L'oeuvre de Spinoza est compliquée. D'où deux dangers : soit vouloir la discréditer, pour ne pas avoir à se casser la tête à la décrypter, soit la vénérer sans la comprendre.
Il est possible qu'il y ait une autre façon d'aborder le problème. On peut constater que nous sommes poussés par des raisons que notre raison ne comprend pas. Plutôt que de les affronter, nous-nous mentons à nous-mêmes, et aux autres. En fait, ce sont ces passions qui nous mènent. Et, en faisant leur jeu, en croyant être cyniques, alors que nous nous abusons, nous menons la pire des existences.
Pour Spinoza, le bonheur, c'est la vérité. C'est parvenir, par la force de la raison, aux causes ultimes qui nous déterminent. Les sens sont trompeurs. Il croit, comme Descartes, qu'il y a des vérités évidemment vraies, et que, de là, par un raisonnement qui enchaîne les idées évidemment justes, on parvient à des conclusions parfaites. La preuve : la géométrie euclidienne. Venue de l'esprit, elle décrit le monde.
Tout ceci l'amène à conclure que nous sommes partie d'un tout, substance universelle, ou Dieu. Ce tout est atemporel.
Paradoxalement, le parfait engendre l'imparfait. Bien que nous soyions partie du tout, nous sommes imparfaits, et tout l'exercice de la raison consiste à s'immerger en Dieu. La liberté, c'est se libérer de ses illusions, pour rejoindre un Dieu totalement déterminé. C'est ainsi que l'on atteint le bonheur. C'est aussi ainsi que l'on découvre sa nature propre, le "conatus".
Autre paradoxe, cette quête n'est propre qu'à quelques hommes. Or, ils doivent vivre avec leurs concitoyens. C'est la partie pratique de l'oeuvre, en un temps de guerre de religions. La cité doit être réglée par la philosophie en ce qui concerne les virtuoses de l'esprit, et par la religion, pour les autres. La cité doit aussi avoir un système politique. On retrouve ici le type de réflexions des penseurs contemporains.
Commentaire : Spinoza est-il original ?
Spinoza aspire à la contemplation, ce qui est le Graal du sage grec. Son "monisme" est aussi la préoccupation principale de la pensée grecque, qui n'est "qu'un et multiple".
La similitude, surtout, est frappante entre ce qu'il dit et ce que l'on peut lire chez Marc-Aurèle, essentiellement un traité de stoïcisme. (Stoïcisme qui reprendrait des idées qui viennent de la nuit des temps.) A savoir, la nature bonne et parfaite, le "conatus", et l'idée qu'il faut vivre selon la nature, et sa nature (le conatus). Mais surtout l'exercice propre au stoïcisme qui consiste à se débarrasser des illusions produites par les sens, pour chercher, par la raison, la cause "réelle" des choses. C'est toute l'oeuvre de Spinoza.
Son originalité est peut-être de partir de l'idée de Descartes, selon laquelle il y a des vérités évidentes (je pense donc je suis). Mais, ce n'est pas nouveau : c'est ainsi que l'on prouve l'existence de Dieu : Dieu existe sinon je n'aurais pas pu en avoir l'idée.
Quant à la nature mathématique du monde, ce pourrait aussi être Pythagore (plus une pensée, voire une religion, qu'un homme ?).
Finalement, il entre dans un débat sur le bon régime pour la cité. On y retrouve Aristote et ses constitutions. Pour le reste, il est l'homme de son temps. C'est une ébauche de Montesquieu.
Au fond, n'illustre-t-il pas ce qu'il combat : au lieu de s'interroger sur ses motivations, il cherche à en faire des lois de la nature ?