suis arrivé à m’interroger sur le sort des membres de cette profession.

Il me semble qu’il y en a de moins en moins. Dans le Quartier latin, par exemple, ils sont souvent remplacés par des magasins de vêtements. Comment sauver le libraire français ? Je me suis souvenu des études de marché que je menais il y a quelques années. Qu’est-ce qui faisait qu’une boutique (marchand de journaux, pharmacie…) vendait ?

  1. Massivement la publicité.
  2. Mais tout aussi spectaculairement la personnalité de son patron. Ce dernier facteur expliquait des ordres de grandeur de 30%. Parfois énormément plus : une boutique reprise suite à une faillite employait 5 personnes, et dans une région économiquement sinistrée. Grâce à lui des distributeurs de presse ne perdaient pas de ventes en dépit d’implantations de grandes surfaces…

Une étude que j'avais faite pour le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale lui a d'ailleurs fait penser que le seul moyen de défendre les ventes de ses titres était de favoriser l’implantation de marchands de journaux dynamiques.

Conclusion ? Et si le libraire souffrait d’une concurrence indirecte d’autres professions qui savent mieux attirer que lui le chaland ? Et si le libraire était la victime indirecte du fait que le livre est moins bien promu que, par exemple, le vêtement ? Illustration de ce que l’économiste Joseph Schumpeter a appelé la Destruction créatrice, avatar de la sélection naturelle de Darwin ?

Et si la véritable nature du danger pour l’entreprise n'était pas directe mais indirecte ? Les entreprises partagent les mêmes ressources (notamment les revenus de la population). Il suffit que certaines les monopolisent ou les détruisent, pour que d’autres en soient privées. C’est cela qui force l’entreprise à se remettre en cause en permanence, à innover. C’est aussi cela qui fait qu’il n’est pas réellement dangereux pour l'économie qu’une entreprise soit en monopole. Et si, paradoxalement, les concurrents directs d’une entreprise n'étaient pas ses ennemis, mais ses alliés ? Le libraire a intérêt à ce que nous continuions à lire des livres. Pour cela ils doivent être promus par des acteurs puissants.

Compléments :
  • Joseph A. SCHUMPETER, Capitalism, Socialism, and Democracy, Harper Perennial, 3ème edition, 1962.

mercredi 9 janvier 2008

Amélie Faure, France et innovation

Début 2007, Amélie Faure, alors P-DG de l’éditeur de logiciel Pertinence, et spécialiste du redressement de start up, était venue entretenir le Club économie de la France et de l’innovation. Quelques mois plus tard, sa société était achetée par Intercim, un concurrent américain (elle est maintenant P-DG d’Intercim Europe). L’histoire est intéressante :
  • Pour elle la France fournit des conditions propices à l’innovation : aides considérables, personnels de très haut niveau (dans son domaine d’activité, la France possède les meilleurs chercheurs mondiaux)…
  • Mais voila, ce qui caractérise aussi la France c’est un marché exceptionnellement frileux vis-à-vis de tout ce qui est nouveau, et, pire, qui préfère tenter de réinventer plutôt qu’acheter.
  • Que faire ? Partir à l’étranger, et notamment aux USA : tout ce qui peut y démontrer un retour sur investissement rapide y trouve un marché. Et, effectivement, la société est à peine installée qu’elle est achetée par Intercim.
  • Cette courte aventure confirme une remarque que me faisait Aurélie Barbaux de l’Usine Nouvelle : les quelques grands innovateurs français (Dassault Systèmes, Business Objects…) ont pu réussir parce qu’ils sont immédiatement sortis du marché français.
Qu’en déduire ?
  • Le gouvernement semble parier sur l’innovation pour développer l’économie française, mais comment faire si son marché lui est hostile ? En mineur, comment éviter que les investissements qui lui sont consacrés ne profitent à d’autres pays ?
  • L’innovateur doit certainement envisager très tôt de bâtir des filiales à l’étranger. Attention à ne pas s’épuiser à tenter de convaincre le marché national.

lundi 7 janvier 2008

La fabrique du crétin : la France de Dickens?

BRIGHELLI Jean-Paul, La fabrique du crétin : La mort programmée de l'école, Jean-Claude Gawsewitch, 2005.

