jeudi 7 octobre 2010

Négociation patronat syndicat

On m’a fait réfléchir il y a quelques temps sur la question de la négociation entre patronat et syndicat. Voici ce que cela a donné :

Exemple 1

Lettre des délégués du personnel à un PDG. Les mesures qu’il a prises vont contre l’intérêt de la société, l’ensemble des personnels viendra manifester son mécontentement le lundi suivant.

Le P-DG reçoit les manifestants (qui l’assiègent).

Premier acte : il renonce en bloc aux mesures incriminées. La tension baisse. Il finit par demander à ses interlocuteurs quel est le fond de leur revendication. Surprise : ils veulent acheter la société ! Un précédent propriétaire leur avait donné des parts de l’entreprise, ce qui leur avait beaucoup rapporté. Aujourd’hui ils jugent que s’ils la possédaient, ils pourraient lui faire gagner énormément, et s’enrichir au passage. Ils demandent donc au PDG de se renseigner auprès du fonds qui possède le groupe pour connaître le prix de l’entreprise.

Quel était le problème ? Le changement voulu par le PDG était une augmentation de la rentabilité d’une société déjà hyper rentable. Pour cela il voulait procéder par réduction de coûts (élimination « d’avantages acquis », de clients « insuffisamment rentables », etc.). Il avait tenté de faire passer le changement en force, sans le dire. Son personnel lui a dit que l’on pouvait arriver au même résultat différemment : en augmentant le chiffre d’affaires de la société. Et pour cela il suffisait de lui demander comment faire, et de partager les bénéfices de l’affaire.

Exemple 2

Je donne un cours de négociation à des responsables commerciaux. Un des participants dirige le CE de l’entreprise, il me propose de prendre comme exemple d’application de cette formation une négociation qu’il mène. Il s’agit de l’uniformisation des statuts des personnels des 3 entreprises qui forment la société. Nous simulons donc : un de ses collègues joue son rôle, un autre celui du PDG de la société. Très vite le ton monte et les insultes fusent (on reproche au « PDG » son salaire !). J’arrête l’exercice. Je leur demande si c’est la meilleure façon de mener une négociation. Je leur dis aussi que je n’ai pas compris ce que veut faire le PDG. En fait personne ne le sait. Suite à quoi le responsable du CE se renseigne auprès la DRH de la société, et le conflit disparaît. Les deux camps s’affrontaient au nom de stéréotypes sans savoir ce que l’autre voulait.

Enseignement

Les conflits surgissent d’incompréhensions issues de stéréotypes. Ce que j’appelle dans mon premier livre la fiction de la « lutte des classes ». Le syndicat pense que le dirigeant est un exploiteur, qui détruit l’outil de travail pour s’engraisser. Le dirigeant pense que le syndicaliste est un paresseux qui veut détruire l’entreprise pour s’engraisser. Pourtant chacun veut du bien à l’entreprise : il y a intérêt. D’ailleurs l’homme n’est pas un parasite, et la réalisation de son identité passe par un succès collectif.

Comme si ça ne suffisait pas, le réformateur (le gouvernement par exemple) perd de vue la fin pour le moyen. Parce qu’il a un marteau il voit des clous partout. Dans le premier exemple, l’obsession de réduction de coûts du dirigeant lui fait oublier son objectif réel : augmenter la rentabilité de l’entreprise. Or cet objectif, bien compris, lui ouvrait un axe de mise en œuvre du changement qu’il n’avait pas vu. De même les réflexes des syndicats sont conditionnés, et conduisent à des cercles vicieux (exemple 2).

Ce qui rend ces phénomènes quasi imparables, c’est la capacité de l’homme à la « prédiction auto-réalisatrice » : nos a priori ont des conséquences qui les renforcent.

Négocier dans un conflit est complexe, et repose en grande partie sur la capacité du négociateur à savoir gérer l’émotion (la sienne et celle des autres). Par contre, s’il y a un « geste qui sauve », une sorte d’étoile du berger pour guider le négociateur, c’est probablement considérer que l’autre n’est pas un malfaisant. Son comportement s’explique par une logique compréhensible et honnête. Tout l’exercice de la négociation est de comprendre cette logique, et l’utiliser dans le cadre de ses desseins (cf. exemple 1). Il faut passer de « l’émotion à la raison » et du « face à face au côte à côte ».

En fait, je sais bien que si les négociateurs ont une logique compréhensible, elle ne veut pas forcément le bien collectif. Il existe tout de même des « parasites ». Mais, paradoxalement, en supposant que « l’autre » est honnête, on met à jour efficacement, pour ainsi dire scientifiquement, sa tartufferie. Il doit soit faire mentir le diagnostic, donc s’amender, soit abandonner la partie sans demander son reste. (C’est la « méthode Colombo ».)

2 commentaires:

pmeance a dit…

Bonjour Christophe,

Très intéressant comme toujours, merci de partager ces expériences... je vous signale une coquille sur l'avant-dernier paragraphe : "dessein" plutôt que "dessin".

Christophe Faurie a dit…

Merci pour la coquille! (et pour le commentaire!)