Einstein ridiculisé ?, me suis-je demandé. Curieux, aussi, que le monde actuel ait oublié Bergson. Car, de son temps, il a connu tous les honneurs, y compris le Nobel et une popularité de rock star, ou presque. Et c'était un atypique : premier prix du concours général en mathématiques (on lui avait même demandé de publier ses résultats !), il était l'élite des scientifiques de l'époque. Pourtant, il avait choisi la philosophie.
Bergson c'est l'anti-Kant. Kant a bâti son système philosophique sur l'idée que la mécanique classique a raison. Il en a déduit que les phénomènes naturels peuvent être parfaitement connus, mais pas ce qui les sous-tend. Bergson dit l'inverse. On peut se connaître soi. Mais pas les phénomènes, car ils sont transformés par notre subjectivité. Ne serait-ce que parce que l'inconscient appelle à l'aide le conscient uniquement quand il est en difficulté. Le reste du temps, nous sommes en pilotage automatique. Ce qui nous amène au sujet du livre : le libre arbitre. Pour Bergson, les décisions de l'homme résultent de ce que j'appelle des "little bangs" (au sens de "big bang"). Ce sont des conjonctions uniques, sans précédent et sans lendemain. Et le temps, le vrai, c'est cette succession de little bangs. Le temps, le vrai, est relatif à chacun d'entre-nous. Et le temps de la physique n'est pas le temps, le vrai, mais une modélisation. En fait, c'est de l'espace. La physique est statique et non dynamique : elle explique les évolutions de la nature a posteriori, après le changement, elle est incapable de dire ce qui se passe durant le changement. Du coup, il n'y a ni cause ni effet. L'impression de cause et d'effet vient de notre esprit modélisateur. Un tel esprit est bien pratique comme aide à l'action. Il simplifie le monde. Mais il est dangereux quand il est utilisé pour expliquer notre comportement. Ce faisant il menace de nous transformer en machine.
Paradoxe ? Le modèle des little bangs laisse entendre que "volonté" n'a pas de sens. Et pourtant Bergson semble penser qu'il faut vouloir échapper à la modélisation aliénante. Et qu'on le fait par l'introspection, en apprenant à se connaître soi-même. Peut-être l'homme a-t-il une sorte d'interrupteur ?, me suis-je dit. D'un côté, il peut se laisser séduire par Kant. Il devient un rouage social. De l'autre, il cherche à se connaître, et se place dans des conditions favorables aux little bangs. La recommandation de Bergson crée les conditions de la liberté. Liberté qui est un phénomène mystérieux, d'ailleurs : une série d'éclairs de génie ?
Une pensée à approfondir...
(BERGSON, Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, Garnier-Flammarion, 2013.)
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