Le dynamitage de l’ascenseur social français. Il suffisait de rattacher les élèves aux écoles les plus proches de leur domicile. Il se trouvait que les post soixanthuitards rêvaient d’appliquer leurs théories révolutionnaires à l’enseignement. Ils ont donc ravagé les quartiers les plus pauvres, qui pouvaient le moins se défendre. Les autres ont conservé un enseignement classique, et donc l'accès aux formations qui ouvrent les portes du pouvoir et de la richesse. D’où une France de classes, qui ne se renouvelle plus, terrain propice à un capitalisme que l’on croyait relégué à l’Angleterre du 19ème siècle ?

dimanche 6 janvier 2008

Conduite du changement en France

Pourquoi parle-t-on tant de « conduite du changement » ? 
  • Traditionnellement le changement en France est un processus à long terme, planifié (cf. la reconstruction d’après guerre), programmatique.Or, progressivement, elle adopte les cycles de transformation du capitalisme international.
  • Ceux-ci forcent les entreprises à des changements fréquents. C’est pourquoi le « changement » est une préoccupation de tous les dirigeants anglo-saxons et qu’il est un sujet majeur d’étude pour les sciences du management, depuis des décennies. Conformément à ce modèle, le changement n’est plus majoritairement le fait de l’État. L’individu, qui longtemps a eu pour rôle l’application de plans définis par sa « hiérarchie », est concerné au premier chef.
Conséquence. Le manager, notamment, doit apprendre à « conduire le changement ». Il a besoin de techniques simples qui permettent des changements rapides et maîtrisés, et qui ne réclament pas plus de ressources que celles dont il dispose.

vendredi 4 janvier 2008

Choisir une formation à la conduite du changement

La conduite du changement s’apprend comme toute activité humaine, en particulier la conduite automobile: partez d’un problème de management qui vous préoccupe et essayez de le résoudre.

Qu’attendre d’une formation ? L’aide d’un moniteur d’auto-école. Il vous apporte quelques bases, le code de la route. Mais, surtout, il vous observe à l'oeuvre et vous donne les deux ou trois conseils qui vous mettent dans le droit chemin. Ensuite tout est pratique, entraînement. Doc, questions à se poser :

  • La formation va-t-elle me mettre au volant ? me mettre en situation de réaliser un changement ?
  • Le « formateur » sera-t-il un bon moniteur d’auto-école ? Autre métaphore utile : sera-t-il un bon « entraîneur » ?

jeudi 3 janvier 2008

Qui doit se former à la conduite du changement?

Quelques idées sur le changement et son apprentissage. Pour commencer, quelques personnes concernées :
  1. Tous ceux qui managent des hommes, qu’ils dirigent une entreprise ou une équipe.
  2. Les métiers qui doivent conseiller les initiateurs de changement (par exemple les directions des ressources humaines).
  3. Les métiers à qui l’on demande les moyens du changement (direction des systèmes d’information, direction du contrôle de gestion…)
  4. Les fonctions dont les recommandations doivent entraîner des changements (auditeur interne, chef de produit…).
  5. Les fonctions qui sont appelées à intervenir dans la mise en œuvre du changement (contrôleur de gestion, organisateur, qualiticien…)
Pourquoi doit-on se former au changement ?
  • Le manager. L’aptitude au changement est désormais ce qui fait ou défait les carrières. Or, l’Education nationale ne nous forme pas pour changer, mais pour appliquer, pour administrer, pour manager.
  • Les membres de l’entreprise. Ils se trouvent entraînés dans le changement sans savoir où ils s’engagent. Ne s’étant pas donné les moyens de réussir, non seulement ils contribuent à l’échec du changement, mais encore on leur reproche bien plus que ce dont ils sont la cause.
    Par exemple, les ressources humaines sont accusées de ne pas avoir fourni de conseils pertinents (qu'on ne leur a pas demandés) ; souvent la direction des systèmes d’information, qui ne fournissait qu’un moyen au changement (d’ailleurs qu’elle a rarement choisi) fait les frais d’un échec qui pourtant n’a pas de cause technique…
    Une formation au changement permet de repérer les moyens nécessaires pour réussir.Et d'en tirer une sorte de contrat : comment prendre des engagements que l'on sait tenir sans risques.

