Tout commence par l’appel du service sinistre d’un assureur. L’entretien est bref. L’expert repose le combiné. Il relit ses notes. Il a tiré un dossier explosif.
Le dossier
Les parties prenantes du sinistre :
l'assuré : un sous traitant d'un fabriquant de produits pharmaceutiques étranger
le tiers : le laboratoire pharmaceutique
l'assureur à deux têtes : le siège et l'agent local
et l'expert en Responsabilité Civile
Le résultat de l'expertise initiale :
L’origine du sinistre est rapidement connue, acceptée et assumée : une contamination bactérienne sur un lot sur lequel le sous-traitant est intervenu
la relation contractuelle entre les deux partenaires étant clairement établie, la prestation définie, le prix convenu, la responsabilité du sous traitant est donc évidente.
Ça se complique
Reste la définition de l'indemnité à verser au tiers.
L'expert découvre un accord contractuel entre les deux partenaires. Il définit les modalités d'indemnisation en cas de litige. Cet accord a été respecté et le fabricant indemnisé. Pour ce dernier le dossier est clos.
L'expert indique que cet accord n'engage pas l'assureur du sous traitant et qu'il souhaite donc en connaître la teneur pour évaluer l'indemnité due.
Le fabricant ayant déjà été indemnisé et voulant protéger ses secrets de fabrication filtre ses informations à l'expert. Celui-ci doit calculer alors avec impartialité une indemnité sur la base des informations connues et de l’état de l’art du métier. Résultat : le sous-traitant serait remboursé du tiers de l’indemnisation qu’il a payée.
Et ça devient explosif
- l'assuré (le sous traitant) est furieux et menace de ne plus livrer son donneur d’ordre.
- l'agent d’assurance prend peur : le contrat vendu à son assuré (le sous traitant) était-il inadapté?
- le fabriquant se braque : pas question de livrer les modalités de calcul de ses prix de revient
Et voilà, on est revenu au début du cas : l’assureur appelle un nouvel expert pour démêler la pelote.
Le dit expert interroge les protagonistes de l’affaire. Voici ce qu’il apprend :
- L'agent redoute de perdre son client, et sa réputation. Il critique le premier expert.
- Le fabricant, première rencontre : êtes vous sûr d'être bien protégé par votre accord contractuel pour tout sinistre???
- L'assuré (le sous traitant) : je veux travailler avec le fabricant mais pas avec un accord inadapté.
- Le fabricant, deuxième rencontre. L’entreprise utilise un procédé très particulier qui consiste à travailler avec des souches bactériennes vivantes. Ce travail sur le vivant impose de la souplesse au mode de fonctionnement du fabricant.
L’expert réalise alors que le contrat auquel s’accroche le fabricant n’est pas dans son intérêt. Soit le sinistre porte sur des petites quantités, et l'accord contractuel est pénalisant pour le sous traitant et le fabricant peut être attaqué (enrichissement sans cause). Soit le sinistre est important, et le fabricant est très mal protégé.
Curieusement, on trouve alors une solution mutuellement satisfaisante.
Le fabricant renonce à son accord type, et accepte que l’indemnisation se fasse « à dire d'expert selon la réalité du sinistre » (c'est-à-dire en utilisant le calcul initial fait par l’expert). Ce faisant, il est soulagé de s’être tiré d’un contrat dangereux.
L'assuré est ravi, il peut reprendre sa collaboration sur des bases certaines et justes.
L'agent a pu démontrer à son client qu’il était efficace et son contrat adapté.
Le siège de l'assureur est soulagé d’avoir évité une crise.
Le premier expert est heureux que sa compétence ait été reconnue.
Et voilà, les mérites de la dialectique ont été à nouveau démontrés, se dit le second expert. N’est-ce pas comme cela que l’on construira un monde durable ?
Mais le dossier explosif menace l’expert, comme l’insecticide l’abeille… sa vie est une vigilance sans fin.
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