jeudi 24 juillet 2008

Souvenirs de Tocqueville

TOCQUEVILLE (de), Alexis, Souvenirs, Gallimard, 2000.

Tocqueville a beaucoup parlé de changement. (Et de notre société actuelle. Et ce deux siècles avant qu’elle existe.) Dans cet épisode de sa vie, il traverse la révolution de 1848. Puis il est un moment ministre. Mais il démissionne lors du coup d'état de Napoléon III (qui semble l’apprécier). La France est perdue mais son honneur est sauf.

On l’y trouve égal à lui-même : il risque sa vie à chaque pas, et pourtant il réfléchit avec un parfait détachement. À tel point que je me demande s’il n’a pas plus de hauteur que les historiens modernes. Son comportement est l’exemple même du rôle qu’il aurait aimé que joue la noblesse. Un intermédiaire entre pouvoir et peuple. Un guide, un pasteur pour son troupeau ?

Son analyse de la révolution de 1848 : une lutte des classes. Avec 50 ans de retard la France a suivi la route de l’Angleterre : sa noblesse s’est alliée à la bourgeoisie. Le peuple, désormais seul, se révolte. Et il gagne, notamment parce que ses rangs comptent les soldats de la nation. Mais il est incapable de prendre le pouvoir.

Une réflexion...
Problème curieux : le peuple français, comme avant lui le peuple anglais, pensait que, puisqu’il produisait la richesse du pays, il était fort et que ses maîtres étaient des parasites. Pourquoi a-t-il échoué ? « Division des tâches » entre classes, et que l’une ne pouvait rien sans l’autre ? Mais la classe supérieure était riche, et la classe ouvrière n’en était pas réellement une : elle était encore moins solidaire que la classe possédante ?

C'est une question qui revient dans bien des changements. Notamment ceux qui visent à créer un groupe (création d’une entreprise, fusion de sociétés…). Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce que le groupe a de plus pressé à faire n’est pas de réaliser sa survie économique, mais d’assurer à chacun de ses membres une place qui lui convienne. Exemple : lors d’une acquisition, les barons de l’entreprise acheteuse cherchent généralement à agrandir leurs possessions au détriment de la proie. Ceux qui s’y trouvent défendent leurs intérêts avec acharnement. Tant pis pour la communauté. Comportement irrationnel ?

Lorsque la bataille se termine par une paix des braves (ce qui n’a pas été le cas en 1848, mais semble l’avoir été, par exemple, lors des guerres de ses dernières années entre protestants et catholiques irlandais), les tensions internes se relâchent et l’entreprise devient efficace parce que chacun a obtenu, dans le groupe, une place qui lui convient et convient à l'expression de son talent. Désormais, la meilleure façon de défendre ses intérêts est de jouer le jeu de l’équipe. S’il s’était mal défendu, l’organisation lui aurait donné une place incompatible avec ses compétences. Elle y aurait perdu. Défendre ses intérêts est dans l’intérêt de tous. Mais, une fois ses intérêts garantis, l’homme suit les règles communes quasiment de manière inconsciente. Repos du guerrier ?

Références :
  • Sur l’analyse des mécanismes de constitution d’un groupe : SCHEIN, Edgar H., Process Consultation Revisited: Building the Helping Relationship, Prentice Hall, 1999.
  • Sur l’apparition de la classe ouvrière anglaise et sa bataille pour obtenir quelques droits : THOMPSON, E.P., The Making of the English Working Class, Vintage Books USA, 1966.
  • Sur d'autres livres de Tocqueville : Louis XVI en leader du changement et Démocratie et changement.