mercredi 2 janvier 2008

Définition universitaire de changement

Les idées sur le changement de quelques sciences et scientifiques :
  • Herbert Simon explique que la société est « organisée » pour que nous soyons « rationnels », c'est-à-dire que nous obtenions ce que nous désirons (c’est ainsi qu’il définit rationalité). Bien entendu nous avons en partie adapté nos désirs à nos possibilités. Mais de temps en temps il y a des choses que la société ne nous permet pas de faire, parce qu’elle ne l’a pas prévu. Alors nous devons la « changer », ou réduire nos ambitions.
  • La complexité de la question tient à ce qu’en général nous n’avons pas une vision claire de ce que nous devons faire, nous ne comprenons pas que nous devons changer : notre vie semble déréglée, plus rien ne réussit, c’est le mécanisme de la dépression (cf. travaux de Martin Seligman).
  • Soyons plus précis : ce qui rend la société « organisée », ce sont des règles explicites (code de la route), ou implicites (comment se comporter, se vêtir…). Ces règles sont ce que l’ethnologie appelle la « culture ». Quand elles nous donnent des recommandations efficaces nous sommes « heureux » (c’est ainsi que le sociologue américain Edgar Schein définit « culture »). Lorsque ce n’est pas le cas, c’est la déprime, donc. Le changement c’est faire évoluer ce « code de lois » de façon à le rendre efficace, quand il ne l’est pas.
  • C’est pourquoi on parle « d’effet de levier » (cf. Jay Forrester, un des premiers à modéliser les organisations – Dynamique des systèmes) : le changement demande très peu d’efforts, juste de modifier quelques règles. Par contre il requiert du talent et de l’expérience. C’est là qu’intervient mon travail.
  • Les théories sur le deuil, sur l’apprentissage des sociétés (Kurt Lewin) et de l’homme (Jean Piaget) peuvent aussi être évoquées pour décrire ces phénomènes.
Références:

mardi 1 janvier 2008

Paradoxe et histoire

Parmi les techniques scientifiques utiles au praticien, l'une joue le rôle d'une sorte de boussole. Elle fournit la mécanique qui fait avancer ce blog. C'est le paradoxe. Ce billet traite des caractéristiques de la technique du paradoxe :

Principe fondateur

Le  principe de la technique est le suivant. Ce qui nous paraît « bizarre » dans un comportement individuel ou collectif nous indique une logique qui n'est pas la nôtre. Si l'on parvient à la décrypter, alors il ne reste plus qu'à exprimer selon elle le changement, pour qu'il se fasse immédiatement. (Un exemple.)

Car les individus et les groupes ont des logiques. Nos comportements sont guidés par des lois, principalement inconscientes. C’est ce que les ethnologues appellent « culture ». Ces lois nous aident à résoudre les problèmes que nous pose la vie. Si elles sont efficaces, nous sommes heureux. Sinon, nous sommes déprimés. Elles s’héritent ou se créent lorsque nous rencontrons des questions nouvelles. Ainsi la fondation d’une entreprise est un moment de création culturelle.

Mais ces règles ne signifient pas que notre parcours est parfaitement balisé. Le hasard, le « chaos », joue un grand rôle dans nos existences. En outre quelles règles utiliser n'est pas toujours évident, de même qu'elles peuvent se contredire. Mais elles évoluent peu et ont un énorme pouvoir explicatif de nos comportements, surtout en ce qui concerne leurs tendances à long terme. Et elles semblent (souvent ?) pouvoir se ramener à un « principe » explicatif unique, selon l’idée de Montesquieu (L'esprit des lois).

Paradoxe et histoire

D’où une seconde technique utilisée par ce blog : enquêter sur l’histoire d’un individu ou d’un groupe (par exemple de l’Union Européenne) de façon à comprendre quel événement a pu les marquer et quelles règles en ont été déduites.

Finalement, ces techniques révèlent aussi bien la logique de l’observé que celle de l’observateur. Ecrire un blog amène à s'interroger sur les idéologies qui gouvernent sa vie...

Systémique et changement

Parmi les sciences du changement, une joue un rôle central dans la vie de ce blog : la systémique.

Aujourd’hui, nous considérons implicitement l’entreprise, la nation, tout groupe d’hommes, comme des machines à qui il suffit de donner des ordres. Or, un groupe humain est un « système ». Cette erreur explique pourquoi nos changements échouent.

Un système se caractérise par des mécanismes de maintien d’un certain nombre de paramètres (cf. le thermostat). C’est, par exemple, la température du corps pour l’homme, la rentabilité pour l’entreprise, le rythme d’applaudissement pour des spectateurs, la cadence de marche pour des promeneurs.

Un changement « systémique » se fait à l’envers de nos pratiques actuelles. Il part du bas vers le haut, prend l’organisation dans son ensemble, et crée une « boucle de rétroaction », qui permet de s’assurer que l’on atteint l’objectif désiré.

La systémique et ses avatars sont apparus il y a près d’un siècle. Les sciences du management en ont parlé dès le lendemain de la dernière guerre. D’ailleurs le message ci-dessus est celui de Peter Senge, du MIT (cf. l’organisation apprenante et la cinquième discipline).

L'originalité de ce blog est qu'il ne croit pas que la conduite du changement soit une question d’équations. C’est, au contraire, un problème d’intuition, d’émotion, et surtout de pratique : pour faire bouger un système, il faut être à l’intérieur ; ses mécanismes de transformation lui sont propres, et ne se révèlent que par le contact direct.

