mercredi 21 avril 2010

Pourquoi la France est pauvre

Paul Krugman attribue le fait que nous soyons plus pauvres que les Américains à ce que nous avons choisi une vie de loisirs. J’ai un doute.

Mon billet sur Sarah Palin et mon observation de la vie des entreprises me font penser qu’il n’y a pas que les loisirs qui nous éloignent des Américains. Nos petites entreprises utilisent beaucoup moins d’avocats, de consultants, de publicitaires, etc. que les leurs. Les dirigeants français tendent à faire le plus de choses possibles seuls (avec parfois des conséquences regrettables, comme le dit un ami avocat).

S’ils parvenaient à dégager un peu plus de leur temps, en faisant plus appel à des experts (en supposant qu’il en existe de compétents), ils pourraient mettre au point de nouveaux produits ou découvrir de nouveaux marchés, ce qui les enrichirait et leur permettrait de payer les experts nécessaires.

Y aurait-il un marché pour les services ? Ce que nous appelons « croissance » est-il lié à une croissance de la spécialisation de la société ?

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a un dictum qui dit: you get what you want. Je pense que, tout basiquement, le système éco-politique (aka socio-économique) choisi par la France n'est pas un système qui recherche ou encourage la création de richesse. Son but est de donner à tous une égalité avec le bénéfice reconnu de moins de disparité entre le très riche et le très pauvre. Le but au Etats-Unis, à l'inverse, est de donner l'égalité des opportunités à tous (au début) avec la création des écarts de richesse qu'on connait.

Après, la notion de service est un beau sujet et en inter-entreprises (services de consulting, etc.) et dans l'économie de façon générale. Derrière le manque dont tu en parles dans ton billet, je considère le manque de "se donner les moyens" [d'engager des consultants, etc.] strictement lié au manque d'aimer de prendre des risques...

Christophe Faurie a dit…

Point de vue très intéressant!
Surtout ta remarque finale est très intrigante. C'est vrai que l'on est un peu rabougri.
Bill Belt (reprenant Max Weber) pense que le Français croit au "salut par la grâce" (i.e. c'est un assisté).
Rejoint ce que dit Alain Ehrenberg (voir billet récent)?

Anonyme a dit…

Le point d'Ehrenberg est très pertinent. Il faut savoir, dans un système "compétitif," accepter la possibilité de l'échec en contrepartie de la recherche du succès. J'ai envie de dire que plus on vise le succès, plus on doit s'attendre au risque d'échouer.

Pour élaborer sur mon point (qui est bien synthétisé dans la différence entre "venture capital" en anglais versus "capital risque" en français), la peur du risque est alliée avec la peur de perte de contrôle. Demander à l'autre de penser pour lui est presque considéré comme un aveu de faiblesse et, aussi, est une occasion de lâcher prise. De toute façon, pour qu'un consultant réussisse son travail, il faut pouvoir instaurer un aire de confiance avec les dirigeants pour engager les vraies conversations et échanges. Sans celles-ci, un travail demandé aura du mal à réussir dans la phase d'exécution ...

Christophe Faurie a dit…

Très très juste.
Ma réflexion actuelle m'amène exactement dans cette direction. Deux idées très importantes :
1) Le Français a peur du risque. Mais, avec raison : en France l'échec ne pardonne pas. Nous sommes une société "bureaucratique", qui n'a pas prévu que l'homme fasse autre chose que ce qui est organisé pour lui (par exemple, les entreprises ne savent embaucher que des débutants, un licenciement est une tâche dans une carrière dont peu de gens peuvent se relever…).
2) Il y a quelque chose de très profond dans cette peur de perte de contrôle. C'est certainement ce qui bloque le développement des services (notamment conseil), mais aussi celui de l'entreprise qui est paralysée par les limites d'un dirigeant qui n'arrive pas à déléguer.
Je ne sais pas très bien expliquer d'où cela vient. Il semble que pour travailler avec quelqu'un nous devions comprendre parfaitement ce qu'il fait. J'entends souvent dire : je ne comprends pas ce que raconte X, donc il est incompétent. Ce qui conduit à ne travailler qu'avec des "inférieurs", avec des pions.
Une logique de partenariat, ou de division des tâches, exige de travailler avec des gens dont le savoir-faire est "incompréhensible". Ce qui requiert que nous sachions les évaluer de manière indirecte.

En fait, il y a probablement une sorte de prédiction auto-réalisatrice ici : c’est parce que notre société n’est pas propice à la confiance et au risque, que nous ne prenons pas de risque et n’acquérons pas un savoir-faire qui nous permette d’être digne de confiance…

Le changement que nous vivons est probablement le passage d’un modèle à un autre. Le modèle social de l’État providence qui nous trouvait à tous un travail (indifférencié) a trahi sa mission. Nous allons vers un modèle anglo-saxon de spécialisation. Cependant, je pense comme Ehrenberg que nous nous arrêterons à un stade intermédiaire, la société devant aider l’individu à acquérir sa nouvelle autonomie, et le préparer au changement permanent qui est le propre du capitalisme (ce qui semble être le modèle d’Europe du Nord – mais c’est aussi le principe fondateur de « l’économie sociale » - mutuelles, associations, coopératives).

Anonyme a dit…

Ce qui me frappe dans ce que tu dis, c'est la notion de spécialisation et le rôle de l'Education. Je ne peux m'empêcher de penser que l'éducation française vise une "spécialisation" très tôt, tandis que le système américain permet une grande liberté au niveau des études qu'on arrive à l'âge de 18 ans du moins (Bachelor of Arts...). Et tout ça pour en terminer avec un "modèle anglo-saxon de spécialisation." Alors, quels changements (réalistes) doit-on effectuer au niveau de l'Education?

Christophe Faurie a dit…

L'éducation française paraît spécialiser, mais elle ne le fait pas. Elle sélectionne mais n'enseigne rien. Elle forme des gens qui ne savent rien mais pensent tout savoir.

Jusque là la spécialisation ne servait à rien, puisque c'était l'entreprise ou l'État qui avait de la compétence pour tous. C'était une sorte de logique coloniale ou d'ancien régime: il suffisait d'être ce qu'on était pour mériter son poste.

Je tends à penser qu'une logique de spécialisation est une logique de formation professionnelle : une fois une compétence reconnue, elle est développée au cours de la vie, et en fonction des événements, par un mélange d'expérience concrète et de formation théorique.