Si nous adoptons une stratégie combinant convenablement ces divers types d'actions, les agents économiques y gagneront d'être informés à l'avance de la règle du jeu suivie par le Gouvernement. La collectivité y gagnera de ne sacrifier aucune de ses chances de développement, tout en ayant créé des garde-fous contre les risques d'inflation et de sous-emploi. Enfin, le Gouvernement lui-même y gagnera de pouvoir mettre plus facilement en œuvre des mesures correctrices, dès l'instant que leur usage, proportionné à la gravité des distorsions, aura été prévu dans le plan. On peut même espérer que le fait d'avoir défini à l'avance certains seuils critiques pourra modifier peu à peu les comportements, favoriser une conception plus large de la responsabilité de chacun et, par conséquent, dispenser jusqu'à un certain point de recourir à des mesures correctrices.
Quelle vie ! Pierre Massé, auteur du livre dont il est question, réussit le concours de polytechnique en 1916, ainsi que celui de Normale Sup. Mais il s'engage immédiatement dans la guerre de 14. Pendant la guerre suivante, il est résistant. Quand il ne se bat pas, il est un des dirigeants d'EDF. C'est aussi un économiste et un mathématicien appliqué apparemment de première division. En 1965, à l'époque du livre, il est commissaire au plan. Le commissariat au plan est créé après guerre par Jean Monnet. Il utilise la technique du "changement planifié" décrite par Kurt Lewin. Le plan n'est pas imposé par un pouvoir omniscient ! Étonnement. Il résulte d'un travail de concertation, on parlerait de "co création" aujourd'hui !, avec les acteurs de l'économie (plus d'un millier de personnes, initialement, 3500 à l'époque de Pierre Massé). Résultat : non seulement le gouvernement a des informations de première main, mais tout ce monde, du syndicaliste au grand patron, partage une même vision d'où doit aller le pays. Et, il n'a aucun mal à appliquer quelque chose qu'il a conçu.
"Accepter les faits, mais non les fatalités"
Le plan a des lignes directrices qui nous surprendraient aujourd'hui, notamment le plein emploi !, mais surtout c'est un humanisme. C'est un troisième voie entre la planification technocratique, de type soviétique, et le libéralisme débridé, en pleine résurgence dans les années 60.
Le choix d'une politique économique, comme d'une politique tout court, repose sur une idée de l'homme. Dans le débat ouvert aujourd'hui, l'idée de confiance et l'idée de méfiance s'affrontent. Les hommes ne sont pas suffisamment raisonnables pour qu'on puisse, par exemple, supprimer le Code de la route et s'en remettre à la sagesse des conducteurs. De même est-il bon, dans l'ordre économique, de disposer de mécanismes qui régissent le quotidien, nous laissent l'esprit libre pour les grandes questions et nous défendent au besoin contre nos propres faiblesses. La confiance en l'homme est cependant un idéal irremplaçable en même temps qu'un facteur essentiel de notre avenir. La politique économique ne doit donc pas enserrer l'homme dans des mécanismes tels qu'ils fermeraient la voie à plus de confiance, méritée par plus de raison.
Pierre Massé est conscient que le pays vit un moment sans précédent, et peut-être sans lendemain : la croissance. Il perçoit aussi que l'avenir est pavé d'embuches. Mais il est optimiste. Malheureusement, il n'avait pas prévu qui allait lui succéder...
(Massé, Pierre, Le plan ou l'anti hasard, idées nrf, 1965. On le trouve ici.)
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