C’est pour cela qu’il est illusoire de vouloir dicter ses actes à tel ou tel gouvernement. Au mieux on peut lui faire des suggestions. Mais c’est à lui de choisir ce qu’il est capable de mettre en œuvre.

Notre vie se déroulant dans des « systèmes », nous avons appris à les manœuvrer. Pour améliorer nos techniques de conduite du changement, il faut repérer et généraliser celles qui réussissent dans notre quotidien. Il faut, surtout ?, identifier les personnes qui sont adroites à conduire le changement, et les utiliser à bon escient.

Les sciences du changement

Ce blog parle des sciences du changement. De quelles sciences s'agit-il ? D’ailleurs peut-on parler de science au sujet du changement ?

La question du changement a débarqué dans notre vie il y a quelques années pour beaucoup d’entre-nous. D’autres, rares, évoqueront les travaux de Michel Crozier, dans les années 60. D’autres encore diront peut-être qu’ils l’ont rencontré au hasard d’un cours de MBA (Organizational behaviour).

Alors, le changement, invention nouvelle ? Mode passagère pas très sérieuse, dont est coutumière l’entreprise ?

Eh bien non, depuis que la société humaine existe, elle étudie le changement.

Le Livre des mutations (changements) fonde la pensée chinoise. Quant à Platon, en bon occidental, il pense trouver dans sa raison l’organisation sociale optimale, l’objectif de tout changement. (Les consultants appelleraient sa cité idéale une « organisation cible ».)

En fait, la problématique du changement est liée à la question de la vie. Un des principes de la physique est la marche victorieuse du chaos, aussi appelée « croissance de l'entropie » . Mais alors, pourquoi la vie ? Et pourquoi la vie évolue-t-elle et ne maintient pas le statu quo (homéostasie) ?

Question fondamentale. Les sciences humaines sont quasiment exclusivement consacrées à cela. Les sciences « dures », qui les ont longtemps méprisées, ont redécouvert leurs résultats. En particulier la systémique d’après guerre, qui revient à la mode avec celle du développement durable, et la plus sophistiquée théorie de la complexité de l’Institut de Santa Fé.

L’économie ne parle que de changement. Mais, issue de la culture individualiste anglo-saxonne, elle tend à nier l’existence de la dimension sociale de la vie, et croit , pour son courant dominant, que le monde est fait d’électrons libres qui s’arrangent de manière optimale par un claquement de doigts.

Faut-il chercher « the one best way » de Taylor dans la science ? La cité idéale et la manière d’y arriver ? Non, l’avenir est imprévisible dit la théorie du chaos. Mais, la science ne nous laisse pas démunis. Elle nous livre, comme la philosophie d’ailleurs, des approximations, des modèles utiles à celui qui veut prendre une décision. Ils donnent un conseil efficace, quand leurs hypothèses sous-jacentes sont (à peu près) remplies.

Herbert Simon a intitulé son autobiographie « Models of my life ». C’est un peu le projet de ce blog. Pour chaque problème qu’il identifie, il recherche dans la science un modèle qui pourrait approximer le phénomène observé et donner quelques idées de comment pousser l'avenir dans un sens qui nous convienne.

Définition de changement

On parle depuis peu de « changement » et de « conduite du changement » en France. Du coup, on a l’impression qu’il s’agit d’une passade de consultants. En fait, c'est, depuis des décennies, voire des siècles, un sujet d'étude majeur pour la science.

Voici ce que signifie changement pour les sciences du management. (Ce n'est pas le sens que le Français donne à ce terme !)
  • « Conduire le changement » c'est 1) identifier la transformation que doit subir l'entreprise ; 2) la mener à bien.
  • Le « changement » c'est faire ce que l'on ne sait pas faire. C'est une évolution que l’entreprise ne sait pas mener à bien sans un travail d’adaptation préliminaire, qu'elle ne sait pas a priori par quel bout prendre.
    Acheter une nouvelle machine est rarement un changement. Par contre, ramener à la rentabilité une société qui est dans le rouge depuis une décennie l’est. Comme l’est arriver à faire démarrer à l’heure une réunion entre Français.
La règle du jeu de l'économie est l’innovation. L'utiliser ou s’y adapter. Ce qui signifie changement. C’est pour cela que la science du management a fait du changement son sujet d’étude principal. La problématique du changement est au cœur de l’efficacité de l’entreprise moderne.

(PS. Pour une définition de changement plus scientifique, les changements d'ordre 1 et 2 de Paul Watzlawick.)

Compléments :