WELLS, Spencer, Pandora’s seed, the unforeseen cost of civilization, Random House, 2010. L’homme a inventé la société pour le protéger de l’extinction, mais il l’a payé de sa santé et de son équilibre psychologique. C’est, en substance, ce que dit Spencer Wells, éminent généticien.
La particularité de l’espèce humaine est son adaptabilité quasi infinie. Celle-ci tiendrait aux caractéristiques du cerveau qui fait de l’homme un être social : il innove par la culture. Depuis les assemblées de chasseurs cueilleurs, le groupe humain est une « machine sociale » qui produit des idées, les teste et les affine.
Cette capacité d’adaptation culturelle se serait révélée il y a 70.000 ans, lorsque l’explosion d’un volcan transforme le climat terrestre et réduit nos ancêtres à quelques milliers de personnes. Mais elle donne sa pleine dimension il y a 10.000 ans : invention de l’agriculture. Celle-ci résulterait d’une autre catastrophe climatique. Un réchauffement étend le territoire des céréales. La nourriture devenant abondante, les chasseurs cueilleurs se sédentarisent et se multiplient. Nouvel âge glacière : ils sont piégés, ils ne peuvent plus partir. C’est alors qu’ils créent l’agriculture, un moyen de maintenir ce dont ils ont besoin pour vivre sur place. En découle une explosion démographique, l’apparition des formes modernes de l’État, et la guerre : plus question de fuir, il faut défendre ses biens.
Si la société a protégé l’espèce elle prive l’individu de sa liberté et le soumet à une succession accélérée de fléaux. Tout d’abord, elle provoque un nombre étonnant de mutations de son génome. On lui doit aussi toutes les épidémies - elles ont pour origine la cohabitation de l’homme et des animaux, sauf la malaria, qui, elle, doit son succès moderne aux transformations de l’environnement provoquées par l’agriculture. Et il y a l’hypertension et le diabète, inadaptations de notre être à notre alimentation. C’est maintenant le tour du stress, des maladies psychologiques qui font la fortune de l’industrie du tranquillisant « pour la première fois dans notre histoire, nous nous droguons pour paraître normaux ». Notre système immunitaire vit la société comme une agression permanente. Enfin, le génie génétique donne désormais à celle-ci les moyens de manipuler notre génome et de construire ainsi notre descendance. L’être humain étant le fruit d’une évolution de plusieurs millions d’années, il est probable que ce bricolage eugénique dépasse en conséquences dévastatrices tout ce que la société a commis jusque-là.
Que faire ? La crise environnementale qui nous tend les bras sera un grand moment de créativité sociale. Il faut en profiter pour sortir de nos erreurs, et adapter notre culture à notre biologie, non plus l’inverse. Pour cela il nous faut comprendre que nos malheurs viennent de notre cupidité qui nous fait en vouloir toujours plus, ce qui déclenche des conséquences de plus en plus désastreuses pour l’homme, nous devons « apprendre à vouloir moins », et prendre un peu de leur sagesse aux derniers chasseurs cueilleurs qui nous restent.
Commentaires :
- Dynamitage du mythe du progrès. Antithèse de la pensée dominant le monde financier anglo-saxon, et la théorie économique, qui pense que la société est faite d’individus laissés à eux-mêmes, qu’il n’y a rien de tel que la « culture ». Retour aussi aux thèses de Rousseau et de Lévi-Strauss, cette fois-ci appuyées par toute la batterie de l’argumentation scientifique moderne.
- J’y retrouve les idées que développent mes livres sous un angle inattendu. En particulier, j’y parle « d’ordinateur social », moyen de transformation d'une « organisation ». Spencer Wells en fait la caractéristique même de l’homme. Plus curieusement, je trouve un écho à ma théorie selon laquelle ce qui a fait la différence entre nous et l’homme de Neandertal est notre aptitude sociale.
- Ce livre me fait me demander si les « droits de l’homme » ne sont pas une révolte de l’individu contre la main invisible de la société, et s’ils n’annoncent pas, effectivement, que nous allons chercher à la faire aller dans une direction qui nous brutalise un peu moins. Au fond, c’est le but des techniques de conduite du changement.